Le hasard nous a mis récemment en contact avec la biographie de l’abbé Joseph Anciaux’. Sa lecture nous a appris qu’il avait séjourné à deux reprises à l’asile du Sacré-Cœur à Carnières.
Nous ne pouvions dès lors résister au plaisir de vous présenter ce personnage hors du commun.
Il est né à Namur en 1858 d’une famille aisée (son père était un avoué et sa mère était une de Ville de Goyet). Enfant, c’est un chanoine qui est chargé de lui donner des cours particuliers; ensuite, il s’inscrit à l’Université catholique de Louvain pour y suivre des études de théologie.
Ordonné prêtre en 1884, il devient vicaire à Namur d’abord, puis à Andenne où il y fonde en 1896 la Maison des Ouvriers, à l’époque des débuts de la Démocratie Chrétienne en Belgique.
Déjà, on peut observer chez lui une prédilection pour les œuvres sociales : son attachement envers les pauvres et les plus démunis le porte à parler le wallon pour se rapprocher de ceux-ci et à pratiquer une charité constante.
C’est ainsi qu’à la mort de sa mère en 1887, il hérite d’un important patrimoine qu’il va s’employer à distribuer à diverses œuvres, principalement à des missions catholiques à l’étranger : Zambèze, Congo, Inde.
Lui-même se sent attiré par une telle action et son choix se porte vers l’Amérique du Nord : en effet, sa santé ne lui permet pas de partir vers des climats tropicaux et là, certaines populations sont encore privées de prêtres.
Arrivé en 1896 à La Nouvelle Orléans, on le retrouve rapidement dans l’Oklahoma l’année suivante où il se trouve au contact de la population des Noirs dont il perçoit rapidement la détresse et la ségrégation raciale dont elle fait l’objet. De plus, c’est surtout la religion protestante qui s’occupe de leur situation : il y a donc du travail pour un prêtre catholique comme Anciaux, préoccupé par les injustices sociales.

L'abbé J. ANCIAUX
L’abbé J. ANCIAUX

Mais rapidement, deux obstacles se mettent en travers de sa route : sa méconnaissance de l’anglais et sa mauvaise santé.
Après un séjour de quelques mois à Baltimore, il revient dans le sud, où, au cours d’un périple dans différentes paroisses, il mesure toute la détresse de la communauté des Noirs, malgré l’action des Joséphites, une société de prêtres séculiers voués à la conversion des Noirs américains. Lors d’un retour en Belgique en 1899, il donne d’ailleurs une série de conférences sur la situation des Noirs afin d’y sensibiliser le monde catholique belge.
C’est en Virginie qu’il entreprend de donner corps à son désir d’évangélisation et de secours à la communauté des Noirs : il achète un terrain pour y bâtir une école, une église et un presbytère. Si ce dernier n’est finalement pas construit, les deux premiers bâtiments le sont en 1902. Son action apostolique connaît un certain succès auprès des Noirs, mais c’est au prix de mille difficultés qui accentuent son sentiment de l’indifférence de la hiérarchie catholique américaine vis-à-vis des Noirs.
Cette situation peut s’expliquer par l’arrivée massive de certaines populations européennes catholiques telles que les Irlandais, les Polonais ou les Italiens qui vont focaliser l’attention de l’Eglise américaine au détriment des Noirs.
Joseph Anciaux va dès lors se tourner vers l’Europe pour obtenir le soutien qu’il recherche : en 1903, il rédige une brochure qu’il fait parvenir au Vatican ! La Pape Léon XIII réagit positivement et envoie aux évêques américains, par l’intermédiaire du préfet de la Propagande du Vatican, une lettre leur enjoignant de faire le maximum pour mettre fin à une situation qu’il juge déplorable. Malgré cette injonction, les choses ne vont pas se modifier fondamentalement aux Etats-Unis: à l’instar du Bureau Indien, un Bureau Noir est créé, mais ce dernier n’aura jamais le pouvoir de faire bouger les choses car les évêques américains tenaient trop à leurs prérogatives et les préjugés raciaux étaient encore trop tenaces : ce n’est d’ailleurs qu’en 1906 que la composition de ce Bureau est définitivement approuvée; mais le bilan de son action restera nul.
De plus, notre pauvre Joseph Anciaux va payer cher sa témérité car plusieurs évêques américains vont de façon plus ou moins ouverte, le dénigrer.
Sa santé de plus en plus chancelante ne va pas lui permettre de faire front à cela; de plus, il semble qu’il commence à s’adonner à la boisson, ce qui n’arrange rien !
Finalement, il est persuadé de regagner l’Europe en 1908, officiellement pour raison de santé.
Après un passage par Namur, il arrive à Carnières à la Maison du Sacré-Cœur, destinée à accueillir des personnes malades, des infirmes ou des personnes âgées. Construite grâce à l’action de l’abbé Caudron, curé de la paroisse, et au financement de Maximilien Duvivier, négociant, elle a ouvert ses portes en 19022.
Sa santé très mal en point nécessite beaucoup de soins : il se rend par exemple deux fois à Bonsecours pour des séances d’hydrothérapie. Malgré des améliorations passagères, son état général se dégrade : il donne dans un premier temps quelques messes, mais au fil des mois, à un rythme de moins en moins soutenu. S’il envisage à certains moments de s’occuper des mineurs de Carnières dont il compare le sort misérable à celui des Noirs, il finit par repartir en 1912 à Namur. La correspondance qu’il a laissée indique qu’il souhaite se réinsérer quelque part en Belgique, quand, contre toute attente, il repart aux Etats-Unis en juillet 1914.
Là, il doit se rendre compte que sa santé ne lui permet plus de reprendre son action en faveur des Noirs mais le début de la guerre 14-18 rend le retour sur sa terre natale impossible.
Durant toutes les années qui vont suivre, Anciaux voit ses problèmes physiques et surtout psychologiques s’aggraver: sur les trois années où il séjourne au Texas, il en passe la moitié à l’hôpital !
L’insuccès de son entreprise en faveur des Noirs mine son moral, de même que l’hostilité à son égard de la part de sa hiérarchie.
Même ses plus proches soutiens ont fini par se lasser de lui… Et c’est de nouveau en Belgique qu’on le retrouve début 1921 chez les Sœurs de la Charité à Namur.
En novembre 1924, Carnières va de nouveau l’accueillir comme en 1908 à la Maison du Sacré-Cœur.
Mais une santé chancelante ne lui permet pas de jouir sereinement des dernières années de sa vie: il doit être opéré d’urgence d’une hernie en novembre 1924, sans doute à la clinique de Jolimont.
Finalement, il séjourne à partir de 1926 à Arlon à la Retraite Sainte-Marie, annexe de l’hôpital Saint-Joseph où il décède le 23 février 1931.
Il faudra encore longtemps pour que la situation des Noirs s’améliore aux Etats-Unis (elle n’est certainement pas encore idyllique !) et l’on peut en conclure que l’abbé Anciaux a été un pionnier de la lutte contre la ségrégation raciale avant des personnalités comme Martin Luther King beaucoup plus tard.

André BIAUMET

1. Joseph Anciaux, un prêtre wallon au service des Noirs américains, collection « Sur la route des saints » par Edouard Brion, Editions Fidélité, Namur, 2013,
2 Voir « Découvrons Carnières» de A.M. Marré-Muls, éditions du C.R.E.C.C., 1982.

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