Dans une vieille demeure, il arrive qu’au hasard d’un rangement, on découvre, au fond du tiroir d’un meuble de famille, un petit paquet insolite égaré parmi des pape-rasses, des archives ménagères: une liasse d’enveloppes défraîchies, entourées d’une « faveur» qui, en son temps, a dû être c’un rose pâle ou d’un bleu tendre…
Il arrive aussi qu’en procédant au nettoyage saisonnier du grenier, avec l’intention ferme de faire le vide, on se surprend à soulever le couvercle d’une ancienne malle de pensionnaire remplie de vieilleries, d’objets hétéroclites destinés à la brocante et à la poubelle. En fouillant, on trouve un coffret en bois de chêne sculpté ou un joli petit coffret en laque de Chine décor de pagodes dorées ou encore une de ces boîtes-sou-venir aux armes d’une ville d’eau, Ostende, la reine des plages, Blankenberghe, ornée de coquillages nacrés. Avec un peu de chance, on récupère une clé minuscule suspendue par un bout de ficelle tricolore…
On regarde, on retourne le coffret précieux de tous côtés, on hésite… puis, malgré un vague sentiment ce culpabilité d’indiscrétion, la curiosité l’emportant, on se décide à tourner la petite clé magique dans la serrure et voici le « trésor secret» des cartes postales, des cartes-vues, des lettres jaunies, des enveloppes écornées et encore des et encore des lettres… ouvrons-les…
Toutes, des lettres datées de la fin du siècle passé ou du début du XXe siècle : lettres d’amour, lettres de félicitations à l’occasion d’une naissance, d’un mariage, d’un anniversaire, d’un jubilé, d’une promotion, lettres de remerciements, de récits de voyages à l’étranger, lettres de condoléances, etc… de certaines enveloppes s’échappent parfois des pétales de roses, un brin de muguet, une fleur de myosotis, une tête d’édelweiss aplatis, desséchés, cassants, même une mèche de cheveux d’un cher disparu…
On avait certainement beaucoup de choses à se dire, à cette époque car tous les feuillets sont couverts d’une écriture fine, serrée, la marge même est chargée de post-scriptum.
Toutes ces missives révèlent la diversité de caractères ce leurs auteurs : les unes, affectueuses, sentimentales, romantiques, chaleureuses, d’autres concises, ennuyeuses dispensent quantité de conseils dont on ne tenait pas toujours compte. Il s’y mêle parfois une note discordante, piquante qui frôle la méchanceté… Certaines sont touchantes par leur naïveté, d’autres, au contraire, sont emphatiques, pédantes, sentencieuses.
Ne parlons pas des lettres « anonymes» qui ont parfois causé tant de dégâts : des doutes, des ruptures chez des couples et pendant les guerres mondiales conduit des résistants à la déportation et à la mort.
Celui qui aurait la manie de l’orthographe y relèverait difficilement des fautes de grammaire : elles sont d’une rareté édifiante. Par contre, il y puiserait une variété de finales polies, déférentes, respectueuses voire obséquieuses; cela part des amitiés, des regrets éternels, des civilités, des salutations, des sentiments de tout genre pour aboutir aux hommages les plus respectueux aux assurances du plus profond respect… tout était en profondeur, en ce temps-là !
A l’heure actuelle, la pratique de ces longues missives semble en voie de disparition. Seules, quelques rares personnes très âgées dont la main a été épargnée par l’arthrose prennent encore plaisir à écrire et surtout à recevoir de longues lettres d’amis.
Les amoureux s’adressent-ils encore des messages écrits? De nos jours, les amours variables et passagères, les unions même légalisées étant de courte durée, il est normal que les serments écrits soient remplacés par de vagues promesses orales ?
Quant aux lettres d’affaires, le téléphone, le Telex, le Telefax (dernier cri) la machine à écrire électrique à écran cathodique, permettant d’afficher électroniquement et de corriger le texte avant son impression automatique par imprimante à tête laser supprime définitivement tout travail graphique et manuel.
