Nous sommes au seuil de la nouvelle année, nous approchons à grands pas de la fin du 20° siècle et déjà, l’an 2000 se profile à l’horizon.

On annonce des bouleversements dans notre vie sociale, à commencer par l’arrivée sur le marché, de la monnaie européenne. Des réformes importantes se préparent dans maints domaines : l’Armée, la Justice, la Magistrature, la Gendarmerie, la Police etc..elles provoquent de fameux débats politiques et parlementaires. Même, on prévoit la revision de notre vénérable Constitution. D’autre part, dans le système bancaire, on assiste aussi à un remue-ménage : des sociétés s’unissent, se désunissent et se réunissent ! Dans l’industrie, des sociétés “célèbres” périclitent, s’allient, meurent, renaissent sous une autre forme ou s’éteignent définitivement. En médecine, les progrès réalisés en chirurgie, en dépistage, en génétique, etc… dépassent de loin notre imagination… En tourisme, on pense à des vacances dans l’espace…Dans l’enseignement, des décrets prescrivent l’application de réformes, qui, bien entendu, sont diversément interprétées et appréciées. Bref, autour de nous, comme dans un tourbillon, tout change et tout évolue à un rythme accéléré.

Parmi les actualités que nous présentent les médias, à longueur de journée, viennent en tête, celles qui concernent les enfants : chaque jour en effet, les écrans nous offrent le spectacle horrible de ces petits êtres squelettiques, affamés par des catastrophes naturelles, des luttes fratricides, des rébellions, des émigrations en masse, des massacres racistes ou encore et, aussi pénible, celui des enfants atteints par ces terribles maladies incurables : lèpre, cancer, sida, etc

Les reportages de disparitions, d’enlèvements, d’exploitation organisée du travail et de la sexualité des jeunes, des accidents mortels d’écoliers sur la route ne cessent de s’imposer à notre écoute.
Ils nous impressionnent…1ls nous émeuvent…ils nous révoltent…
Il nous arrive d’évoquer le passé et de nous demander si avant, au début du siècle, par exemple, les gosses, dans notre pays, dans notre région n’étaient pas plus en sécurité, n’étaient pas plus heureux ?
Question naive et difficile! En langage courant, la réponse n’est pas “évidente” : certains “vieux” ( pour ne pas dire des “croulants” vous diront : “c’était le bon temps pour les petits, d’autres personnes des 4°, et 5° âges, (autrement dit des “gâteux”) répondront : “alors, la vie était dure, même pour les enfants”.
Actuellement, comme en ce temps-là, le bonheur n’est-il pas une denrée rare répartie inégalement sur notre terre et qui ne se mesure ni quantitativement, ni qualitativement ?

Dans notre village, à sa naissance, le nouveau-né n’était pas toujours accueilli avec joie : là où régnaient le désaccord, la maladie, la pauvreté, il n’était pas toujours désiré. Les moyens de contraception, pas ou très peu connus, n’étaient pas conseillés par les autorités morales, au contraire, on encourageait les familles nombreuses à procréer. Ne fallait-il pas repeupler la Belgique après la 1° guerre mondiale?
L’accouchement avait lieu à la maison.
Les anciens racontent avec plaisir à ce sujet : les gamins et fillettes en âge d’école, connaissaient tous quelques personnalités du village comme Monsieur le Curé, l’instituteur, le garde-champêtre, le facteur et aussi “Alcidie” , une sagefemme qui portait les bébés à domicile. On la rencontrait partout, toujours affairée, allant, venant, trottant. Elle avait fort à faire car elle soignait aussi les mamans. Où se procurait-elle ces bébés ? Pas au pays des cigognes, trop éloigné, mais probablement dans le potager de Mr le Curé où l’on cultivait de beaux gros choux. Les enfants moins éveillés qu’actuellement n’étaient pas dupes, il y avait bien une sœur aînée qui moyennant la reconnaissance d’une certaine autorité, donnait les explications voulues avec d’ailleurs le consentement tacite des parents qui évitaient ainsi les questions embarrassantes ( en ce temps-là) de leur progéniture.
Les conditions hygiéniques étaient rudimentaires : pas de distribution d’eau potable, on puisait l’eau alimentaire dans des puits particuliers, situés le plus souvent dans le jardin, non surveillés par un service communal; ou bien on recueillait leau dans une source qui se déversait dans la Haine. Peu d’habitations étaient équipées d’une salle d’eau; pas de consultation prénatale ou postnatale organisée; pas d’intervention de Mutuelle dans les frais médicaux et pharmaceutiques, ignorance de beaucoup de parents, l’instruction n’étant obligatoire que depuis peu de temps, on comptait encore des illettrés; la pauvreté, l’ivrognerie: au sortir de la mine après de longues journées de travail et le dimanche, seul jour de repos, les mineurs passaient par la cantine ou le cabaret proche, ils y trouvaient la “goutte d’alcool” qui les dopait et, à force de répétition, cela conduisait à l’ivrognerie, le fléau de ce temps-là; les épouses et les enfants devenaient les victimes et plongeaient dans la misère. Contre l’ivrognerie, on vota, mais plus tard, la loi dite de Vandervelde.

