Parce que l’Histoire, si elle a été faite par de grands personnages, a été écrite aussi, dans les villages, par les plus humbles habitants..


L’exploitation houillère, dans le Centre, remonte au XIIIe siècle : le premier texte date de 1299 et est relatif à la cession du droit exclusif d’extraction par le Seigneur du Roeulx à l’abbaye de Bonne-Espérance.

Mais c’est au XVIlle siècle qu’on voit la création des sociétés charbonnières de Carnières, soit en 1767 et en 1771.

Dans le courant du XIXe siècle, on assiste au phénomène de concentration et Mariemont reprend le charbonnage de Carnières en 1833.

Sait-on assez, à ce propos, la condition de misère et de peine du charbonnier?

Je suis charbonnier, métier de misère
Je suis charbonnier bravant le danger
Je suis condamné à ramper sous terre
Pour me consoler, le n’ai qu’à chanter.


dit le refrain d’une chanson traditionnelle.

Pourtant, ce ne sont ni les vers, ni la musique qui traduiront le mieux, pour un Carniérois, la situation du houiller, mais l’œuvre pictural d’un des siens, Alexandre-Louis Martin, dont la plus grande part de l’inspiration a été les humbles habitants du village. Et on pense à « La Vieille du Pays noir» ou, surtout au « Triptyque des Mineurs» qui furent acquis par l’Administration communale de Couillet — où résida l’artiste – en 1922, sous l’impulsion de Monsieur Van Walleghem, bourgmestre d’alors, éclairé qu’il était par l’ancien Ministre des Sciences et des Arts, Jules Destrée.

Cette misère-là, qu’il porte sur ses traits, elle est pour le mineur de tous les jours. Ainsi, à la fin du siècle dernier, il doit dépenser, pour sa famille de six personnes 1.260 francs par année, mais sa quinzaine de 39 francs environ lui laisse un déficit de 324 francs. Et on sait que, suivant les conventions, on a proportionné les salaires au prix de vente…

Budget annuel d’une famille composée de 6 personnes :
Pain 180 F
Beurre et graisse 150 F
Pommes de terre 75 F
Vêtements, chaussures, etc. 250 F
Loyer 180 F
Chauffage 50 F
Eclairage 10 F
Blanchissage 40 F
Entretien du mobilier et de l’habillement 25 F
piceries diverses 100 F
Dépenses de cabaret 50 F
Imprévus 50 F
Viande 100 F
Total des dépenses 1.260 F

Le charbonnier gagne environ 39 F par quinzaine (c’est la haute moyenne), ce qui fait 952 F par an.
Le total des recettes 936. F
Déficit 324 F
(Commission du travail, t. Il. Procès-verbaux des séances d’enquête concernant le travail industriel, Bruxelles, 1887, Section régionale C, annexes, n° 553, p. 48.)

Cette misère-là, elle s’inscrit aussi dans sa chair.

Jules Lekeu, dans son enquête ouvrière et industrielle à travers le Centre, visite un ouvrier du fond « de Carnières qui a récemment perdu un œil, par quelque éclat, dans la mine ».

Au cabaret, on lui cite l’histoire d’une « malheureuse veuve dont le mari, Charles Wasterlain, de Carnières, a péri l’an dernier, dans la fleur de l’âge : 44 ans, laissant sa compagne avec cinq orphelins, dont l’ainé avait treize ans et le cadet, une innocente pouponne, deux mois à peine; l’indemnité décroît avec l’âge des petiots; la pouponne n’a droit, nous assure-t-on, qu’à un sou par jour. Pauvre gosse ! Pauvre mère ! »

Ces pauvres bougres aussi ont participé de notre passé, de notre histoire, qui font aujourd’hui ce que nous sommes et serons…

Bernard CHATEAU.


LEKEU (Jules). A travers le Centre – croquis et mœurs – enquête ouvrière et industrielle, Bruxelles, 1907, p. 25.

MISONNE (Octave). Une région de Belgique : le Centre (Hainaut), Tournai, 1900.

DEBAUQUE (Michel). Le Centre après la Révolution française, dans Rencontres, Cahiers de l’Institut Provincial de l’Education et des Loisirs, La Louvière, n° 1-2, janvier-juin 1963, pp. 100-119.

Terrils, ouvrage collectif, Bruxelles, 1978.

Autour des usines, chansons sociales en Belgique, ouvrage collectif. V. I., Liège, 1975.

OGER (Adrien). L’œuvre pictural d’Alexandre-Louis Martin, Bruxelles, 1947.

Accueil » HISTOIRE D’HOMMES ORDINAIRES….