Les nombreux Italiens, intégrés dans notre entité, se reconnaissent, de leur propre aveu, incapables de correspondre par écrit avec leur famille en Italie et choisissent, malgré le coût élevé le téléphone pour exprimer leurs états d’âme !
Le célèbre Simenon et bien des écrivains contemporains ont construit leurs ro- mans en utilisant directement la machine à écrire.
Admettons que, pour le commun des mortels, écrire à la main une longue lettre bien construite demande un effort do réflexion et du temps !
Une catégorie de lettres fait exception à cette désaffection générale : la lettre traditionnelle écrite par les enfants et petits-enfants à leurs parents et grands-parents, parrains, marraines, etc. lors du nouvel an et qui, paraît-il, est encore de nos jours préparée par les enseignants à l’école primaire.
Cette coutume ne date pas d’aujourd’hui. Dans le carnet de notes d’un instituteur de Carnières-Trieux comportant des exercices de style rédigés au cours de la dernière décennie du 19e siècle figurent bon nombre de lettres de nouvel an.
Toutes portent le même message : vœux de bonheur, de santé, de prospérité, accompagnés de beaucoup de promesses de sagesse, de politesse, de respect, de bonna concuite, de travail assidu, etc.
Voici des copies de quelques lettres caractéristiques, extraites de cet ensemble, écrites par de jeunes garçons avant 1900. Si elles sont vieillottes n’en restent-elles pas moins émouvantes.
Bon-Papa et Bonne-Maman se souviendront avec attendrissement de ces chefs- d’œuvre écrits et ânonnés par leurs chers petits-enfants; pendant ce nombreuses années, ils les conserveront.
De leur côté, les bambins n’oublieront pas de sitôt la corvée imposée par la transcription du texte de ces « compliments» de nouvel an.
En ces temps-là, on enseignait essentiellement à l’écolier le calcul et la langue de nos jours, avec astuce, comme exercices d’échauffement; le sport n’est-il pas à l’ordre du jour ?) En plus, l’enfant était soumis au dur apprentissage de l’écriture anglaise.
Ecrire à l’aide d’un porte-plume muni d’une plume métallique (la plus connue : la plume ballon), trempée dans de l’encre, remplir pendant ces heures et des heures des pages et des pages lignées, en observant la pente réglementaire, tracer des traits tantôt fins, raides, réguliers, tantôt épais, arrondis, ovales, dessiner des jambages, des pleins, des déliés, c’était fastidieux! Et les majuscules, c’était le summum de la difficulté! les unes penchées, élégantes, relativement faciles à écrire : M, N, d’autres ventrues, compliquées : O, D, mais les dernières lettres de l’alphabet, on ne parvenait jamais à les imiter correctement, heureusement on les utilisait plus rarement.
Pour le Grand Jour, on s’appliquait à recopier, en calligraphiant, le texte compose pour la circonstance, sur une belle feuille double de luxe achetée chez l’imprimeur. Une bonne moitié de la première page était décorée de motifs divers : des oiseaux, des fleurs stylisées, des anges ailés, des dessins en relief…
Venaient alors les moments les plus pénibles : des malheurs… la plume ballon fonctionnait mal, s’encrassait, les becs de la plume s’écartaient, on sautait un mot du texte, on oubliait une lettre, et, c’était grave, une goutte d’encre tachait le papier, le buvard n’absorbait pas la tache, la gomme intervenait, puis le canif, et la suite… gronderies, pleurs, énervement… Ne parlons pas des doigts, du tablier, de la table même. Il arrivait que tout était à recommencer.
Heureusement, les chagrins d’enfant passent vite et puis… il y avait une compensation : Bon-Papa et Bonne-Maman leur réservaient quelques piècettes, pour la tirelire, dont la valeur variait de 10, 25 centimes à 1 franc (en argent), 5 francs (c’était une fortune). Il existait d’ailleurs ces pièces de 5 centimes (pour les boîtes de baptême), 2 centimes (en cuivre) (cense ?) réservées aux pauvres qui mendiaient de porte en porte (la mendicité n’était pas encore interdite) et celle de 1 centime (en cuivre) (le gigot) destinée à l’offrande lors des enterrements.
