En cette année de Grâce 2024, la Laetare échoit le dimanche 10 mars, quatrième dimanche de Carême 2024. Parenthèse dans cette période de Carême, le mot latin invite à « être heureux ». Et ça tombe bien : c’est l’idée-même des Carnavals…

Un Gille, à Binche, avec son chapeau

Laetare

Ce sera jours de carnaval à Stavelot, le 519° Laetare qui occupera tout le week-end, et le lendemain. La célèbre Confrérie des Blancs Moussis ouvrira le bal, suivie de 15 sociétés folkloriques locales et de sociétés musicales stavelotaines et étrangères.

source: amicale des Sociétés du Carnaval Louviérois

Ce sera aussi jours de carnaval à La Louvière, et dans d’autres communes de la Région du Centre. Ce sera l’aboutissement d’un long parcours qui aura commencé le 13 janvier pour les premières soumonces en batterie, le 3 février, ce seront les soumonces en musique, sarrau bleu et haute casquette de soie noire. Le 24 février, les soumonces costumées et le 2 mars la sortie à la viole. Le carnaval occupera les journées des 10, 11 et 12 mars.

Carnaval de La Louvière 1985 – affiche Fernand Liérnaux

Mardi Gras.

A Binche, c’est un mois plus tôt, les 11,12 et 13 février, qu’on aura « fait » carnaval, après une mise en jambes similaire. Ce sera le 20° anniversaire de reconnaissance du Carnaval au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Et selon la tradition, le Gille ne sortira son costume et son chapeau que le « mardi gras », défoulement collectif d’avant Carême.

Feureu.

A Morlanwelz, le carnaval aura eu lieu au Feureu, le week-end d’après, soit le 18 février : le premier dimanche du Carême, appelé dimanche de la « Quadragésime », soit cette année le 18 février.

Mais c’est dans toutes les localités des alentours qu’il y aura carnaval, et pas seulement pendant ces trois week-ends. Ainsi, à Morlanwelz, les entités fusionnées ont gardé vivaces leurs traditions: à Mont-Saint-Aldegonde, ce sera le 11 février, et à Carnières le 17 mars.

Et les gilles seront partout de la partie, même si on sait que, s’il « n’est de bon bec que de Paris », il n’est de vrai gille que de Binche…

Carnaval de Morlanwelz 1899 – source Musée Royal de Mariemont

Un rituel.

Partout le rituel sera similaire, du « ramassage » au petit matin, où coulera le champagne des retrouvailles des Gilles, jusqu’au « brûlage des bosses », en passant par le « rondeau » et la rencontre avec les autorités locales. Les grelôts et les sept cloches des apertintailles rivaliseront avec les cuivres, les tambours et les grosses caisses. Des tonnes d’oranges feront l’objet de lancés généreux – on dit qu’il s’en lance 30 000 kilos à Binche. Les 300 plumes d’autruche accrochées en 8 ou 9 hampes de 1,5 mètres pour faire le chapeau de gille, lourd de 3 kilos, virevolteront.

26 airs de Gilles. Et plus…

26 airs de Gilles feront vibrer les poitrails et les murs. En tout cas à Binche. Pas un de plus. La Nuit des Trouilles de Nouilles, seule la société officielle de l’Amicale Cycliste de Binche a le droit de jouer des airs de fantaisie. Uniquement dans les ruelles, et surtout pas dans les rues ou sur la Grand-Place, sous peine de fermes rappels à la Tradition. Des airs de fantaisie que l’on appelle aussi « airs Interdits », afin que les choses soient claires.

Il est pourtant un air, qui fait vibrer à la Louvière, et au-delà, plus que tous les autres. Cet air, c’est « mitant des camps », du nom d’un quartier de La Louvière : littéralement, « au milieu des champs ». Et c’est cet air-là qui fit scandale à Binche en 2015.

Mais ce n’est pas la raison qui fait qu’il mérite qu’on s’y arrête.

Mitant des camps, un coron.

C’est parce qu’il est né dans un quartier dont l’histoire se confond avec celle de l’industrialisation de la Région du Centre, où, en 1878, sera fondée la société de gilles “Les Amis Réunis“, au cabaret “Riritte del manique” où quelques bons vivants comme “Mainil El Grand Djean” ou “Fred El Corbeau” se lancent dans l’aventure. Ce quartier, c’est le “coron” de “Mitant des Camps“. Il y avait là aussi Dessiméon de Bouvy, Louis Tapoteau, Larsimont, Ririte et Jules Staquet. L’année suivante, ils organisent leur premier carnaval de quartier. Et dès 1882, ils participent régulièrement au Laetare de La Louvière.

