Une tradition d’hôtes illustres

On sait que Morlanwelz a une longue tradition de réception d’hôtes illustres : la Reine Marie de Hongrie de 1546 à 1554, l’Empereur Charles-Quint en 1549, comme le Prince d’Espagne, qui deviendra plus tard Philippe II, l’Archiduc Albert et l’Archiduchesse Isabelle, de 1605 à 1635, le Prince et la Princesse de Condé, en 1610, la Reine Marie de Médicis, en 1631, l’Infant Ferdinand d’Autriche, de 1635 à 1641, l’Archiduc Léopold-Guil-laume, en 1641, Louis XIV, de 1668 à 1693, Maximilien-Emmanuel de Bavière, de 1692 à 1718, l’Archiduchesse Marie-Elisabeth, de 1725 à 1741, la Princesse Anne-Charlotte de Lorraine, de 1754 à 1773, le Prince Charles de Lorraine, de 1742 à 1780, l’Empereur Joseph II, en 1781, l’Archicuc Albert de Saxe-Teschen et l’Archiduchesse Marie-Christine, en 1791, le Roi Léopold ler, en 1829 et 1856, le Duc de Brabant (Léopold II) et la Duchesse de Brabant, en 1853, le Comte de Flandre, en 1859, le Prince impérial de Chine Tsaï-chen en 1901.

La visite de SAR Albert à Morlanwelz en 1903
Le 28 juin 1903 le Prince Albert et la Princesse Elisabeth étaient à Morlanwelz, à l’initiative de Raoul Warocqué

La Belle Epoque

Mais l’époque qui va nous concerner, c’est la “Belle Epoque“; cette époque qui participe autant de l’histoire que du roman. Pascale Goetschel et Emmanuelle Loyer la définissent comme “une certaine allégresse de vivre au cours de la vingtaine d’années qui précéda le premier conflit mondial, image d’Épinal rétrospective [d’avant] le coup de tonnerre de 1914”.

C’est précisément en 1903 que le Prince Albert visita Morlanwelz et fit un crochet jusqu’à Chapelle-lez-Herlaimont. Dès 1900, Raoul Warocqué avait lancé l’invitation : une confirmation par les corps constitués et une démarche au Palais royal de la rue de la Régence, à Bruxelles, amenèrent, en décembre 1902, une réponse positive.

Le Prince Albert et la Princesse Elisabeth chez Raoul Warocqué

On imagine l’ampleur de la fête, qui concerna, d’après les écrits de l’époque, toute la contrée. Ce fut un 28 juin, pas comme les autres : on organisa de nombreux concours, manda fanfares et harmonies, requit la garde civique, mit en route 79 trains supplémentaires, tandis que Madame Arthur Warocqué fit distribuer un millier de jambons aux plus pauvres de Morlanwelz, Chapelle et La Hestre.

Le Prince Albert et la Princesse Elisabeth accueillis à la Gare de Morlanwelz
Le Prince Albert et la Princesse Elisabeth accueillis à la Gare de Morlanwelz

Faste…

Il y eut la réception en gare de Morlanwelz et ensuite la visite aux Ecoles industrielle et professionnelle. On inaugura le nouveau tramway électrique de Mariemont – Morlanwelz – Chapelle-lez-Herlaimont, qui emprunte un itinéraire qu’on se plut à trouver charmant. Et dont l’ arrêt “du lycée” donnera bien du souci aux surveillants et surveillantes du lycée et de l’Athénée quelques décennies plus tard, malgré l’ingénierie qui présidait à la fixation des horaires des cours…

Après la visite à Chapelle, on remit les prix d’ordre et de propreté à des familles ouvrières.

inauguration de la ligne vicinale entre Mariemont et Chapelle
inauguration de la ligne vicinale entre Mariemont et Chapelle

…bombance…

On déjeuna au Château de Mariemont à 92 convives d’un menu qui se composait ainsi :

Saumon froid parisienne
Filet de bœuf princesse
Poularde régence
Haricots verts
Pâté de foie gras d’été
Glace Elisabeth

Il fut expédié entre midi et 2 h 10.

… paternalisme…

On distribua des décorations industrielles à des ouvriers des usines de Baume et Marpent, Dufossez, Valère Mabille et des Charbonnages de Mariemont et ce Bascoup. Parmi les 91 ouvriers décorés, il y avait Lambert Deltour, chef monteur, Alexis Baudoux, charpentier, qui reçurent des décorations de 1re classe, Justinier Bernier, houilleur, Jean-Joseph Ledent, chaudronnier, François Gosse, houilleur, Ferdinand Fumière, houilleur, Adolphe Willame, houilleur, Ferdinand Decroyère, houilleur, Florimont Delalune, pensionne, qui reçurent des décorations de 2e classe. Tous étaient de Carnières, comme Victor Antoine et François Tison, le premier tourneur et le second forgeron, qui furent décorés de la Direction de l’Industrie.

le défilé des écoles
le défilé des écoles

Ce fut ensuite un défilé de 12.000 garçonnets et fillettes, dont, presqu’en tête, grâce à l’ordre alphabétique favorable (on ne vit guère devant que les enfants d’Anderlues et de Bellecourt !), l’école primaire des filles du Centre de Carnières et des garçons, avec, ensuite, l’école primaire des filles des Trieux et des garçons. Après la garde civique, c’est le tour d’un troisième groupe, composé des écoles libres et de sociétés et institutions diverses, dont « La Fraternité », la Caisse de secours de l’Association libérale de Carnières.