On raconte que certains poussaient l’avarice ou la plaisanterie à remplacer le gigot par un vieux bouton sur le plateau de l’officiant.
Espérons que cette coutume ne se transforme pas comme c’est le cas pour la fête des mères en un marché commercial ou ne se concrétise pas en un avis publié dans un journal quotidien qui fait penser à un avis nécrologique.
Evidemment, dans le monde actuel, ces lettres de « Nouvel an » paraissent obsolètes, désuètes! Et pourtant ne faut-il pas souhaiter que cette tradition ne se perde pas, ne fût-ce que, pour exercer l’enfant, à l’effort et entretenir entre les membres d’une même famille des relations d’affection.
Madame L. ANNINO-HECQ.
Cher Grand-Papa, Chère Grand-Maman,
Je ne veux pas laisser passer ce beau jour sans vous exprimer les vœux que je forme pour votre bonheur.
Je sais toute la reconnaissance que je vous dois. Les soins dont vous m’avez entouré depuis ma naissance, vos douces caresses, vos conseils précieux, les preuves d’amitié que vous m’avez données sont gravées dans mon cœur. Soyez donc bénis, cher Grand-Papa, chère Grand’Maman; jouissez d’une santé parfaite et vivez heureux au milieu de tous ceux qui vous aiment, pendant de longues années.
De mon côté, je me montrerai bien obéissant et j’étudierai avec ardeur pour que vous chérissiez toujours
Votre petit-fils reconnaissant.
( x)
Carnières, le 1er janvier 1897.
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Cher Parrain, Chère Marraine,
Le nouvel an est un beau jour pour les petits enfants, car ils peuvent exprimer leur affection à tous ceux qu’ils aiment. Aussi, cher Parrain, chère Marraine, c’est de tout cœur que je viens vous souhaiter une bonne et heureuse année.
Je n’oublierai jamais toute l’amitié que vous m’avez témoignée, et je ferai tout mon possible pour que vous m’aimiez de plus en plus.
Votre filleul reconnaissant,
(X)
Carnières, le 1er janvier 1896
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Chers et bons Parents,
C’est avec une joie toujours plus vive que je vois revenir, chaque année cet heureux jour où je puis vous exprimer les sentiments que je ressens à votre égard.
Plus j’avance en âge et plus la gratitude grandit en mon cœur. Je comprends maintenant l’amour que vous me portez, les soins dont vous avez entouré mon enfance et le dévouement dont vous me donnez chaque jour de nouvelles preuves. Mais vos bienfaits ne s’adressent pas à un ingrat. Je veux profiter des sacrifices que vous vous imposez pour moi en étudiant avec ardeur.
Par ma bonne conduite, ma docilité et ma tendresse, je m’efforcerai de mériter votre affection.
Acceptez, comme un gage de mes bonnes résolutions, les vœux que mon cœur vous adresse aujourd’hui : bonne santé, accomplissement de tous VOS désirs, bonheur parfait.
Votre fils reconnaissant et soumis,
(x)
Carnières, le 1° janvier 1901
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Cher Oncle,
Bien-aimée Tante,
Le nouvel an est une époque bénie pour les enfants. Ils ont alors le plaisir de voir les personnes qui leur sont chères se réunir dans des fêtes de famille.
Mais parmi toutes ces figures amies, groupées autour du foyer, s’il est que!-qu’un que je cherche et que je voudrais retrouver chaque année, c’est bien vous, bon Oncle, Tante chérie : car je me souviens des bienfaits dont vous m’avez comblé, de la tendresse dont vous avez entouré mon enfance, de vos caresses, de votre amitié.
Je saisis donc avec joie cette occasion de vous dire que moi aussi je vous aime, et que je fais des vœux ardents pour votre bonheur. Puisse donc, cher Oncle, bien-aimée Tante, l’année qui commence augmenter encore, s’il est possible, l’intérêt que vous portez à
Votre neveu reconnaissant.
(X)
Carnières, le 1er janvier 1898.