En perdant la bataille de Carnières, le Duc de Brabant a perdu tout contrôle sur les Principautés Lotharingiennes

Carnières, avril 1170.

Une bataille, aussi rapide que meurtrière, vient d’opposer Bauduin IV, Comte de Hainaut à Godefroid III, Duc de Brabant, dans des circonsiances encore mal définies. semble acquis cependant que les deux princes féodaux, accompagnés l’un et l’autre d’une imposante escorte, se soient heurtés dans la campagne d’un petit village hennuyer du nom de Carnières, alors qu’ils faisaient route vers Trazegnies, où ils devaient participer, avec toute la noblesse des contrées voisines, a un grand tournoi qu’avait organisé, au château, le seigneur de l’endroit. Les estimations des effectifs divergent, selon les sources, mais il n’est pas hasardeux d’avancer le chiffre de 20.000 hommes de pied et de 500 cavaliers du côté du Duc de Brabant, dit le Barbu. Les troupes du Comte de Hai-naut, qui s’était allié son oncle, le Marquis de Namur, Henri l’Aveugle, étaient nettement moins nombreuses puisqu’elles n’étaient que de 3.000 fantassins et 300 cavaliers.

C’est à la sortie du Bois Brunehault que Bauduin IV s’est trouvé nez-à-nez avec les 20.500 hommes du Barbu sur pied de guerre qui n’attendaient qu’un ordre de leur chei pour le culbuter, lui et ses soldats.

Toutefois, et contrairement aux pronostics qui se fondaient sur le rapport numérique des forces, la bataille a enterré dans le désastre ct le discrédit les Brabançons. Le combat, qui s’est déroulé en assauts successifs, a revêtu une violence particulièrement acharnée. C’est à plus de deux mille qu’on évalue le nombre des hommes du Duc qui ont éte passés au fil de l’épée. Plusieurs centaines ont été faits prisonniers et emmenés vers les geôles de Mons et de Valenciennes.

On imagine aisément le fleuve de sang que les troupes menées par le Comte du Hainaut, et le Marquis de Namur coalisés ont dû traverser pour poursuivre le Duc de Brabant jusqu’aux portes de Louvain. On signale du reste, mais nous manquons de détails sur cet autre épisode lamentable, qu’au passage, plusieurs rues de Bruxelles ont été le triste théâtre des trop habituels excès des vainqueurs. Aux dernières nouvelles, le Duc aurait demandé la paix.

Bizarre époque que la nôtre, ou le bruit des lances, des épées et des haches semble devoir se faire entendre toujours, sans répis. Les événements de l’année dernière auguraient pourtant un avenir meilleur. Le moindre ne fut pas, à Pâques 1169, le mariage de Bauduin et de Marguerite, soeur de Philippe, Comte de Flandre, qui mettait fin à un siècle d’hostilité et scellait la réconciliation de la Flandre et du Hainaut. Evénement heureux, encore, ce mois-ci, que la naissance d’Isabelle, à Lille, fruit de cette union. Contexte heureux, enfin, que le rapprochement des familles de Hainaut et de Namur. Mais il sera donc écrit que les luttes intestines seront aussi indissociables de notre siècle que le manche de la cognée.

De fait, on se souviendra que depuis un certain temps déjà, Godefroid III, à la fois inquiet et jaloux de la situation plus favorable qui se dessinait en Hainaut, avait tenté débranler le fragile édifice, d’abord en invitant le Seigneur d’Enghien à l’insubordination, ensuite en irritant le Marquis de Namur au plus haut point. La bataille qui vient d’être livrée était donc devenue inévitable. C’est le hasard d’un tournoi, organisé à Trazegnies, qui l’a situé à Carnières.

Est-ce maintenant la paix? Sans dramatiser en rien, on peut craindre, hélas, que Godefroid III n’entendra pas rester sur une defaite aussi cuisante et qu’il voudra, au contraire, redorer son nom et son blason… Au plan politique enfin – et on sait que ces considérations n’ont jamais été secondaires — on ne peut envisager que le Duc de Brabant accepte de perdre définitivement tout contrôle sur les Principautés Lotharingiennes. Or, en l’état, c’est bien de cela qu’il pourrait s’agir… C’est une bien maigre consolation, dès lors, que de savoir que l’on prétend que Bauduin V, à cette bataille, a justifié, sans appel, son surnom de Magnanime…


Bernard CHATEAU.

BIBLIOGRAPHIE
— Etudes étymologiques et archéologiques, A.G. CHOTIN, Paris, Leipzig, Tournai.
— Histoire des Belges, H. DORCHY, Bruxelles.
— Combats d’Anderlues-Collarmont, Lt.-Gol. e.r. O. GIERST, Fayt.

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