Conséquence : le taux de mortalité infantile était assez élevé. Plus tard, on créa aussi des œuvres de l’Enfance.

Il est certain que les gosses étaient bien plus en sécurité dans la rue qu’ils ne le sont actuellement : la rue leur appartenait, ils y étaient maîtres, ils pouvaient s’y ébattre à loisir, sans danger, sans nécessité de surveillance.
Ils en profitaient largement vu l’absence ou du moins, le nombre très réduit de véhicules motorisés. A une certaine époque, à Carnières-Centre, on ne connaissait qu’une seule personne à posséder une automobile : le bourgmestre-médecin; parfois les écoliers faisaient la haie, sur le trottoir, attendant patiemment son passage pour admirer sa voiture décapotable qui roulait d’ailleurs à vitesse raisonnable !
Parfois, il arrivait que des passants et même des fermiers conduisant des chariots chargés de produits agricoles devient leur route pour ne pas interrompre un jeu très animé d’une bande de gamins. On n’était pas pressé en ce temps-là !
En relisant des “Feuillets Carniérois”, nous avons retrouvé, avec beaucoup d’intérêt, la relation, riche et abondante, de nombreux jeux et divertissements d’enfants, principalement de garçons de la région de Cronfestu-Morlanwelz.
Les écoles n’étant pas encore mixtes, garçons et filles jouaient séparément dans la rue. La plupart des parents souhaitaient qu’il en soit ainsi; certains même l’exigeaient. Bien sûr, il y avait des exceptions mais le jeu se terminait souvent par des jets de cailloux, des cris, des pleurs, vite séchés, on se dispersait…pour recommencer le lendemain.
Les fillettes jouaient à la balle, au paradis, au saut à la corde, au mouchoir, à cache-cache, etc… mais à l’école, pendant la récréation, la préférence était donnée aux rondes. Qui ne se souvient de : “Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés; c’est la fille du roi, qui les a fait couper.” ou bien “Meunier tu dors, ton moulin va trop fort”. On s’en donnait à cœur joie !
A la maison, elles s’amusaient à donner des soins maternels à leur poupée à pouponner; celle-ci étant le jouet par excellence. Elle était lavée, peignée, brossée, habillée, promenée en landeau. La fillette lui confectionnait à grands points, avec des déchets de tissu, chemises, jupons, culottes, cache-corsets. Très prisés aussi : les travaux de ménagère : on frotte, on balaie, on torchonne, on prépare des tartes avec de la terre mouillée dans des couvercles de cirage etc…
Quand les gosses, après avoir joué sur la Place Communale ou sur une prairie, on un champ en friche (ce qui était encore possible alors) rentraient à la maison pour le repas du soir, essoufflés par la course, les joues rouges, le fond de culotte déchiré, le tablier sali, le sabot fêlé, le genou griffé, prêts à affronter les réprimandes parentales, ils avaient vécu quelques moments de bonheur.. ils étaient heureux.

