Les Boch, le développement de La Louvière

Dans la région, Boch c’est d’abord une marque : la Manufacture Boch, créé en 1841, qu’on appelait aussi Keramis, et qui va donner son nom à tout un quartier de Saint-Vaast. Boch, c’est la faïence, et des centaines d’ouvriers. C’est tout un quartier qui se crée. Et c’est un vrai succès industriel, pour les frères Boch, Eugène et Victor.

Boch-Keramis sera ainsi, avec la siderurgie des Boël, à l’origine de la création de la ville de La Louvière.

Rosalie-Anna Boch est le deuxième enfant de Victor.

Elle naît le 10 février 1848. Ses études favorise son goût pour l’art et d’abord la musique. Elle aménagera plus tard une salle de musique dans sa maison, dont la pièce maîtresse était un orgue…

Mais c’est à la peinture qu’elle va se destiner.

Anna, femme émancipée et artiste

Evoquer Anna Boch, C’est aller à la découverte d’une œuvre considérable, riche de 913 œuvres. Sans compter les décors qu’elle réalise pour la faïencerie et les céramiques de la manufacture, ainsi que son frère Eugène. La promesse de ce voyaga a été tenue superbement par le MUZee d’Ostende, en 2023, pour le 175° anniversaire de sa naissance. Et au-delà.

exposition Anna Boch au MuZee d’Ostende

Mais c’est encore se lancer dans une histoire exemplaire d’émancipation féminine. Une anecdote, qui en dit long sur son caractère bien trempé. Anna voyage beaucoup, à la recherche des lumières du sud. Et en 1907, chose hardie pour l’époque, elle s’achète une voiture pour partir, libre. Seule. A la découverte des lumières du sud…

Ses plus beaux voyages, elles les fait sans doute dans l’exploration des expressions picturales nouvelles pointillistes et l’impressionnistes, en compagnie de James Ensor à Fernand Khnopff, de Gauguin à Signac et des peintres qui firent les XX et la Libre Esthétique à Bruxelles. Une rencontre l’inscrira dans l’histoire de la peinture: celle qu’elle fera, grâce à Eugène, avec Vincent Van Gogh.

Anna et Vincent au Salon des XX

Concrétisation de cette complicité et de cette amitié, Anna Boch achètera probablement la seule œuvre que Vincent vendit de son vivant. C’était en février 1890. Et le tableau, exposé au Salon annuel du Groupe des XX à Bruxelles, s’appelle «La Vigne Rouge». Alors Anna est déjà une artiste reconnue, membre du Groupe des XX et est active sur la scène artistique, comme on le voit de l’exposition organisée en février 1886, où elle figure en première place des “Vingtistes” – l’ordre alphabétique n’y est pas pour rien…

affiche de l'exposition des XX - février 1886

Mais cette toile, qu’elle achètera quatre ans plus tard à Vincent est, à coup sûr, la plus connue des trois vignes que peignit Van Gogh, avec «Le Vignoble vert» et «Vignes avec vue d’Auvers» . Il lui en coûta l’équivalent de 2000 $ d’aujourd’hui.
Il rejoindrait ainsi l’une des collections d’impressionnistes sans doute les plus importante pour à l’époque.

La Vigne Rouge – Vincent Van Gogh

En partage avec son frère Eugène

Eugène Boch s’était en effet lié d’une amitié solide avec Vincent Van Gogh. Van Gogh en fera un portrait saisissant, donnant à voir un visage grave et émacié, qui n’est pas sans rappeler le sien-même. Il le décrit à son frère Théo ainsi : « C’est un garçon dont l’extérieur me plaît beaucoup, figure en lame de rasoir, yeux verts avec cela de distinction”.

Le 11 août 1888, deux mois après leur rencontre près de Arles, l’idée du portrait du « belge », comme il le désigne à Théo, germe chez Vincent. Une histoire que le Musée d’Orsay, où est aujourd’hui accrochée l’œuvre, détaille:

Je voudrais faire le portrait d’un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme un rossignol chante, parce que c’est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j’ai pour lui. Je le peindra donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai […]. Derrière la tête au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l’infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l’étoile dans l’azur profond.

Vincent VonGogh

Deux semaines plus tard, Boch pose pour Van Gogh.

“Eh bien, grâce à luin j’ai enfin une première esquisse de ce tableau, que depuis longtemps je rêve – le Poète. Il me l’a posé. Sa tête fine au regard vert se détache dans mon portrait sur un ciel étoilé outremer profond, le vêtement est un petit veston jaune, un col de toile écrue, une cravate bigarrée.”

