Dans la revue mensuelle illustrée « Voix Wallonnes » de décembre 1934, Jules Dewert (archiviste de la ville d’Ath, 1862-1939) a étudié le Folklore des mois et entre autres de novembre. Dans son article, il parle abondamment de Carnières et l’occasion est trop belle que pour ne pas publier ses notes.

« Le 1er novembre, jour de la Toussaint, les tombes, au cimetière, sont visitées et fleuries le matin, l’après-midi on s’y rend, en procession, sous la conduite d’un prêtre ; pendant que celui-ci, devant le calvaire, récite les prières des morts, les fidèles, devant les tombes de leurs proches, font les répons. Le soir, on allume des bougies sur les tertres et les pierres tumulaires. Les cloches sonnent pendant la durée de la procession jusqu’à l’arrivée au cimetière, elles sonnent encore au moment où le prêtre rentre à l’église. Les vieillards que leur santé empêche de se rendre au cimetière allument dans leur demeure des bougies que leurs proches ont fait bénir à la messe du matin, à leur intention. Le soir, il n’y a aucune réjouissance, aucune fête et si quelques retardataires se trouvent au café, ils y observent une attitude digne et sérieuse. On se réunit, à la vesprée, en famille, pour manger des ratons ou crêpes, souvenir des gâteaux que les Romains offraient à leurs morts. »

Le texte n’est pas daté; on peut se demander s’il s’agit du cimetière de la Vieille Eglise, désaffecté en 1884 car il s’y trouvait un très beau Calvaire, daté de 1530(2) ou du « nouveau cimetière » dit « ell terre Capron » parce que monsieur Capron avait vendu le terrain à la Commune de Carnières en vue d’y établir un cimetière qui devait être inauguré en 1886 mais entre-temps, Capron mourut et il fut décidé de l’enterrer le premier, en 1884. Un Calvaire avait été érigé au milieu du nouveau cimetière, à l’initiative de Joseph Caudron, curé de 1893 à 1912 et avec la générosité de Maximilien Duvivier qui y fut d’ailleurs enterré en 1897. Alors, de quel cimetière s’agit-il? de quel Calvaire ?

D’autres coutumes étaient en vogue à Carnières, anciennement. Lors des funérailles, le luja (cercueil) était porté par les voisins, contrairement à la coutume ordinaire (3), par les jeunes filles si c’était un jeune homme mort, par des garçons si c’était une jeune fille, contrairement à la coutume ordinaire (4). Lorsqu’un seigneur venait à trépasser, les cloches sonnaient pendant 6 semaines ! (5)

« Le jour des Morts ou des Trépassés, le 2 novembre, appelé en Wallonie jour des Âmes, a perdu, au profit de la Toussaint, l’usage d’honorer les morts. On ne peut chômer, en semaine, deux jours de suite. Il y a une messe, le matin, où l’officiant rappelle les âmes de tous les morts de la paroisse, de ceux pour qui l’on paie, bien entendu. L’après-midi, ce sont les vêpres pour les morts, interminables au gré des enfants qui y assistent sur l’ordre de leurs parents. Les jambes de ces petits remuants fourmillent, à moins que les psalmodies leur versent un sommeil qui fait oublier.

C’est à la Toussaint qu’on se rengage. Les amoureux se rengagent, ils se retrouvent le samedi qui précède la Toussaint et en ce jour de fête lui-même. Les fermiers engagent leurs domestiques à la Toussaint. Ils rengagent donc, d’année en année, ce jour-là, et leur offrent à cette occasion, un petit souper, où sujets et patrons sympathisent à la même table.