Avec le recul on ne peut s’empêcher de constater la différence de comportement chez les petits. Il semble qu’ils étaient moins exigeants quant au choix des jouets. Il est vrai que les grandes surfaces n’existant pas, ils n’étaient pas soumis à cette énorme propagande publicitaire; l’électronique et l’informatique ne leur offraient pas encore ces jouets sophistiqués qui les captivent pendant des heures.
Les parents, en général, comprenaient autrement leur rôle d éducateur ! Même dans les familles aisées, ils étaient d’une part plus économes et d’autre part, plus sévères. Les enfants recevaient moins de jouets, ils se contentaient de peu, ils les appréciaient, en prenaient soin, les chérissaient même. Le moindre cadeau était reçu avec joie et reconnaissance. N’étant pas gâtés, ils en fabriquaient eux-mêmes, les garçons avec des morceaux de bois, des boîtes de conserve et les filles avec des déchets de couturière…après tout, cela développait le sens de la créativité si valorisé de nos jours.
On peut faire la même réflexion au sujet des vêtements.
En principe, les parents les choisissaient eux-mêmes et pratiquaient également l’économie : le costume de l’aîné, passait au frère cadet automatiquement, de même pour la fillette, la robe souvent cousue à la maison était prévue d’une taille plus grande; on y ménageait des “bondits” plis cousus parallèlement à l’ourlet du bas et que l’on décousait l’année suivante de façon à allonger la jupe.
Le dimanche seulement, garçons et filles, portaient leurs plus beaux vêtements. On ne jettait pas tout à la poubelle, on pratiquait encore le raccomodage.

En général, les enfants fréquentaient volontiers l’école. L’hiver, certains y trouvaient plus de confort que chez eux, le vieux poële cylindrique en fonte noire, entouré d’une grille protectrice dégageait une douce chaleur.
Les classes comprenaient deux années consécutives dans chaque degré; elles étaient fort peuplées de sorte que l’instituteur pour enseigner, devait maintenir une discipline sévère qui ne serait plus de mise aujourd’hui ! Les leçons étaient moins attrayantes, le matériel didactique plus simple, plus réduit, les livres peu ou pas illustrés ou du moins pas en couleurs, pas de recours à l’audio-visuel; radio et télévision n’existant pas, les méthodes d’enseignement étaient basées en grande partie sur la mémoire. On se souvient de la table de multiplication répétée inlassablement, des règles de grammaire tellement imprimées dans notre mémoire, qu’elles resurgissent spontanément quand nous hésitons au sujet de l’orthographe d’une expression. Malgré cette rigueur, on aimait l’école, on s’ y trouvait heureux. L’instituteur représentait le Savoir, il était respecté; parallèlement, il jouait un rôle social- Son conseil: travailler pour réussir sa vie ! L’institutrice, c’était “Madame”. Elle aussi incarnait l’autorité morale. Outre les règles de conjugaison, elle nous donnait le goût de la nature, de la lecture, du chant, de la poésie même. Elle nous apprenait la politesse… à notre époque, c’est un peu périmé !
On avait plaisir à lui offrir un bouquet de pâquerettes cueillies dans la prairie. On dévastait, en cachette, le jardin de papa pour lui offrir un bouquet de roses “Gloires de Diion”. Bonheurs tout simples..
Conseil pratique qu’elle nous donnait : ” Quand vous serez mariée, pour garder votre mari, faites lui de la bonne cuisine !”
Pendant la 1° guerre mondiale 1914-1918, les enfants ne furent sûrement pas heureux, non seulement ceux qui étaient privés de la présence de leur père envoyé au front ou prisonnier ou déporté mais sous l’occupation allemande ils souffrirent de privations, même beaucoup d’entre-eux de la faim. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Ceux qui ont connu cette période ont tellement été marqués par les restrictions dans tous les domaines et particulièrement dans celui de l’alimentation qu’ils ne peuvent s’empêcher de réagir devant le gaspillage que l’on constate, avec impuissance, aux abords de certains centres scolaires ou publics : des sandwichs bien garnis à peine entamés, des piqueniques entiers, encore emballés…jonchent le sol…
Tant d’enfants meurent de faim !

Quant à la question de bonheur des petits, elle reste ouverte.
Pensons plutôt à l’avenir. Ne donnons pas de conseils, souvent ceux-ci sont inadéquats et mal entendus.
Souhaitons leur de s’adapter sans trop de difficulté aux exigences de la vie actuelle.

L.Annino-Cavalierato Hecq.
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