Fêté le 3 novembre, ce saint dont on connaît la vie ou tout au moins la légende qui se rattache à lui a effectivement été maintes fois invoqué quand on se croyait – à tort ou à raison – atteint de la rage (1). « La personne qui avait été mordue et qui redoutait ce terrible mal devait se soumettre à un cérémonial long et compliqué. Tout d’abord, elle était tenue de se confesser puis de communier avant de verser le prix d’une messe basse au sanctuaire ardennais (Saint Hubert). Elle devait prendre l’engagement de coucher seule, pendant une semaine, dans des draps immaculés, ou sinon d’entrer au lit tout habillée. Il lui était interdit de dormir à côté d’une étable où gîtait une chèvre-animal impur- ou de consommer son fromage. Il lui était interdit de se peigner durant toute la quarantaine, la neuvaine y compris. De même, interdiction formelle de se désaltérer directement aux sources ou aux fontaines : il fallait utiliser un récipient. Le vin rouge devait être absorbé pur, tandis que le vin blanc devait toujours être coupé d’eau. Etaient proscrits différents aliments : le porc mâle, le chapon, la poule âgée de moins d’un an, le poisson (s’il n’avait pas d’écailles), l’œuf ( sinon cuit dur et saupoudré de sel). Tout mets devait se consommer froid.
La neuvaine terminée, le pansement qui recouvrait la plaie était enlevé et brûlé pendant que le patient jurait de pratiquer l’abstinence le jour du 3 novembre sa vie durant. S’il avait été mordu « à sang » par un animal supposé enragé, l’aumônier des pèlerins le « taillait » ; il pratiquait une minuscule incision sur le front et y insérait un fil de l’étole de saint Hubert, propriété du trésor de l’abbatiale. Cette étole d’une longueur d’un bon mètre et d’une largeur de 42 mm, était censée ne jamais diminuer bien qu’elle fut utilisée depuis le XI siècle. Le « taillé » se voyait également soumis aux prescriptions spirituelles et corporelles énoncées précédemment. Si la morsure n’était pas « à sang », l’aumônier se contentait de donner le « répit », c’est-à-dire de garantir l’immunisation à vie ou pour un certain nombre d’années. Le « taillé » lui-même avait le pouvoir d’accorder répit à un autre, mais pour quarante jours seulement, temps jugé nécessaire pour accomplir le pèlerinage au tombeau du thaumatur-ge. L’effet du virus rabique était suspendu pendant ce laps de temps, croyait-on. Moyennant la remise d’une petite somme d’argent, le prêtre donnait au pèlerin un poinçon d’une vingtaine de centimètres de longueur terminé par une sorte de sceau qui représentait un cornet; ce « cor de St Hubert », rougi au feu, servait à brûler le poil des animaux suspects. Il avait plus ou moins l’aspect d’une clef de Saint Hubert. Certains documents précisaient que le métal brûlant devait être appliqué directement sur la chair vive de la bête. Ce n’était pas précisément fait pour la calmer…
Néanmoins, comme ce modique achat plaçait le pèlerin à l’abri de la rage pendant 99 ans, rares étaient ceux qui s’en privaient. On était persuadé qu’un objet qui avait touché une relique du bienheureux immunisait contre « li grand ma d’sint Humbêrt ». Le commerce des médailles et des bagues à son effigie allait bon train. Si on venait à croiser un chien hargneux, il était recommandé de lui montrer ce talisman en faisant un grand signe de croix. On pouvait associer au geste l’invocation suivante :
« Grand St Hubert qui est dans la chapelle
Qui nous voit, qui nous appelle,
Grand chien, petit chien,
Passe ton chemin, ne me fais rien ».
La foi dans ses pouvoirs guérisseurs devint telle qu’un moine n’avait pas hésité à déclarer que si le Saint-Esprit avait été mordu par un chien enragé, il aurait été contraint d’effectuer le pèlerinage traditionnel pour être sauvé.
Les bonnes gens supposaient que les descendants de St Hubert – on imaginait que son « fils » Floribert avait eu une postérité ! – avaient hérité de ses dons, qu’ils étaient capables de guérir la rage par le simple attouchement des mains.
Les personnes qui se disaient apparentées à la « famille de St Hubert » rencontrèrent en France, une faveur éblouissante sous le règne de Louis XIV. Le plus célèbre des « toucheurs » fut un certain Georges Hubert, « chevalier, issu en droite ligne de la race du glorieux St Hubert d’Ardenne, gentilhomme de la Maison du Roy ».
Il obtint en 1649 du Roi-Soleil des lettres patentes l’autorisant à exercer ses talents à Paris, dans la paroisse de St-Eustache. Le chevalier ne perdait pas le nord et faisait circuler des billets « où il marquait son adresse à ceux qui voudraient se faire toucher ». Malgré les protestations des moines ardennais qui criaient à l’escroquerie, les imitateurs du « chevalier Hubert » se multiplièrent. Ainsi, une famille de gentilshommes artésiens prétendait descendre du saint par le biais d’Euronien, cousin (?) de Floribert. A côté de ces « thaumaturges » introduits dans la meilleure société, on rencontrait sur les chemins des humbles, se satisfaisant de peu : les « colporteurs de St Hubert ».
Vêtus d’une houppelande ou d’un sarrau, ils tenaient à la fois du colporteur et du ménétrier, exhibant une grande boîte où des figurines de cire reproduisaient tantôt la rencontre avec le cerf, tantôt, une image du bienheureux en prières. Ils faisaient commerce de chapelets, de bagues, de scapulaires, bénits au sanctuaire de l’Ardenne et ayant touché – assuraient-ils- les reliques.
Un certificat, délivré à Saint-Hubert, devait attester que ces objets avaient bien été bénits, mais les paysans ne demandaient pas toujours de les produire…
A Paris, parmi les vagabonds et les ribauds qui peuplaient la Cour des Miracles, on vit naître une catégorie de fripons très spécialisés, les « Hubains ». Tous possédaient naturellement le certificat qui leur permettait de jouer le rôle de guérisseurs… contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Plusieurs théologiens eurent beau émettre des réserves sur ces pratiques qui relevaient « de la plus sotte crédulité », ils ne ralentirent pas le flot des pèlerins. Les histoires les plus abracadabrantes devenaient paroles d’évangile. Ne racontait-on pas qu’une bête enragée ne pouvait survivre plus de 24 heures sur le territoire de Saint-Hubert et que les morsures y restaient sans effet ?
Les découvertes de Pasteur bouleversèrent évidemment ces coutumes et ruinèrent un certain commerce. Si la dernière « taille » semble avoir été pratiquée en 1932, on pratiquait encore annuellement à la fin du XIX° siècle, 130 ou 140 incisions… ».
A.M.Marré-Muls
(1) Lire : COLIGNON Alain, Dictionnaire des saints et des cultes populaires de Wallonie,
CONCERNANT SAINT HUBERT
Fêté le 3 novembre, ce saint dont on connaît la vie ou tout au moins la légende qui se rattache à lui a effectivement été maintes fois invoqué quand on se croyait – à tort ou à raison – atteint de la rage (1). « La personne qui avait été mordue et qui redoutait ce…