Notre histoire commence en 1898… à Chênée, près de Liège. Et elle est signée par un jeune immigré italien, Antoine Marziale… Une belle invention. Et une formidable réussite. Qui durera un siècle…

C’est en effet Antoine Marziale qui va introduire l’idée d’une crème glacée à la vanille, enrobée de chocolat, sur un bâtonnet de bois…

Et notre Antoine s’en va, poussant sa charrette à bras, dans les rues, et s’annonce d’un tonitruant: «mio gelato, mio gelato!»… « Ma glace, ma glace!»… C’est ainsi qu’il invente sans le savoir une marque mythique, qui va s’incruster jusqu’à contribuer aux nostalgies de l’enfance : MIO. Bientôt, on trouvera ses crèmes glacées dans les cinémas, à l’entracte, et autour des terrains de foot.

On lit aussi, à peu près au même moment, une histoire assez similaire, avec certain Luis Ortiz Martinez, dont on aura deviné l’origine espagnole. Luis naît le 14 février 1889 à San Pedro del Romeral, au nord de l’Espagne. Dans cette région les gens vivent des produits laitiers et mangent de la crème glacée. Mais ça ne suffit pas à retenir la jeunesse dans la campagne reculée.

En 1905 Luis traverse les Pyrénées. Direction : la Côte d’Azur bien sûr ! Là-bas, il vend à la sauvette des gourmandises saisonnières dont de la crème glacée. Un cousin d’Ortiz, ayant voyagé aux USA, y a découvert les “eskimo pie”, crème glacée enrobée de chocolat et montée sur un bâtonnet. On y reviendra. Il parle du concept à Luis qui décide de le reproduire et de les vendre à la sortie des cinémas de la Ville, Saint-Dizier, le samedi soir ou dimanche après-midi, où ses fils, les “Titiz”, se postent aux entrées…

Les Glaces Ortiz

La camionnette Mio à Ostende devant le futur MuZee
La camionnette Mio à Ostende devant le futur MuZee

Mais refermons cette parenthèse franco-espagnole et revenons à Chênée et à la belle aventure d’Antoine Marziale. Après la guerre, ce sont les fils Cosme et Dominique Marziale qui font tourner la turbine, et diversifient la gamme. Les camionnettes remplacent les charrettes à bras, et vont de porte en porte. Fin des années 1970, les petits-fils, Robert et Jacques Marziale, reprennent le flambeau et développent l’exportation.
MIO a occupé jusqu’à 115 ouvriers et l’été, ils étaient jusqu’à 250 pour fabriquer plus de 40 millions de litres de glace par an. Toujours sous la marque Mio, mais aussi sous des marques de distributeurs, et quelques autres, comme Miko du groupe Unilever, deux cent cinquante produits différents sont produits, comme les Cornettos, les Spirellos et le million de bouteilles de crème glacée «Champagne»…

Mais la concurrence des grandes multinationales va grignoter les parts de marché des petits producteurs locaux. En 2005, le glacier Ijsboerke rachète la société et en 2007, la marque passe dans le groupe BIG (Belgian Icecream Group). En 2011, les deux petits sièges du groupe, celui d’Artic à Kuurne et celui de Chênée, ferment.

frisko

frisko

A propos, savez-vous ce qu’est une «antonomase»? Un nom propre qui se confond avec un nom commun. Artic, dans les années ’50, protège la marque « frisko ». « Frisko » désignera bientôt cette crème glacée à la vanille, laquée de chocolat, enrobant un bâtonnet que l’on tient en main pour la manger. Et on prend un frisko à l’entracte à l’ouvreuse qui y va de son « frisko – chocolat glacé »…

Mais Frisko non content d’être une antonomase, est aussi un belgicisme. Il n’y a qu’à Bruxelles et en Wallonie qu’on utilise ce mot. En Flandre on parle de ijsko. Et essayez de demander un frisko à Bormes-les-Mimosas ou au Touquet – Paris – Plage… Là, on dit : Esquimau. Comme en Amérique et au Canada.

«Esquimau», c’est aussi une antonomase. S’il vient d’Amérique, où on écrit Eskimo Pie, le terme est francisé et déposé par Gervais en France en 1928. Et aussitôt commercialisé. Lors de l’exposition coloniale internationale de 1931, l’esquimau glacé «made in France» est présenté aux Parisiens. Et il devient populaire, sur les plages, lors des premiers congés payés de 1936.

Mais qu’y a-t-il à l’origine derrière les mots “esquimau” ou “Eskimo”? Des  populations différentes, mais “minoritaires et opprimées”, les Inuits et Yupiks. Et les principaux concernés déplorent, en tout cas c’est ce qui se rapporte, la négation de leur identité que recouvre ce nom donné par les colonisateurs. Alors, la vague de wokisme aidant, il s’agit de gommer le mot “Esquimau”: cent ans après sa création dans les années 1920, Dreyr’s Grand va donc changer le nom de son produit. “Nous nous engageons à participer à la lutte pour l’égalité raciale et nous reconnaissons que ce terme est inapproprié”, a déclaré la directrice du marketing de l’entreprise dans un communiqué, suivant ainsi Banania, Quaker Oats et Oncle Ben’s.

“Inapproprié”. Avez-vous remarqué l’usage qui est fait de ce mot, ces derniers temps ? Et la quête de ce qui mérite d’être encore qualifié d’ “approprié”.

Au Danemark, c’est aussi chose faite: un fabricant de crème glacée danois centenaire, Hansens Is, a rebaptisé sa crème glacée jusqu’ici appelée « Eskimo » (« esquimau »), car le terme rappelle aux Inuit et autres peuples de l’Arctique “un passé d’humiliation et de traitements injustes”, une initiative saluée par une députée groenlandaise, qui appelle le reste de l’industrie à l’imiter. Après mûre réflexion, nous avons décidé de donner à notre barre glacée un nouveau nom plus approprié, à un moment où se multiplient les débats publics sur les traitements dérogatoires et les inégalités à l’égard des minorités et des peuples autochtones“.

esquimau Kongo
esquimau Kongo – Hansens

Aaja Chemnitz Larsen, une des deux députées représentant le Groenland au Parlement danois, a salué la décision de Hansens Is, en rappelant que le terme signifie mangeur de viande crue – même si l’étymologie est l’objet de débat entre linguistes.

On ne sait ce qu’il est advenu de l’ “esquimau Kongo”, au chocolat noir, qui cumule la qualification plurielle de “termes inappropriés“…

Bernard Chateau,

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