On se souviendra que dans l’article concernant le champ des Escossons (« Feuillets Carniérois » n° 7), nous avons écrit que ce champ était anciennement le lieu de réunion ou de sabbat des sorcières. Nul ne peut dire si ce fut réel, mais ce que l’on peut affirmer, c’est que la sorcellerie était courante à Carnières, comme d’ailleurs dans le reste du pays.

Par des textes d’archives judiciaires, nous savons par exemple qu’en 1550, furent exécutées comme sorcières: Annechou le Hardi, à Binche, et Leurenche Fauvette, à Bienne-lez-Happart.

En 1574, Colle de le Reke, veuve d’Antoine Descamps, et Jehanne Cayphas, veuve de Pierart de le Haye, prisonnières à l’office de Binche pour cas de sorcellerie, sont condamnées au bannissement.

A Carnières, il y eut un célèbre procès de sorcellerie en 1556: c’est du procès de cette sorcière que nous parlerons maintenant. Nous nous basons sur des archives contenant les témoignages et condamnations : ” Information faite par Charles Ansseau, greffyer de la prévocté de Binche, touchant la vie falme et renomée de Jehenne Claes, vesve Nicaise Carpentier, dit Grosse Teste, exécuté par la corde à Trazegnies, icelle suspitionnée de sortilège. »

Voici la liste des témoins : Jehan Waussart, dit Lorre, couvreur d’estrain, demeurant Carnières ;
Josse de Cretaimont, sergeant de Carnières ;
Jehan de Namur, cloutier, demeurant à Carnières ;
Estievene du Vivier, marchand, demeurant à Carnières ;
Philippe Libert, mayeur de Carnières ;
Charles Marcq, couvreur d’estrain, demeurant Carnières ; Vinchienne Fiefvet, femme et épouse de Philippe Libert ;
Franchoise Desauberghe, femme de Jehan Waussart ;
Jehan de Baudour, cloutier, demeurant à Carnières ;
Richard Sauvenière, cloutier, demeurant Carnières ;
Pierart Hecq, manouvrier, demeurant Carnières ;
Hubert Berlier ;
Remy Hecq, berger, demeurant Carnières ;
Jean le Barbyer, receveur à Trazegnies ;
Adrien le Barbyeur, laboureur, demeurant à Trazegnies ; Hubert de Seneffe, cloutier, demeurant à Carnières ;
Bastyen Luda, cloutier, demeurant à Carnières.

Jehenne Claes était native de Carnières. Mariée d’abord avec Boumain des Hayes, elle se remaria avec Nicaise Carpentier, dit Grosse Teste. Ensemble, ils habitaient Carnières et tenaient un cabaret au Pairoul (Pairois).

Bien vite, on les soupçonna de plusieurs vols dont certains dans des églises. De plus, Jehenne avait la réputation d’être sorcière.

Vers 1536, un fait accablant pour eux se produisit : trois amis, Hubert de Senefie, Bastyen Luda et un herdier de Carnières, Jehan Ansseau, dit d’Ardenne, passèrent une journée à boire dans le cabaret des Carpentier ; vers la tombée du jour, les deux premiers cités rentraient chez eux, laissant leur ami aux prises avec les patrons. D’Ardenne accusait Grosse Teste de lui avoir volé plusieurs pains quelques jours auparavant et, afin d’être dédommagé, il refusait de payer ce qu’il avait bu ce jour-là dans la taverne. On ne sait ce qui s’ensuivit. Mais le lendemain matin, on retrouvait d’Ardenne tué de plusieurs coups de couteau et jeté dans un puits au fond du jardin du cabaret. On releva des traînées de sang depuis le cabaret et on accusa donc le ménage Carpentier de ce meurtre.
Sachant qu’ils étaient soupçonnés, Nicaise Carpentier et Jehenne Claes allaient se réfugier à Chapelle-lez-Herlaimont, une franche terre, et puis à Trazegnies où ils furent appréhendés.

Nicaise Carpentier fut accusé d’homicide volontaire, de vols et de sacrilèges et sa femme fut accusée d’avoir coopéré au meurtre et d’avoir posé des actes de sorcellerie à Carnières, Anderlues, Quaregnon et autres lieux.

Torturé, le mari accusa sa femme d’avoir été l’inspiratrice de tous les vols et du meurtre; il fut pendu mais sa femme fut temporairement épargnée car on la crut enceinte.


Elle parvint à s’échapper de la prison et revint s’établir à Carnières, vivant pauvrement; elle allait chercher de quoi faire du feu dans les bois, mendiait quelquefois et moissonnait en saison.

Dès 1545, elle eut mauvaise réputation et scandalisait par ses sortilèges ; on l’appelait d’ailleurs ribaude et sorcière.

Vers 1550, une vache est morte après avoir langui huit jours; c’est Jehenne Claes qu’on soupçonna d’avoir jeté un sort.

D’autre part, elle avait l’habitude de se rendre dans les bergeries du mayeur de Carnières, Philippe Libert, afin de trouver de la nourriture et de quoi se chauffer. Un berger du mayeur prévint ce dernier de la mauvaise réputation qu’avait cette femme et, suite à cela, il lui fut défendu de venir dans la bergerie.


Dans les jours qui suivirent, plus de 50 moutons refusèrent toute nourriture et moururent.

Se sachant soupçonnée, la sorcière alla se plaindre chez la femme du mayeur et, quoique celle-ci l’excusait, Jehenne Claes se mit à insulier et menacer la femme du mayeur au point que celle-ci battit la sorcière et la chassa de sa maison. La femme du mayeur fit tant et si bien que la sorcière prit peur et qu’elle n’osa plus rien dire. Dans la suite, il n’y eut plus aucune mort suspecte parmi les bêtes des Libert.

Une autre fois, Jehenne Claes alla mendier du lait chez la femme de Charles Marcq ; celle-ci refusa et, le lendemain, sa vache mourut subitement.

Quant à Pierart Hecq, il se plaignit de ce que la sorcière avait l’habitude de hanter sa maison. Son fils âgé de trois ans mourut après avoir langui trois mois et ce fut encore la sorcière qu’on soupçonna.

Tous ces témoignages devaient décider les juges à soumettre l’inculpée à la torture et à la bannir de toute terre de la prévôté de Binche, dès 1556.

On peut se demander comment la justice n’osa pas prendre de mesures plus sévères envers une femme aussi dangereuse qui, sans nul doute, recommencerait ses méfaits ailleurs. Peut-être les juges craignaient-ils eux-mêmes de subir des sorts ?

A.M.M.M.
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