Le thème de l’Exposition actuelle, au Musée de la Haute-Haine, à Carnières, évoque chez les survivantes, de l’après-guerre 1914-18, le souvenir d’un événement banal en soi mais qui, vu avec le recul et l’atmosphère dans lequel il s’est passé, constitue un pas dans l’émancipation féminine.

1e décennie du 20e siècle

Dans la cour de l’école communale, l’institutrice agite la cloche à main annonçant la fin de la récréation: les jeux s’interrompent, les bavardages cessent, le calme s’établit, les fillettes vêtues de leur tablier en cotonnade ou en satin noir, se rangent deux par deux, gagnent leurs classes respectives et inclinent la tête en passant devant leur maîtresse. Quel tableau vivant, coloré se déroule ainsi au défilé de ces têtes enfantines aux cheveux quelque peu ébouriffés! La palette d’un peintre
devrait être riche pour décrire la diversité des nuances de ces chevelures : du noir jais au blond cendré, non oxygéné, en passant par toutes les gammes de brun, de châtain foncé au châtain clair (nuance qui domine) et même un superbe roux flamboyant.

Mentionnons, en passant, que les gamins aux cheveux roux étaient sensés être les plus intelligents ! Chez les filles rousses par contre, était-ce une forme de discrimination, on déplorait la présence de taches de rousseur sur la peau, mais on ne soufflait mot de leur intelligence…

En ce temps-là, la population indigène suffisait à assurer le fonctionnement de l’industrie charbonnière régionale de sorte qu’avant l’immigration importante d’une main-d’œuvre étrangère, venue d’Italie, de Turquie, du bassin méditerranéen, le pourcentage de chevelure foncée était moins élevé qu’actuellement A part quelques-unes qui frisaient naturellement, les écolières portaient les cheveux tirés à plat sur le crâne, en longues nattes liées par un ruban, un cordon, voire un bout de lacet (on chaussait des bottines à lacet).

Le dimanche et les rares jours de fête, il était permis d’étaler les belles crinières sur le dos.

Sur les photos de cette époque, les fillettes, apprêtées pour la prise de vue, un événement, ont souvent une longue mèche enroulée, en tire-bouchon, devant l’épaule et terminée par une «tomate» nouée avec un ruban blanc et une grande cocarde sur la tête. La veille, on trempait la mèche de cheveux dans une soucoupe de vraie bière de table (au houblon) additionnée de sucre en morceaux puis on enroulait les cheveux, mèche par mèche, sur des bigoudis composés d’une languette de cuir fin, cousu en corde, d’une dizaine de centimètres.

Pour entretenir ces chevelures abondantes, il fallait certes user d’une bonne dose de patience. Les salons de coiffure pour dames n’existaient pas de même que les sèche-cheveux, les casques, les shampooings, les fixateurs et quantité de produits capillaires. On utilisait les savons de toilette, peut-être même ceux que l’on employait pour les lessives courantes : briques de Sunlight et de savon de Marseille.

Nos grands-mères se servaient d’une décoction de graines de lin en guise de fixateur et d’eau de camomille pour les toisons blondes. On trouvait dans le commerce du pétrole “Han” pour renforcer le cuir chevelu, une brillantine destinée à faire briller les cheveux foncés et à encrasser les taies d’oreiller… au grand dam de la ménagère.

A l’école, l’institutrice exige de ses petites élèves une coiffure soignée, des cheveux bien peignés, tirés derrière les oreilles, le front dégagé; interdits les cheveux flottant autour des yeux, les “chiennes” à l’instar de nos speakerines de TV car cela aurait une influence néfaste sur la vue !

La maîtresse d’école doit aussi lutter contre la présence de parasites et user de diplomatie pour tenir à l’écart les “porteuses” afin d’éviter la contamination de toute la classe. Pas de DDT, à cette époque, cependant, il existe déjà des peignes à poux. Dans les pensionnats pour demoiselles, le règlement se rapportant à la coiffure est strict. Une vieille dame raconte qu’étant pensionnaire dans une école normale de l’Etat, elle s’est vue obligée de se passer la tête sous le robinet parce qu’elle avait eu la coquetterie et l’audace d’utiliser en cachette, quelques bigoudis pour se friser les cheveux à l’occasion d’une assistance en ville, à une cérémonie patriotique.


Les femmes enroulaient leurs cheveux en chignon, sur le haut du crâne ou dans la nuque mais lors d’une circonstance spéciale, un mariage par exemple, elles montaient de véritables échafaudages, de touffes de cheveux, savamment équilibres sur lesquels elles posaient le chapeau fixé par de longues épingles à chapeau munies de têtes décorées (ce type d’épingle a provoqué pas mal d’accidents).

En rue, le chapeau est de rigueur. Une femme “convenable” n’oserait pas pénétrer dans une église, tête nue ! Aussi, le dimanche matin, les élégantes se rendent à la grand-messe, coiffées en été, de grands chapeaux de paille ornés soit de rubans, soit de fleurs artificielles, marguerites, myosotis, roses, œillets, épis de froment, etc… parfois des fruits se mêlent aux fleurs : cerises, prunes, même grappes

L’hiver, feutre et velours remplacent la paille; dans la décoration apparaissent des éléments ornithologiques : plumes, aigrettes, ailes d’oiseaux exotiques, etc… de quoi alerter aujourd’hui nos écologistes !