Il faut bien voir qu’alors, La Louvière, qui doit sa création aux développements industriels d’alors, n’a pas 10 ans ; c’est une loi du 27 février 1869 qui décrètera son érection. Et l’émancipera de son berceau, Saint-Vaast.

Et c’est ce qui fait que les quelques maisons, perdues alors au « mitant des camps », font, au XIX° siècle, place à un « coron » populeux, au milieu des terrils et des châssis à molettes des charbonnages. La vie y est difficile, forcément. Alors, bientôt, une maison sur trois, dit-on, est un café, et les loisirs sont rares. Jeu de balle, jeu de cartes, jeu de bouloir, jeu de fléchettes. Mais une société de Gilles allait prendre le pas sur tous les autres.

Mitant des camps. Un air.

Mais surtout, c’est un air. L’air du « Mitant des camps ». Il serait né en 1885 à la suite d’une « battle » longue et soutenue entre les Gilles de Bouvy et les Amis Réunis. Et bien sûr, les gilles du Mitant des Camps l’emportèrent haut la main.

Mais c’est après la guerre 40-45 que l’air prit une ampleur inédite, qui aujourd’hui encore, « donne les poils » à tous les habitants du Centre et des environs.

Haine-Saint-Pierre Gare de Formation. Source: https://www.garesbelges.be/

Pendant la nuit du 9 au 10 mai 1944, à 3h15, la gare de formation de Haine-Saint-Pierre toute proche est bombardée par la RAF faisant, selon l’expression, des « dommages collatéraux » aux environs, et notamment dans le coron voisin de mitant des camps.

Heureusement, des abris avaient été construits  dans les terrils voisins. L’un par Arsène et Augustin Baras. Du côté de la rue du Mitant des Camps, en face du ” Grand Tor “, un autre par Clément Depreter et Emile Piette. Pour étançonner ces abris, les charbonnages de Sars Longchamps avaient fourni le bois de mine. Les habitants du Mitant des Camps s’étaient regroupés dans ces abris et se mirent à entonner ‘Mitant des camps ne périra pas’, entraînés par Charles et Alexandre Piette, qui avaient fixé ces paroles sur l’air.

Haine-Saint-Pierre Charbonnages

A la sortie de la guerre, sauvés et sortis de leurs abris, « Mitant des Camps » fut repris par la société de Gilles. Et devint vite un air incontournable. Même s’il ne fait pas partie des 26…

Les Gilles et le deuxième sexe

“Faire le Gille” est un privilège d’homme. Un privilège qui exige pourtant l’aide d’une femme, mère, soeur, compagne, encore et toujours. Depuis le documentaire de Philippe Hesmans, en 1999, les choses n’ont guère changé. Même si des impatiences se sont manifestées.

Les tentatives, déjà anciennes, pour qu’il en soit autrement ont trouvé sur leur chemin le poids de la tradition.

Ainsi et toujours à propos de cette société de gilles, « Mitant des camps »: en 1955, on verra le mardi du Laetare, les Amis Réunis en travestis accompagnés de la moitié de leur batterie, alors que l’autre moitié de cette batterie fera danser les femmes qui portaient… le costume de gille de leur conjoint. Sacrilège : certains s’en offusquèrent et l’année suivante interdiction fut faite aux femmes de porter encore le costume de Gille…

Mais cette année, la commission belge de l’UNESCO fera le déplacement dès le lundi des festivités, pour soutenir l’inclusion des femmes dans la tradition à la faveur du jour des “Ladies”, au nom de l’égalité des genres. Ce qui ne signifie pas voir une société de gilles de “l’autre sexe”.  

Le Covid

Plus près de nous, « Mitant des camps ne périra pas » s’est mis à résonner avec une conviction renouvelée : si l’année 2020 commença avec 3 superbes soumonces, le carnaval n’a pas pu se dérouler suite à la crise de la COVID 19. Une annulation historique qui n’avait plus eu lieu depuis la seconde guerre mondiale. Aucun carnaval de la région du Centre n’aura lieu l’année suivante, en 2021.

En 2022, les retrouvailles carnavalesques sont marquées tragiquement par l’accident de Strépy-Bracquegnies.

Alors, il faut vouloir que les ombres et les démons disparaissent définitivement de l’édition 2024 et pour toujours pour laisser place à la joie, à la complicité et à la fraternité.

Et puis, quand les bosses auront été brûlées et que les larmes couleront sur les joues de plus d’un gille – l’émotion aura été trop forte, il reste, jusqu’aux prochaines soumonces, à se laisser saisir par l’ami Julos, qui avait eu la bonne idée d’utiliser la musique d’une société de gilles pour rappeler que si “nous sommes 180 millions de francophones dans le monde, no “ston fièrs d’iesse wallons!”.

Bernard Chateau,








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