Dans le premier numéro des Feuillets Carniérois, paru en janvier 1973, feu le Docteur Albert Marré évoquait le “travail de bénédictin” fait par Gonzales Decamps, avocat et journaliste à Mons mais enfant de Carnières qui, en rassemblant des milliers de notes sur son village allait permettre de mieux connaître le passé de la commune. Depuis plus de 20 ans, vous avez pu trouver des références aux recherches de Gonzales Decamps mais jamais, nous n’avons publié la biographie de ce grand homme et nous allons réparer cet oubli, en portant à votre connaissance, un article rédigé par feu Robert Balestin en 1972.

Gonzalès Decamps
Gonzalès Decamps

Le 2 novembre 1919 mourait à Hornu, près de Mons, Gonzalès DECAMPS, avocat, archéologue, historien et journaliste. Il était âgé de 67

Lors de ses funérailles, plusieurs discours fort élogieux furent prononcés par des personnalités appartenant aussi bien au monde de la Presse, qu’au Barreau de Mons, au Cercle Archéologique et aux autres sociétés savantes de la ville.

Les personnes présentes étaient unanimes à déclarer que Mons et le Borinage venaient de perdre une des figures les plus sympathiques de l’historiographie locale, un homme sur qui, bien des fois on avait compté pour accueillir et guider à travers le pays montois les notabilités étrangères les plus marquantes, lesquelles d’ailleurs rendaient volontiers hommage à la science d’archéologue et aux qualités d’homme de goût que possédait Gonzalès DECAMPS.

L’illustre défunt était cependant de très vieille souche carnièroise. Il était né à Colarmont le 1er mai 1852, dans une maison située dans les environs du croisement de l’Avenue de France et de la Rue de Colarmont.

Son père, Emmanuel, était comme son grand père ailleurs, as d’affaires s’étendaient non seulement dans les environs, mais encore dans les arrondissements de Mons et de Charleroi. Il était aussi membre du Conseil de Fabrique”.

Sa mère, Lucie-Félicité DARTEVELLE, était “une personne d’une intelligence développée, d’un grand sens, d’une mémoire prodigieuse quant aux faits, aux dates, aux personnes, quant à leur ascendance ou descendance”. Elle avait fréquenté l’école jusqu’à 15 ans, fait exceptionnel pour l’époque, dans un village rural qui comptait à peine 2.500 habitants.

Son parrain, Alexandre DECAMPS, le frère de son père, était éleve au séminaire.

Son grand-père maternel, André DARTEVELLE, homme cultivé, tenait régulièrement son livre de raison dans lequel il avait notamment consigné avec force détails, les événements familiaux, baptêmes, mariages et décès, les faits de la période troublée de la Révolution française, le passage des troupes, les privations et les luttes communales.

Tout semblait donc favorable pour que le nouveau-né, ne suive pas la trace de ses aïeux mais devienne un intellectuel.

Dès l’âge de cinq ans, Gonzalès DECAMPS fréquenta l’école du village, tenue par le maître Norbert SADIN. Comme tous les enfants de son âge, notre jeune écolier était espiègle et “préférait faire le diable dans les vergers plutôt que d’étudier”.

Son parrain, devenu entretemps Vicaire de Ste Elisabeth à Mons, y habitait avec sa sœur Joséphine “qui n’aimant pas la ville, désirait la compagnie de son petit neveu”. Ils n’eurent pas beaucoup de mal à décider les parents de Gonzalès à leur confier l’éducation du jeune homme. En 1857, il part à Mons où “l’on commence à le civiliser, à lui apprendre un peu de français, car il était un petit rustre ne connaissant rien d’autre que son wallon de Carnières”. L’élève est avide d’apprendre, les progrès sont rapides et, sans aucun problème les années d’études se succèdent jusqu’à la fin des humanités qu’il termine brillamment au collège St. Stanislas, tenu par les Jésuites.

Aux vacances, on le revoit souvent à Carnières. “Sa très bien aimée mère” le cajole et l’instruit à sa façon. Elle avait été durant sa jeunesse habituée à écouter son père, André, lui parler du vieux temps, lui dire et lui redire que “pris par la conscription sous la République, il avait déserté au Havre, était revenu à pied se cacher à Carnières, avait aidé le curé de l’époque à dire la messe en cachette, aller la nuit chercher les nouveau-nés pour qu’ils puissent recevoir le baptême. Ne disait-il pas encore, avec beaucoup de fierté, avoir vu l’Empereur de Russie passer à Anderlues, se dirigeant vers Paris avec son armée…”.

Ecoutant avec attention la leçon reçue, la réaction du jeune homme est sûre: il questionne et note, rien n’échappe à sa curiosité. Sans doute, à l’exemple de son entourage, il commence à rassembler “de vieux papiers” qui constitueront le début d’une rare collection malheureusement disparue à jamais.

A la fin des humanités, Gonzalès DECAMPS, souhaite devenir “romaniste ou élève de l’Ecole nationale des Chartes à Paris”. Mais on est en 1870, l’année terrible !