Le 3 novembre, fête de Saint Hubert, la messe réunit tous les chasseurs. L’église reçoit d’ailleurs une nombreuse assistance venue pour conjurer le sort. Saint Hubert est un saint que l’on peut invoquer contre la rage et contre tous les maux et maladies, comme aussi contre le mauvais sort. Les tartines coupées à la maison sont étalées sur le dossier des sièges, le prêtre, passant entre les rangées de sièges, les bénit. Ce pain bénit doit se consommer à jeun, on ne le mange que le lendemain avant le déjeûner, on en donne ensuite un morceau à chacun des animaux de la maison ou de la ferme. Dans certaines fermes, on fait bénir un gros pain de deux kilos et demi. Il existe à Carnières, une confrérie de Saint Hubert, où l’on s’inscrit pour un an ou pour cinq ans. On bénéficie ainsi des mérites de la messe du 3 novembre pendant tout un lustre (5 années). L’église possède une statue en plâtre du saint. On y achète une prière et une médaille. Celle-ci est attachée au cou des chiens des croyants. On la suspend aussi au-dessus de la porte de chaque étable ou écurie, en même temps que la médaille de Sainte Brigitte, sainte qui est invoquée également pour les animaux.

Le 21 juillet, le pasteur organise un train de pèlerinage pour Saint-Hubert, en Ardennes. La Saint Martin d’hiver, le 11 novembre, est un jour de grande fête… A Leval-Trahegnies, on fait la kermesse de Saint Martin. Tous les Carniérois se rendaient autrefois à cette ducasse, la dernière de l’année. Les briquetiers, qui sont allés faire une campagne de briques en France, reviennent ce jour-là. A Carnières, les Borains habitant le village promenaient le soir des masques qui effrayaient fort les enfants. C’étaient des betteraves évidées dans lesquelles ils plaçaient une chandelle allumée dont la carté apparaissait par les trous ménagés pour les yeux, le nez, la bouche munie de dents ….

On fait à Carnières, comme ailleurs, dans les sociétés de musique, des banquets en l’honneur de Sainte Cécile (22 novembre), patronne des musiciens. Ces banquets ne se donnent pas nécessairement ce jour-là, mais peuvent être remis à plusieurs semaines plus tard. Les bouchers de Carnières fêtent ce jour-là (22 novembre) la sainte comme leur patronne.

Les jeunes filles, surtout dans les ateliers de couture, se plaisent à Carnières comme ailleurs, à coiffer Sainte Catherine (25 novembre). Elles ornent d’un bonnet en dentelle celle d’entre elles qui a dépassé l’âge de vingt-cinq ans. Avec accompagnement de rires et de chansons elles la reconduisent chez elle. C’est alors une agréable réunion familiale dans la maison de la jeune fille fêtée, si on peut dire. Sainte Catherine est aussi la patronne des verriers à Carnières.

Enfin on sait que les chrysanthèmes des jardins se nomment partout des Sainte Catherine à cause de l’époque de leur floraison (7).

Le dernier jour du mois, le 30 novembre, est la Saint André. Il était autrefois (8) et est peut-être encore un jour important, au même titre que la Saint Remy (15 janvier), pour le paiement des fermages. »

Nous ne pouvons que complimenter Jules Dewert pour la richesse de ses recherches qui nous ont permis, avec délectation, de connaître ou de se remémorer quelques coutumes anciennes liées au mois de novembre.

A.M.Marré-Muls



(1) Aimablement communiquée par jean-Pierre Ducastelle et texte relu par Francine Rosier.
(2) Lire A.M.Marré-Muls A.Taminiaux, Chapelles de Carnières du XII® au XXIe siècle, 2e édition, Carnières, 2008, p.82-84.
(3) Lire Feuillet Carniérois, n° 37.
(4) Lire Feuillet Carniérois, n° 37.
(5) Lire Feuillet Carniérois, n° 40.
(6) On les appelait grigne-dints ou grindins et plus tard, on s’en inspirera lors des fêtes
(7) Il y a un proverbe encore très répandu à Carnières comme ailleurs : « A la Sainte Catherine, tout bois prend racine », préconisant les plantations à cette date.
(8) Et encore de nos jours,
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