Gonzalès Descamps (1) dans ses notes écrivait:

“Une tradition très vivace encore dans ma jeunesse, répandue tant à Carnières qu’aux environs, rapporte que ce village et Morlanwelz furent les témoins d’une grande bataille livrée par les Romains. D’après ces souvenirs très vagues d’ailleurs, le mot Carnières signifierait “Carnage, charnier” et ce rapporterait à ce combat “(2).

Quelques auteurs se sont penchés sur ce problème et ont émis des hypothèses. Leurs conclusions souvent différentes ne permettent pas de trancher avec certitude. Ils font, certes, références à des textes anciens mais leurs interprétations sont souvent abusives.

M. de Benezech de Saint Honoré, maire du Vieux Condé à l’époque, dans ses Etudes sur Jacques de Guyse, rapporte les événements qui nous occupent de cette façon : « C’est vers cette époque (3) qu’on doit placer la sanglante bataille qui eut lieu près de Binche entre les Romains et les Tréviriens. Le champ de bataille prit le nom de Trivières (4) et le carnage le plus affreux fui celui de Morlanwelz ». Jacques de Guyse (5) se faisant l’écho du chroniqueur Hugues de Toul rapporte : « unde locus belli juxta Bin-gam usque… » et poursuit « juxta Bingam, id est Binchium… » (6)

Théophile Lejeune dans sa Monographie ces communes du canton de Binche, déclare qu’ « il faut rejeter parmi les fables les plus absurdes le récit par lequel Jacques de Guyse, d’après Hugues de Toul, fixe à Morlanwelz la bataille sanglante livrée par les Belges aux Romains en l’an 34 de notre ère ».

Tout en réduisant le récit de Hugues de Toul à une simple fable, les traditions qu’il rapporte n’auraient-elles pas trait à un autre combat livré contre les Romains lors de la campagne de César, en l’an 54 av. J.-C., relaté dans les Commentaires de la guerre des Gaules, livre V, chapitre XLVIII.

Le 26 octobre 1876, J. Cambier défendit cette idée dans sa Conférence sur l’origine et l’histoire de Morlanwelz (7). Il rappelle que César marcha au secours de Cicéron campé aux environs de Villers-Perwin, campa lui-même aux environs de Morlanwelz et y situe la bataille entre les Romains et les Belges. Ceux-ci avaient quitté le siège du camp de Cicéron pour marcher au-devant des légions de César. J. Cambier établit son hypothèse sur un calcul des distances qui paraissent être justes.

Napoléon III dans son Histoire de César, avait indiqué, lui aussi, approximativement le même lieu : « Bientôt on découvrit le camp de Cicéron et au loin la fumée des habitations incendiées qui annonçait l’approche de l’armée de secours. Elle arrivait, après cinq jours de marche, à 20 km de Charleroi, près de Binche où elle campa… Le lendemain au point du jour, César leva son camp ; après avoir parcouru quatre mille pas, il aperçut une foule d’ennemis au delà de la grande vallée traversée par le ruisseau de la Haine. César ne crut pas prudent de descendre dans la vallée… il choisit une bonne position pour se retrancher, le Mont Sainte-Aldegonde. »

Victor Gantier (8) suppose que César était à Bray-sur-Somme quand il reçut de Cicéron une lettre lui annonçant qu’il était bloqué par Ambiorix et les troupes belges. partit de Bray, fit sa jonction avec la légion de Fabrus et se dirigea vers Binche où il reçut une deuxième missive l’avertissant de ce que les Belges marchaient à sa rencontre et se portaient devant la grande vallée située au pied du Mont Sainte-Aldegonde. Après avoir fait le récit de la manœuvre de César, Gantier poursuit : « César les laissa approcher sans donner signe de vie. Ils entourèrent le camp placé près de l’endroit nommé La Garde et les Romains persistent à ne pas se montrer ».

Napoléon III et Gantier placent donc le petit camp de César sur le Mont Sainte- Aldegonde et plus précisément sur le versant du hameau de la Gade. Gonzalès Decamps fait remarquer que de cette élévation on découvrait une grande étendue de terrain (toute la vallée de la Haine depuis Anderlues (Bois de la Haye) jusqu’à Haine-Saint-Pierre, Péronnes, Trivières) mais que c’est surtout en face de Carnières à la hauteur du Calvaire et de Morlanwelz que cette vallée s’élargit. De ce côté seulement les bords de la rivière se composaient encore au XIXe siècle, de prairies marécageuses et d’oseraies (Prés à l’Abandon, Prelles, Grands Prés), l’autre côté était jadis couvert de forêts. Les Bois de Mariemont, de la Haye, d’Airmont, de Ligue, de l’hôpital en sont les vestiges.

Y a-t-il eu un combat à Carnières ? L’hypothèse est vraisemblable. Le site paraît convenir à celui décrit par César, mais aucune preuve irréfutable ne peut être avancée.

Gonzalès Decamps rapporte, certes, qu’au bas de la Gade, entre la route de Colar-mont à Mont Sainte-Aldegonde, le chemin du moulin et le chemin des treize bonniers, à une profondeur de 1 m 75 à 4 mètres, on a retrouvé des masses d’ossements de chevaux et d’hommes. Malheureusement, aucune date (9) de fouille ni aucun témoignage écrit ne permettent de vérifier ses affirmations.

La localisation des combats au cours des campagnes de César en Belgique a toujours été difficile. De nombreux endroits ont souvent été proposés pour le même fait d’armes mais très peu peuvent être retenus avec certitude.

Albert TAMINIAUX.


(1) Gonzalès Decamps 1852-1919
(2) une autre étymologie plus vraisemblable est proposée par A. Marré: feuillet n)12 – octobre 1975 : carnus en b as-latin, carninus en haut-latin, carne en roman, c’est-à-dire lieu planté de charmes.
(3) La 5e année du règne d’Auguste.
(4) Cette étymologie est fantaisiste. Jules Monnoyer donne une origine topographique : trois rivières.
(5) Edition du marquis de Fortia t III pp. 464-467.
(6) Vinchant dans les Annales du Hainaut, éd. des Bibliophiles belges, fait remarquer que la bataille eut lieu au-delà du Rhin, aux environ de Bingem.
(7) Emile Geuse – Morlanwelz 1877 in 8° de 70 pp. avec carte
(8) Victor Gantier – La conquête de la Belgique par Jules César, Bruxelles A.N. Lebègue 1882.
(9) Si ce n’est la date de 1901 avancée dans ses notes et faisant allusion à un article paru dans le journal de Mons.
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