Les chapeaux, qu’ils soient monumentaux ou réduits à un casque ou une assiette garnie, suivant les fantaisies d’une mode variable, sont confectionnés par des modistes spécialisées qui exposent leurs compositions artistiques dans leurs vitrines. Elles n’ont d’ailleurs pas la tâche aisée, ces modistes; leurs clientes sont exigeantes et répugnent aux articles de série, elles demandent des coiffures individuelles, personnalisées, adaptées à leur physique (leur “look”).

Au début du siècle, les personnes âgées voulaient conserver leur identité et adoptaient, avec des vêtements de couleur sombre, noir ou bleu foncé, des coiffures nettement différentes de celles des adultes : nos grands-mères se coiffaient de capotes, parfois très travaillées tandis que les fillettes portaient des “charlottes” en broderie blanche empesées à volants.

L’usage généralisé de l’automobile a sonné le glas du port du chapeau féminin et par le fait même, porté atteinte à l’élégance de la femme et malheureusement fait disparaître une profession, source de nombreux emplois directs et indirects.


Les hommes avaient généralement les cheveux courts coupés à la brosse et l’on rencontrait de jolies moustaches à la gauloise qui plaisaient à la gent féminine ! Quel serait l’ahurissement de nos grands-parents s’ils se trouvaient en présence de jeunes adolescents aux cheveux d’hommes préhistoriques, aux cheveux permanentés, frisés ondulés, aux queues de cheval, aux crêtes de coq, etc.?

A Carnières, deux coiffeurs connus se partageaient la clientèle, l’un habitant, place communale, l’autre aux Trieux. Ils ne travaillaient pas à temps plein car ils exerçaient une autre profession et pratiquaient la coupe de cheveux dans la soirée après le travail quotidien. Leur rétribution était d’ailleurs modeste.

Pendant la guerre mondiale, 1914-18, sous l’occupation allemande, la population se préoccupe essentiellement de survivre et de palier au ravitaillement déficitaire. Après la signature de l’armistice, le 11.11.1918, soldats et prisonniers de guerre regagnent leur foyer, les manifestations patriotiques se multiplient, la vie sociale renaît, la jeunesse s’éveille, les modes nouvelles peu à peu apparaissent dans les domaines les plus divers. Il règne un véritable brassage d’idées, une évolution rapide dans les relations avec l’étranger, dans les mœurs.

On entend parler de Paris, de music-hall, de Maurice Chevalier, de Mistinguett, grande animatrice de spectacles, (Elle porte les cheveux courts), et de bien d’autres célébrités.

A Carnières, des jeunes personnes, venues de la capitale et de la ville apparaissent portant les cheveux courts. Cela fait sensation. Les commères s’exclament: “ce sont des artistes !”, réflexion à sens péjoratif. Même les gens dits “bien-pensants” ne sont pas loin de considérer ces dames aux cheveux courts, comme des “femmes légères”.

Malgré cela et peut-être à cause de cela, un engouement naît, la contagion des modes aidant, les jeunes filles et même des personnes adultes rêvent de se faire couper les cheveux.

Il faut se rappeler qu’à cette époque et, particulièrement dans les milieux dits “petits bourgeois”, les enfants et les adolescents sont élevés dans un régime de sévérité et d’austérité inconvenable de nos jours…

Une jeune fille doit obligatoirement être accompagnée d’un aîné, lors d’une sortir.

Impensable qu’elle fasse preuve de personnalité dans le choix d’une robe, d’un chapeau et même dans celui d’un époux…

Et cependant la mode se propage, toutes les jeunes filles veulent se faire couper les cheveux… Parfois elles se heurtent à l’opposition nette des parents, parfois elles sont aidées par l’un des deux parents, souvent la mère plus compréhensive et estimant la facilité d’entretien; le père, plus réticent finit par se laisser attendrir.

L’autorisation difficilement obtenue, elles se rendaient enfin chez le coiffeur, accompagnées de leur mère. Faut-il l’avouer – Etait-ce de la sensiblerie ? Certaines personnes se souviennent d’avoir eu les larmes aux yeux en voyant tomber une chevelure sous la coupe du coiffeur.

Si les femmes à Carnières ne portaient pas le pantalon classique masculin, ni les pyjamas collorés, fantaisistes de nos jours, elles “portaient parfois la culotte” et de ce fait, étant donné le côté pratique, elles osèrent se couper les cheveux. Scandale ! Des maris se fâchèrent, l’harmonie du ménage en pâtit, des querelles s’ensuivirent…

D’après les dires des sociologues, cet événement qui nous semble aujourd’hui plus que banal, n’était-il pas un petit pas en avant vers l’émancipation de la femme, une marche inexorable vers le progrès. La femme ne sera plus jamais considérée comme un objet ou un être inférieur mais comme un partenaire à part entière.


L. Annino-Cavalierato-Hecq

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