Une enfant prodige
Elle est née à Cheratte en 1887, c’était un 6 janvier, comme aujourd’hui.
C’est à 6 ans que la petite Berthe Bovy fait ses premiers pas sur scène. Elle récite deux fables de La Fontaine devant son premier public.
A douze, elle assiste à une représentation de Britannicus et elle décide qu’elle sera comédienne.
L’année suivante, elle se débrouille comme une grande pour rencontrer la grande Sarah Bernhardt, de passage à Liège. Elle ne sait pas encore qu’elle lui donnera plus tard la réplique.
Elle se cache derrière un pseudonyme pour ses premiers rôles : Berthe Body.
A 20 ans, à la Comédie Française

A 20 ans, elle rentre à la Comédie Française. On se souvient d’elle, tour à tour dans Poil de Carottes, où elle avait 13 ans, mais 40 ans dans la Voix Humaine, et 80 ans dans la Vieille Maman…
Elle est sociétaire en 1920, retraitée en 1941 – et sociétaire honoraire en 1946. Elle y fera une «seconde carrière» entre 1950 et 1967.
Une éviction qui cache la jalousie de trois divas, sociétaires
Son parcours à la Comédie Française vaut une explication. Tout à son honneur. Mais pas forcément à celui de son illustre employeur: en 1941, elle refuse de participer à une tournée de la Comédie en Allemagne et claque la porte. Enfin, on lui signifie son congé, le 26 avril 1941, Elle jouera moins. C’est le prix de la fidélité à ses valeurs. Et la conséquence de quelques rancoeurs… Mais la fin de la guerre, le Conseil d’Etat réintègre Berthe Bovy, l’enfant terrible de la Comédie française, qui en fait d’abord une sociétaire honoraire. La raison: la décision n’avait pas été publiée au Journal Officiel, et par ce manque, elle ne pouvait avoir force exécutoire… Et voilà donc Berthe Bovy, réintégrée, mais fort peu d’abord, à défaut que ce soit dans ses droits et privilèges de sociétaire…
C’est que dans le beau monde du théâtre, et de cette Grande Maison, les perfidies sont une seconde nature. Ainsi le Comité qui décida de son renvoi était composé d’André Brunot, Doyen, Denis d’Inès, vice-doyen, Pierre Bertin, Debucourt, Aimé Clarion, Madeleine Renaud, Marie Bell et Mary Marquet. Il faut dire, nous apprend « 7 jours » du 5 mars 1944, que Berthe Bovy s’était faite quelques ennemis coriaces au sein de la Maison de Molière, en raison de son fort caractère, et… « de son talent » écrit le journal. Et surtout quelques concurrentes déterminées. Madeleine Renaud avait été l’épouse de Charles Grandval, après Berthe. Elle trouva là motif à son vote, à défaut d’en constituer une juste raison. Et Marie Bell et Mary Marquet, d’ordinaire « à couteaux tirés », s’étaient entendues contre une rivale en talent, la « petite doyenne » à ce moment-là de la troupe féminine. Tout cela n’a pas empêché les mêmes de plaider pour son retour comme sociétaire honoraire… c’est-à-dire rien. Il fallait éviter une réintégration, qui aurait coûté cher à l’institution, d’autant qu’avec Berthe Bovy, il y avait Mme Ventura, Mme Dassane, à 10 douzièmes, et Jean Hervé, à 10 douzième qui avaient été entassés dans la même charrette… Lucide et sarcastique, Berthe eut ces mots lors de son éviction, qu’elle dénonça ainsi: « ces anthropophages qui ne mangent que du sociétaire »…
La Voix Humaine

Un de ses plus beaux rôles fut « La voix humaine », de Cocteau. Une pièce pour un seul personnage: une femme au téléphone, parle une dernière fois à celui qu’elle aime.
«J’ai le fil autour de mon cou… J’ai ta voix autour de mon cou».
C’est très beau. Assez désespéré. Ampoulé, comme alors. Et d’une autre époque, celle des «Demoiselles du téléphone». Des conversations coupées, et des oreilles indiscrètes.
Berthe Bovy, une femme de caractère
On l’appelait affectueusement «Verte Boby». Ce qui lui allait à merveille : elle eut trois maris. Son dernier, Pierre Frenay, son élève, de 10 ans son cadet, ne tint pas davantage que les deux premiers. Mais de son fait à lui.

Elle lui doit tout de même une prometteuse bague de fiançailles, comme toutes les bagues de fiançailles, réalisée dans le style art déco, achetée à la bijouterie E. Forest Joaillier de la rue Rivoli à Paris. En or 18 carats, elle est ornée d’une améthyste taille ovale. Le corps de bague est fait de quatre fils avec palmettes. Le chaton est ajouré, à quatre griffes doublées. Elle sera léguée en 2015 au Musée de la Vie wallonne de Liège.
Elle lui doit aussi une apostrophe, restée célèbre, qu’elle tonitrua et dont elle se serait sans doute bien passée. Prodigieuse à l’écran et sur scène, elle ne l’était pas moins dans la vie, où elle était capable d’esprit. C’est ainsi qu’en apprenant que Fresnay avait cédé au charme d’Yvonne Printemps, alors mariée à Sacha Guitry, elle interpella l’auteur du mémorable « si Versailles m’était conté… » d’un tonitruent :
» Sacha, nous l’sommes ! »

Ce qui ne la dispensa pas d’ouvrir un compte au nom de Pierre Fresnay sur lequel elle lui reversait ses pensions alimentaires, au cas où Yvonne Printemps l’aurait quitté. Mais Frenay et Printemps se sont aimés pendant un peu plus de quarante ans.
Le théâtre, mais aussi le cinéma et la télévision
A quatre-vingts ans, elle monte toujours sur les planches, dans Tartuffe de Molière. On la verra encore à la télévision l’année suivante dans un… Simenon… un Commissaire Maigret, avec Jean Richard. Au cinéma elle jouera dans 200 films. Au temps du muet. Au temps du parlant. Et elle aura partage l’affiche avec Noël-Noël, Fernandel, Danielle Darrieux, Bernard Blier, Micheline Presle, Michel François, Marc Allégret, Danielle Darrieux et tant d’autres…

Bon sang ne peut mentir
Berthe Bovy, malgré son succès parisien, a toujours eu la fierté de ses origines wallonnes. Décédée à 90 ans, à Montgeron, station de villégiature pour la bourgeoisie et les artistes parisiens dès le XIX° siècle, elle se fera inhumer au cimetière Sainte-Walburge à Liège. Mais elle a de qui tenir. Son père n’était rien moins que «Tchofile» Bovy. Il était journaliste, poète, auteur dramatique. Et est resté dans le mythe wallon par les paroles de son «Chant des wallons», qui commence ainsi:
Nos estans firs di nosse pitite patreye,
Nous sommes fiers de notre petite patrie,
Ca lådje et lon, on djåze di ses efants.
Car de tous côtés, on parle de ses enfants.
Bon sang ne peut mentir…
Car sans doute pensait-il au plus profond de lui: ladje et lon, on djaze di Berthe?
Bernard Chateau,