Après 4 années interminables d’hostilités, l’armistice entre les belligérants est enfin signé le 11 novembre 1918.

Carnières n’a guère été épargné par les épreuves, au cours de cette première guerre mondiale; dès le début, le 22 août, combat sanglant de Collarmont, puis déportation en Allemagne de certains de ses fils, perte de nombreux combattants sur le champ de bataille enfin, les contraintes et sévices de l’occupation ennemie, les difficultés de ravitaillement en nourriture, en vêtements et dans tous les domaines.

Et dire, que la plupart des habitants, partageant ainsi l’opinion de la plupart des militaires dans leur optimisme naïf, avaient, en août 1914, fixé à trois mois, au maximum, la durée de la guerre !

On est à peine sorti de cette période très dure, aussi bien pour les soldats qui ont combattu au front, enduré la vie pénible dans les tranchées à l’Yser, les prisonniers de guerre, les déportés soumis aux travaux forcés, aux privations dans les camps en Allemagne que pour les malheureux civil qui ont subi pas mal de vexations et ont dû lutter pour survivre.

A la signature de l’armistice, on se réveille, on accueille chaleureusement le retour échelonné des soldats démobilisés, des prisonniers enfin libérés. Hélas, parmi eux trouvent des invalides qui portant, dans leur chair, des cicatrices indélébiles et puis, il y a le souvenir de ceux qu’on ne reverra plus jamais…

L’enthousiasme est grand pour célébrer le courage de nos vaillants soldats et sublimer la figure de leur illustre chef, la Roi Albert, le Roi Chevalier, un Roi digne des des légendes antiques.

En novembre 1918, tous les Carnièrois manifestent leur fierté d’être belges : le patriotisme national atteint son point culminant.

Le drapeau aux trois couleurs, rouge, jaune et noir, flotte sur toutes les demeures. On ne peut trouver une maison où l’on n’ait pas collé des papiers de couleur ou cousu des bouts de tissu pour fabriquer des drapelets tricolores !

Des « piots», arborant leurs décorations, n’ont qu’un désir, après avoir retrouvé leur famille, c’est de rendre visite à leur ancien instituteur qui, tout ému, les embrasse avec fierté.

Pendant ces quatre longues années, l’enseignement cans les écoles communales a été perturbé, les troupes ennemies occupant sporadiquement les locaux scolaires. Il n’était conc pas question de réjouissance publique, ni de distribution de prix. Les écoliers rêvaient de beaux livres cartonnés, dorés sur tranche, conservés précieusement par leurs aînés et de cérémonies solennelles avec présence des parents.

Durant la guerre et les mois qui suivirent l’Armistice, le préau couvert situé dans la maison communale, entre des classes et des bâtiments affectés aux services administratifs, avait été réquisitionné pour le ravitaillement ce la population en denrées alimentaires, il fallut donc attendre longtemps avant de retrouver les fastes des cérémonies scolaires annuelles.

Enfin, on programma une distribution des prix solennelle pour le début d’août 1920.

Dans la vaste salle, on a placé une rangée de chaises destinées aux autorités communales, derrière viennent de longs bancs étroits, peu stables.

La pénurie d’après guerre a amené toutes les mamans à recourir à bien des astuces pour habiller le mieux possible leur rejeton. C’est à qui sera le plus « propre » !

Peu de diversité dans les costumes des écoliers : tons de couleur sombre (noir, gris ou bleu foncé), veste et culotte courte (couvrant cependant le genou), bottines et bas noirs (en somme, costume d’adulte à échelle réduite).

Quant à l’instituteur, il revêt pour l’occasion ca vieille redingote noire. Il faut savoir que tout bourgeois qui se respecte doit posséder dans sa garde-robe un costume redingote, en drap noir, utilisé lors de son mariage, rarement dans la suite lors de circonstances extraordinaires : visite princière dans la région, enterrement d’un parent proche, d’un haut personnage, etc. et, pour un instituteur, la remise solennelle des prix.

La foule bruyante composée surtout des membres de la famille des écoliers s’en- gouffre par la porte de la Chambre Commune pour trouver, en se bousculant, une place sur les bancs.

Le spectacle se compose de récitations et de chants, tous à tendance patriotique.

Un élève, choisi parmi les plus grands et les bien doués, récite une longue tirade évoquant l’héroïsme du Caporal Trésignies qui se sacrifia pour son pays.

Viennent ensuite les chants.

Sur la scène, les garçonnets, groupés par classe, rangés en gradin par ordre de grandeur croissante, se tiennent debout, rigides, la tête droite.

Devant eux, dos à la salle, l’instituteur, en tenue impeccable, redingote noire, chemise blanche empesée, à col à coins cassés dirige le chœur avec sa baguette de chef d’orchestre (en l’occurrence, une règle scolaire en ébène).

Dans le bas, au pied de l’estrade, Mademoiselle Martin a la tâche difficile d’accompagner les chœurs sur un piano (souvent mal accordé par suite de déménagements successifs).

Les chœurs entonnent un chant de saison : « Ce que c’est qu’un Drapeau ». Refrain : « Flotte petit drapeau, flotte bien haut… »

Les garçons y mettent tout leur cœur et, au refrain, s’animent et agitent, bien haut, leurs petits drapeaux tricolores! L’assemblée, en délire, acclame et répète « Flotte petit drapeau… »

Ce chœur était dirigé par M. Ulysse Deneve, instituteur et excellent musicien.

La partie récréative du spectacle se termine par une vibrante brabançonne exé- cutée par le degré supérieur.

Contrairement à l’habitude on chante plusieurs couplets, la salle entière, debout, se sent à l’unisson et applaudit frénétiquement.

Commence alors la remise des prix avec un défilé des élèves émus et heureux de recevoir des livres en récompense de bons résultats scolaires. l’euphorie du moment, croyait en une Belgique unie, en la paix dans le monde et était loin de prévoir qu’une seconde guerre mondiale éclaterait vingt ans plus tard et que la pauvre Belgique se désarticulerait en 1990 alors qu’une confédération européenne se formait.


L. ANNINO-HECQ.
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