Peut-être un peu malgré lui, il choisit une voie qui convient mieux à ses parents et qui lui permet surtout de ne pas abandonner son contact avec l’histoire. Il s’inscrit à la Faculté de Droit de l’université de Louvain d’où il sort docteur en droit en 1875.

Pendant ce temps il revoit souvent sa famille et son village. Si on ne possède pas beaucoup de détails à ce sujet, on conserve néanmoins de cette période des croquis réalisés lors de ses vacances. C’est grâce à ces dessins admirables que nous conservobs des renseignements précieux, les seuls, sur notre vieille église, sur l’oratoire du Petit Saint Hilaire, sur la ferme de l’Hôtel et sur des panoramas du village dont il ne reste aucun autre souvenir.

Dès sa sortie de l’université, il s’inscrit au Barreau de Mons, mais comme il l’avoue “il n’est pas franc à l’attaque et à la réplique orale; il est timide et souvent honteux pour demander le vrai salaire. Il ne gagne pas d’argent dans l’avocasserie et puis, il y a un démon qui le tenaille : la rage de l’histoire et de l’archéologie”.

Il plaide peu, fréquente beaucoup plus les sociétés savantes de Mons et devient un assidu des Archives de l’Etat. Désirant être lu cependant, il trouve dans le journalisme un exutoire à sa pensée, une manière d’être en contact avec un auditoire important en somme, un moyen d’existence plus conforme à son tempérament.

Il collabore au début au seul journal catholique de Mons “Hainaut”, mais ses idées philosophiques ayant au cours du temps évolué vers des pensées plus libérales, il ne répond pas à ce qu’on attendait de lui; on se méfie de sa tiédeur à défendre certaines questions religieuses, et, sa fierté l’aidant, il passe assez vite au “Journal de Mons” et beaucoup plus tard à la “Province”, ‘, deux quotidiens libéraux, où il fait une carrière très brillante.

La place qu’il tient désormais dans la presse locale et nationale est sans conteste fort importante. Pendant plus de vingt-cinq ans, il ne cesse de publier des notes historiques avec le souci de la vérité dans la recherche et dans les événements. Il n’hésite pas à donner au sujet de certains faits, des détails qui permettent à n’importe quel lecteur de mieux comprendre des textes souvent opaques et ennuyeux. Il excelle en matière sociale, économique et industrielle. Son mémoire “Historique sur l’origine et les développements de l’industrie houillère dans le bassin du couchant de Mons” lui vaut un premier prix au concours organisé par la Société des Sciences du Hainaut. Il est adopté par les Montois, tant il connait bien leur ville. Il publie d’ailleurs en 4.000 exemplaires “Mons, guide du tourisme” dont il offre un exemplaire spécial au Prince Albert, lors de sa Joyeuse Entrée le 6 juillet 1894.

Au cours de ses fréquentes visites aux Archives de Mons, dont les portes lui sont largement ouvertes, il inventorie et classe des millions de manuscrits; il note inlassablement jour après jour, des détails concernant les villes et villages du Hainaut.

Totalement désintéressé, il ne garde jamais égoïstement le résultat de ses recherches et le fruit de ses efforts. Avec joie, il communique à ceux qui font appel à son érudition, des renseignements précieux qui, pourtant, lui ont coûté un patient labeur et de longues veilles.

Il n’oublie certes pas qu’il est Carnièrois : il accumule les notes les plus diverses sur son village, il décrypte et transcrit avec grand soin tous les manuscrits et parchemins qui s’y rapportent; il accomplit de ce fait un travail gigantesque et incommensurable.

Durant la première guerre mondiale, les journaux ne paraissent plus. Gonzalès DECAMPS est occupé à mi-temps par l’Administration Communale de Mons et le temps libre dont il dispose est heureusement mis à profit pour opérer un classement de ses notes. Il relie lui-même, plus de 300 volumes contenant chacun plus de 400 pages ! Des centaines d’entre eux, rassemblés après sa mort par le Chanoine PUISSANT, sont entreposés aux Archives de l’Etat à Mons : fait navrant, ils périssent tous dans l’incendie du 14 mai 40, avec… la plupart des textes originaux.

Grâce à la clairvoyance du professeur Maurice A. ARNOULD, et à l’intervention d’un mécène montois, nonante-six tomes sont rachetés lors d’une succession en 1944 et sont aujourd’hui en dépôt à la Maison LOSSEAU. Ils concernent spécialement l’histoire de Mons.

Sentant sa fin proche et n’ayant pas eu le temps de réaliser une monographie de son village, malgré la matière accumulée, Gonzalès DECAMPS, confia à son fils José les 8 tomes constituant un mémorial du “Village de Carnières-sur-Haine”.

Grâce à un Carniérois, né il y a 120 ans, qui consacra sa vie à l’histoire en général et à son village en particulier, grâce à ses descendants qui ont recueilli et conservé ses écrits, il nous sera désormais possible de transmettre à nos enfants des enseignements que les guerres, la nature et les hommes aiment à détruire et à faire oublier.

A.M. Marré-Muls Robert Balestin (+)

Accueil » GONZALES DECAMPS (1852-1919)