Vincent Van Gogh
Eugène Boch (le Poète) – Vincent Van Gogh

Bien qu’il ne la considère que comme une “esquisse”, Van Gogh encadre cette oeuvre qu’il nomme le Poète. On sait que cette toile, est pendant un temps accrochée au mur de sa chambre dans la Maison jaune, puisqu’elle apparaît dans la première version de « La chambre à coucher » >>, à côté du portrait du peintre Paul-Eugène Milliet. Dans la deuxième version peinte l’année suivante, en 1889, ces deux portraits sont remplacer par deux autres, peu identifiables, mais dans la troisième version c’est un autoportrait de Van Gogh, imberbe, qui remplace celui qu’il appelle aussi « le Poète aux étoiles ».

En 1891, après la mort de Vincent et de Théo, Eugène reçoit le tableau des mains de la belle-sœur de Vincent, Johanna. Il le conservera jusqu’à la fin de sa vie, dans sa chambre de la Villa La Grimpette à Monthyon, près de Paris, qui, par ailleurs, fut un lieu de rencontres pour de nombreux artistes, amis d’Eugène Boch. Parmi eux Emile Bernard et Henri Matisse. Par testament, il lèguera ce portrait, aux Amis du Louvre, en 1941.

La Vigne Rouge

Mais pour en revenir à « la Vigne Rouge », c’est en octobre 1888, que Vincent écrivit à Eugène, à propos de ce qui ‘est encore qu’une intention: «Je dois aller travailler dans la vigne près de Montmajour. Elle est toute pourpré jaune vert sous le ciel bleu, un beau motif de couleur».

” La Vigne Rouge ” sera aussi un tableau dont l’histoire à rebondissements s’avèrera purement extraordinaire. Et pas seulement parce que c’est le seul tableau que Van Gogh aurait vendu de son vivant, et qu’il passa par La Louvière, accroché aux murs du château familial de la Closière, un Château fou, construit par un certain… Poelaert… Le schieve architect du Palais de Justice.

Chateau La Closière La Louvière

Mais surtout sans sa maison d’Ixelles, près de l’Abbaye de la Cambre, dans la rue du même nom. Dans le salon de musique, il côtoyait ainsi des œuvre de Gauguin, de Seurat ou de Signac. Un autre Van Gogh sera accroché, quelques mois plus tard, « pêchers en fleurs dans la plaine de la Crau ».

La vie de “la Vigne Rouge” se confond bientôt avec l’aventure d’une autre collection prestigieuse, au destin chamboulé.

Anna revend le tableau en 1906 à la Galerie Eugène Druet, 20, rue Royale à Paris. On dit que son éclat l’empêchait de peindre, mais plus probablement, cette vente lui a permis de financer son œuvre de mécénat artistique. Toujours est-il que le tableau est alors acquis par l’industriel et collectionneur d’art Yvan Morozov. Sa collection, comme celle de Sergueï Chtchoukine, sera nationalisée par Lénine en 1918 et exposée au Musée d’art moderne occidental jusqu’à l’interdiction, décrétée par Staline, au nom de la lutte contre «l’art bourgeois». En 1948, la collection sera divisée entre le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et le Musée Pouchkine à Moscou, où «la vigne rouge» trouvera sa place définitive.

L’oeil de l’oenologue sur “la Vigne Rouge”

Mais la Revue du Vin, en 2013, ajoute un élément étonnant au destin déjà hors du commun de la «Vigne rouge». «Des experts agronomes se sont intéressés à « La Vigne rouge » d’un point de vue sanitaire : à la fin du XIXe siècle, la viticulture subit en effet les ravages du phylloxéra. La teinte rouge et jaune du feuillage en période de cueillette des raisins et l’affaissement au sol des ceps témoignent, selon eux, de la progression irrémédiable de l’épidémie. En 1875, la production viticole française atteignait 84,5 millions d’hectolitres et chuta à 23,4 millions en 1889, soit un an après que Van Gogh eut réalisé sa Vigne rouge».

Aujourd’hui, le vignoble du pays d’Arles s’étend sur environ 1 000 hectares et regroupe 25 domaines produisant vins de pays (IGP) ou appellations d’origine contrôlée (AOP). Les vignerons cultivent des cépages traditionnels (grenache, syrah, cinsault et carignan) qu’ils ont associés à des cépages nobles.

Bernard Chateau,

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