Une histoire autour d’in bia p’tit effant

En 1974, il y a un demi-siècle, Julos Beaucarne nous faisait beaucoup rire, avec un texte qu’on trouverait sur son LP « Le Front de Libération des Arbres Fruitiers »… C’était l’histoire d’un bia p’tit effant,
un bia ptit effant come çoulà, sais-tu, on n’en avait jamais vu, mmm!
Imagine un peu: de belles petites crolles, de belles petites menottes
Poucet, Laridet, Grande Dame, Jean des Sceaux, Petit Courtaud, Petit courtaud!
Ça ne s’était jamais vu!
Mais cet enfant-là avait dû attendre plusieurs jours pour recevoir ses premiers cadeaux :
Les rois mages, tu sais bien, les grands efflanqués de l’Écriture Sainte
Ils étaient partis six mois à l’avance sur deux gros chameaux
« Où c’est que vous allez? »
« On s’en va porter les cadeaux à l’enfant-Dieu »
« Allez-vous le trouver seulement? »
« Y a qu’à suivre l’étoile »
Mais y en avait un maudit paquet, d’étoiles
La Grande Ourse, Véga, Arcturus, tout le bazar
Ils se sont trompés plusieurs fois de chemin, ils sont arrivés dix jours en retard
Mais cet enfant-là aurait pu mourir d’une pneumonie en les attendant!
Heureusement
Ça, c’était pas écrit dans l’Évangile
Toute la sainte Famille était obligée de rester dans l’étable
Ils pouvaient pas s’en aller
Les rois mages, ces saisis-là
Avaient écrit qu’ils venaient!
En plus, ils arrivent avec leurs cadeaux
Mais devine un peu quels cadeaux
De la myrrhe et de l’encens pour un bébé naissant!
Eh bî c’t ainsi!
Ça c’t’ un bia cadeau!
Faut dire qu’ils n’avaient pas fait les magasins longtemps pour trouver ça!
Ils auraient pu acheter des chaussons, comme tout le monde
De l’encens, Maria Dei!
Remarquez que d’un côté
Avec les deux animaux qui étaient dans l’étable
Un peu d’encens, eh ben
Ça n’a pas fait de tort, hein
Et pas de galette?
La vérité de la légende est bien sûr ailleurs : l’encens était pour la divinité et la myrrhe pour l’humanité de Jésus. Une façon de signifier qu’il était à la fois roi, Dieu et homme mortel.
S’étonner qu’ils n’aient même pas pris avec eux une… Galette… des Rois… Anachronisme : son histoire restait alors encore à inventer. Quoique…
Car l’histoire est bien plus complexe, bien plus floue – et finalement – bien plus ancienne – qu’on ne le penserait…
Les Rois Mages
Alors, est-elle vraiment liée aux Rois Mages?

On apprend de source sûre qu’on n’est pas sûr de leur existence. Mages peut-être, tout au plus… Mais leurs noms… leur nombre… Alors là…. Et puis tout ça serait bien une tentative des autorités chrétiennes pour ramener à elles et à la morale les brebis égarées par les cultes païens.
Car, dans des références qui amalgament solstice d’hiver et culte solaire, dans un calendrier où Epiphanie et Noël se sont disputés la naissance du Christ, c’est bien à l’époque romaine qu’il faut remonter.
Solstice d’hiver, Saturne, Saturnales et Soleil

Retenez que le solstice d’hiver était l’occasion de réjouissances : les jours s’allongeraient et la lumière gagnerait, jour après jour. Tout cela valait bien une fête. Ces fêtes, les Saturnales, célébrées en l’honneur du Dieu Saturne, le Dieu agricole, avaient commencé par une journée… elle s’étalèrent finalement sur une semaine.
En ce temps-là, le temps était aux jeux, aux cadeaux, on buvait et on mangeait sans se soucier de sagesses.
En ce temps-là, les rôles sociaux étaient inversés.

Comme un renversement provisoire de l’ordre établi dans une approche païenne qui n’est pas sans rappeler nos carnavals et le mardi gras.
Comme une fête païenne et paillarde…
Et le 25 décembre, jour du solstice d’hiver, est marqué du culte du soleil: Sol Invictus… Dies Natalis Solis Invicti, « Jour de naissance du Soleil Invaincu », nourri par l’Orient.
« Le Soleil Invaincu et Invincible » vaut bien une galette…

Parce que vous ne pourrez pas ne pas voir dans cette galette des Rois, à la belle couleur dorée, l’incarnation symbolique du soleil, luisant, clair et beau.


Et la fève?
Mais la fève, dans tout cela ?
Lors des Saturnales, les Romains organisaient un grand festin, où maîtres et esclaves partageaient un gâteau. C’était l’occasion, pour celui qui obtenait la fève, d’être fait roi de la journée. C’est que la fève est un des premiers légumes à pousser au printemps… Mais d’où vient la Fève des Saturnales ? Il faut forcément arrêter à un moment, d’interroger l’histoire…
Par contre on sait que, la tradition, se poursuivant, s’est néanmoins transformée vers le XIV° siècle, où le « Roi » qui avait tiré la fève finissait par avaler de travers ses agapes : c’est que ce serait à lui de régler la note du festin… où à tout le moins une tournée générale. Alors, pour se défausser, il lui restait à avaler… la fève. Ni vu, ni connu. Pour éviter la triche, on l’a remplacée par un petit bout de porcelaine, de Saxe et de Limoge.
Porcelaine en forme de bébés emmaillotés, symbole de fécondité et du petit Jésus, qu’on retrouve dans le cougnou, la fève se transforma au fil du temps, et on trouva des animaux et des symboles de chance. Les fèves publicitaires arrivent au début du XXe siècle, on les attribue à un certain Monsieur Lion qui a créé une fève en forme de lune où était inscrit le nom de son commerce.
Avec le temps, les dernières décennies ont libéré les imaginations. Et certaines y ont vu des opportunités pour une nouvelle déclinaison dans un profitable merchandising… D’autres en font la signature de leur Maison de Chefs étoilés qu’ils sont. Depuis quelques temps, certains y remplacent même la fève par une pièce d’or véritable. Des gourmands créent des collections. On les appelle les fabophiles, collectionneurs des fèves des galettes des rois. Et ils ont leur site. Et leur association.
Alors, la seule certitude est que ce délice qu’est cette galette des rois ajoute tragiquement aux excès des fêtes qui l’auront précédées et qu’on ne saurait mieux conclure que par sa recette, celle de Thierry Marx.
Encore, meunier étant maître chez lui, il faut retenir qu’en France, chaque région ou presque a sa galette, outre le modèle de pâte feuilletée, fourrée de pâte d’amandes, les traditions locales recourant à la pâte briochée surtout, ou sablée, à la frangipane, agrémentée de crème au beurre, parfumée au rhum ou au kirsch, ou d’une garniture de fruits confits et de parfums d’anis ou de fleur d’oranger. Toujours est-il qu’il s’en mangera 60 millions en France cette année. Presqu’une par personne.
L’opération détox viendra après. Après… les crêpes de la Chandeleur…
Bernard Chateau,