En 1914, la place communale comprenait un ilot qui conserve la même implantation de nos jours.

En pénétrant dans la Maison Communale (actuellement Musée Alexandre-Louis Martin), par l’entrée principale, on découvrait successivement le bureau de police et les bureaux administratifs, leur faisaient suite, le préau couvert transformé en salle de fêtes lors des distributions des prix, cérémonies revêtant un caractère beaucoup plus solennel que de nos jours, puis les différentes classes de l’Ecole Communale des garçons; une cour de récréation, en terre battue, avec une porte d’entrée réservée aux élèves et donnant sur la rue où passe actuellement la ligne d’autobus, et enfin, l’habitation de l’instituteur en chef, orientée vers Morlanwelz. (N.D.L.R. – Mme Annino-Hecq est la fille de l’ancien directeur de l’école et habitait dans la maison précitée).

En ce temps-là, ma mère, comme la plupart des ménagères, confectionnait, elle- même, le pain de sa maisonnée, pour toute la semaine !

La veille, elle avait pétri, à force « d’huile de bras », une pâte faite de farine 4 zéros (la meilleure), de « bon lait frais» (lait entier), de saindoux (fondu par elle), et de levure « Royale ».

Huit gros pains blonds dodus, moulés dans de hautes platines rondes avaient été transportés (bien couverts dans une manne en osier) chez le pâtissier Raoul Otlet, où, gonflés à point, bien « levés », ils avaient été enfournés.

Parfaitement réussis, ils faisaient, à leur sortie du four, l’admiration des voisines et la fierté de la boulangère d’occasion. Celle-ci avait ensuite haché et moulu péniblement de la viande de bœuf à l’aide d’un antique moulin à manivelle, pour en préparer d’excellentes « boulettes». (Malgré l’utilisation de recettes fameuses, malgré toute mon application, je ne suis jamais parvenue à en réaliser d’aussi savoureuses).

Le samedi 22, à la fin de l’après-midi, la bataille dite « d’Anderlues-Collarmont » semble prendre fin. Les soldats français, après un combat très dur, se replient sur une autre ligne de défense, laissant ainsi sur le champ de bataille, de nombreux morts tant français qu’allemands.

La soldatesque allemande furieuse et ivre de violence se déploie alors sur le territoire de Carnières.


La plupart des habitants atterrés se cachent dans leurs demeures, portes et volets clos.

Seuls, quelques rares curieux osent entrebâiller une porte pour apercevoir des gens éperdus, affolés qui descendent de Collarmont et se dirigent hébétés, hagards, droit devant eux en criant : « Sauvez-vous, sauvez-vous, tout brûle! Ils prennent les hommes! Tous les hommes sont fusillés ou emmenés! Sauvez-vous ! »

Jamais, je n’oublierai le spectacle d’un jeune garçon, d’une quinzaine d’années, s’agenouillant dans la rue, devant mon père, les mains jointes, le suppliant : « Monsieur l’Instituteur, sauvez-vous, sauvez-vous, ils vont vous tuer». C’était poignant. Une balle vient mourir sur le seuil de la porte… Brusquement, déferlent, en un raz-de-marée, dix, vingt, trente soldats allemands, sales, délabrés, ivres, affamés qui se précipitent en hurlant sur la porte d’entrée, la défoncent brutalement, s’engouffrent à l’intérieur de l’habitation, bousculent tout, renversent tout et bondissent comme des fauves sur les beaux pains dorés qu’ils arrachent, découpant et dévorent, ainsi que les boulettes, en un clin d’œil.

Pendant ce temps, une vache est réquisitionnée dans la ferme Brunart. Des cuisines ambulantes sont amenées sur place. En un instant, la bête est dépecée et mise à la marmite. Les cheminées fument, les gros quartiers de viande cuisent. Pour fourbir les fourneaux, les Wesphaliens utilisent de belles taies d’oreiller en toile de lin, finement festonnées et provenant d’une lessive non encore rangée dans la lingère. Ahurissement et consternation de la ménagère !

Madame H. Annino-Hecq

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