Deux actes passés, l’un le 8 janvier 1762, l’autre, le 10 décembre 1770 nous renseignent tant sur l’importance de l’exploitation et les coutumes de l’époque que sur les exigences qu’avaient les propriétaires au XVIIIe siècle.

Par le premier acte analysé et « passé devant les hommes de fief du pays et comté de Hainaut » Joseph Cottin renouvelait son bail avec « le sieur Durieu, greffier en la noble et souveraine Cour de Mons » pour une durée de neuf ans, à commencer à la Saint-André 1762 (1); par le second passé le 10 décembre 1770, le même « censier de résidence à la cense du Beauregard » renouvelait l’acte précédent pour une nouvelle période de 9 ans. Trois baux de neuf ans ont donc certainement été passés et la ferme du Beauregard exploitée par Joseph Cottin, de 1753 à 1770 au moins.

Après avoir détaillé les biens donnés en location et précisé leur situation et leur importance (« soixante dix-sept bonniers et demi de terre labourable et quatre-vingt onze bonniers deux journels de prés et pâtures »), les actes apportent des précisions de toutes espèces.

« Les parties situées sur le territoire de Carnières ne sont sujettes à aucun droit de terrage (2) à la dite seigneurie». Les garanties données par le propriétaire ne sont toutefois pas toujours aussi absolues comme le montre l’extrait suivant : « les vingt-neuf •à trente bonniers de terre labourable, en une pièce, sous le Piéton, sont francs de dime sans par le dit scieur Durieu lui en faire aucune garantie ».

Les terres devront être bien entretenues et les contrats stipulent que « le dit Cottin doit fumer, chauler et marler (3) d’une pleine ou de deux demi-fumures les prés et pâtu-res, les préserver de creux et cavains (4) ; quant aux terres labourables, elles devront être conduites selon leurs droites royes sans les pouvoir déroger ni laisser en friches… »

Si l’exploitant doit préserver les prés et les pâtures de toutes mauvaises plantes et broussailles, il veillera aussi à ce que les haies soient bien entretenues et les pieds dégagés pour que « l’on puisse aller à l’entour à coups de faulx». De plus, aucun chemin ni sentier ne pourront se créer sur les terres : « préserver de toutes piécentes et chemins inusités sans en permettre ni souffrir aucun extraordinaire ».

Les charges sont lourdes pour l’exploitant, n’en prenant comme exemple que : « payer chaque année en décharge du sieur Durieu, trois rasières (5) de blé aux pauvres de Chapelle-lez-Herlaimont (un bonnier et demi et deux journels se trouvaient sur le territoire de Chapelle-lez-Herlaimont), vingt-huit livres à la recette de la Commanderie du Piéton et un vassau d’avoine à la Prévôté de Sars-le-Moine». La mention « et toutes autres rentes, s’il en est, seigneuriales ou non » est significative.

De plus, Joseph Cottin s’engageait à livrer « franc de tous frais» chaque année, chez le propriétaire, « sur le grenier de son domicile de Mons» une certaine quantité de céréales : « quatre muids (6) de froment, quatre muids de seigle, six muids de sucoron (7) et huit muids d’avoine, le tout beau et bon» (à noter que la mesure de Binche est bien stipulée dans le texte). Le « sieur Durieu » attendait aussi, chaque année, outre la livraison de « trois couples de poulets et un agneau gras ou cochon de lait, onze cents livres argent courant, en son domicile de Mons, le tout franc de tailles, contributions et impositions prévues ou non prévues, mises ou a mettre pour quelle raison que ce soit ».

Après de nombreuses lignes précisant ces fournitures, on en arrive à parler des corvées imposées. « Trois corvées de chariot attelé de quatre à six chevaux, distantes d’au moins cina à six lieues de la cense». Si toutefois le « dit Cottin» n’a pu faire ces corvées dans l’année, « il sera dans l’obligation de les faire une autre année à la demande du dit sieur Durieu ».

De nombreuses lignes précisent les points relatifs à l’entretien des biens donnés en location.

Si le locataire peut utiliser à son profit les « tondailles» des haies, il ne pourra les élaguer pendant les trois dernières années du bail. Il ne pourra pas couper les chênes et les frênes poussant dans les haies mais devra les élaguer soigneusement. Quant aux arbres fruitiers qui viendraient à périr, ils seront remplacés et « relivrés bien repris à la fin du bail». Le locataire peut toutefois jouir du bois de ces arbres morts. Stipulé aussi dans l’acte que dix nouvelles greffes de courts-pendus, belles-fleurs (8) ou autres bons fruits seront fournies chaque année « s’il arrive qu’on veuille applanter quelque nouvelle partie ».

En ce qui concerne les bâtiments de la cense, les précisions ne manquent pas Les couvertures en paille, faites où à faire, seront à la charge et entretien du sieur Cottin pour ce qui concerne la fourniture des pailles, la main-d’œuvre restant à la charge du propriétaire. Les couvertures en ardoises, faites ou à faire seront en totalité à la charge et entretien du propriétaire.

Après avoir détaillé l’inventaire des biens donnés en location, stipule les obligations du locataire tant en versements d’argent qu’en livraisons en nature, précise différents points, tels l’entretien des terres, des arbres fruitiers, des haies et des bâtiments, l’acte se termine par une clause qui pourrait surprendre, peut-être, aujourd hui. « Le sieur Durieu se réserve, tant pour lui que pour sa famille, le pouvoir d’aller chaque année passer trois semaines au plus, à la dite cense et de jouir pendant ce temps du produit de la basse-cour et des provisions du ménage du dit Cottin, lequel devra en outre, en toute occasion, à la demande et réquisition du dit sieur Durieu, lui fournir, gratis, l’aide d’un domestique avec un couple de chevaux pour atteler à sa voiture et même son chariot attelé toutes les fois qu’il en sera requis pour le transport des bagages. Il est enfin convenu que pendant une quinzaine, chaque année, le dit sieur Durieu pourra envoyer ses chevaux chez le dit Cottin pour y prendre le vert sans en rien payer. »

« Ainsi fait, passé et convenue à Mons, le 10 décembre 1770. »

Il y a deux cents ans de cela !

A. TAMINIAUX.

(1) La Saint-André. Le 30 novembre marquait le début et à la fin des baux agricoles. A cette date, les locataires versaient le montant du fermage : les travaux des champs étaient terminés et une partie des récoltes avaient été vendues.

(2) Le terrage était un droit féodal par lequel le seigneur prélevait du blé sur les récoltes d’une ferme. Ce droit était souvent très lourd et n’a été aboli qu’à la Révolution française (après 1789).

(3) Marler : amender une terre avec de la marne.

(4) Cavains : creux.

(5) Rasières : voir « Feuillets Carniérois» n° 18. A. Marré. Poids et mesures utilisés à Carnières.

(6) Muids : ancienne mesure de capacité, la valeur variait suivant le pays et la matière.

(7) Sucoron : escourgeson

(8) Variétés de pommes


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