Le défilé de la Garde civique
Le défilé de la Garde civique

C’est alors le temps du dîner : la salle des banquets, construite pour la circonstance, couvre un hectare! Et il a fallu dix-sept wagons de dix tonnes pour amener le bois (de charbonnage) pour en construire la charpente.

La visite du Prince Albert et de la Princesse Elisabeth à Morlanwelz et 1903 la charpente de la salle à manger
La visite du Prince Albert et de la Princesse Elisabeth à Morlanwelz et 1903 la charpente de la salle à manger

C’est qu’il fallait bien 3.250 mètres carrés de table, pour que les 3.450 convives ne se sentent point à l’étroit. Il y avait là, notamment, tous les ouvriers des charbonnages en fonction de leur âge, ancienneté de service ou diplômes qui, on s’en doute, n’avaient jamais connu pareil festin, organisé par Théodore Devos de Mons, aidé tout de même par 300 serveurs et cuisiniers, qui eurent à se battre avec 22.000 assiettes, 1000 kilos de saumon, 160 jambons, 540 poulets, 2.000 kilos de conserves, 200 kilos de raisins et, nous renseignent les échotiers ce l’époque, un petit troupeau de bœufs, qu’on a dû abattre…

… ripailles (bis)…

Qu’on en juge :

Potage diplomate
Saumon à la russe, sauce Vincent
Filet de bœuf Chambort
Jambon d’York, sauce madère
Fèves de marais
Poulets de grain
Cœur de laitue
Pâté de Nérac à la gelée
Gâteau national
Glace variée
Fruits – Dessert

Château Pontet Canet 1893
Champagne frappé

Visite d'Albert et Elisabeth à Morlanwelz - la salle à manger construite pour l'événement
Visite d’Albert et Elisabeth à Morlanwelz – la salle à manger construite pour l’événement

Il y eut encore un concert, devant 15.000 personnes, des illuminations, des bals, l’ascension d’un ballon et un feu d’artifice.

Madame Warocqué -mère et le Prince Albert
Madame Warocqué-mère et le Prince Albert

Mais cette journée se prolonge longtemps encore, et c’est ainsi que le dimanche 23 août, Arthur Hecq, ce Carnières, recevait le 4e prix pour amateurs de concours de photographie…

… politique, propagande et fake news…

Mais, car il devait y avoir un mais, comme en toute chose, et c’est Maurice Van den Eynde qui nous le rappelle, « l’organisation de cette fête donna lieu à beaucoup de palabres entre catholiques et libéraux, chacun redoutant que l’adversaire en tire gloire et propagande. Effectivement la presse, dans ses comptes rendus, porte aux nues ce qui peut servir son parti. L’initiative et la réalisation de cette fête sont dues incontestablement à R. Warocqué : toute sa correspondance en témoigne et… toutes les dépenses furent réglées par lui. On ne peut donc que sourire ironiquement à la lecture du Conservateur de Thuin lorsqu’il écrit : « L’honneur de la manifestation revient à Valère Mabille, le très dévoué (ndlr très catholique) et très sympathique protecteur ce la classe ouvrière, qui a été félicité à plusieurs reprises par Son Altesse. L’ensemble du défilé, à part le faisceau des œuvres catholiques, ne représentait rien d’extraordinaire : ces milliers d’enfants, c’était morne au possible; les gardes civiques, c’est beau mais à la longue ce cortège homogène devient fastidieux et vous ferait dormir debout. Mais le groupe hétérogène de V. Mabille avec toutes ses sociétés vous réveillait ». De leur côté, les socialistes déconseillaient « toute participation quelconque à cette parade» et organisaient le même jour des fêtes enfantines à Baume, hameau de La Louvière, et à La Hestre. Ils affirmaient « que la meilleure des œuvres sociales… serait… de restituer aux ouvriers le produit intégral de leur travail et ce ne pas gagner des millions à leurs dépens ». De toute façon, Raoul Warocqué, très fier de sa fête, fit éditer une brochure de deux cent vingt-deux pages, avec le programme détaillé de la journée, la liste des personnes invitées, les résultats ces concours de tir, de décoration de façades, de photographies, etc.». C’est de cette brochure, du reste, que nous avons tiré le plus clair de cet article. « Il fit, poursuit Maurice Van den Eynde, dessiner trois aquarelles représentant ces fêtes, par A. Goossens et modeler par E. Rombaux une médaille commémorative.

… congratulations et (auto-)satisfaction.

Très touché de cette grandiose manifestation, le prince Albert remercia ses hôtes dans une longue lettre datée de Ciergnon, le 1er juillet 1903:

« C’est encore plein du souvenir ce la superbe journée du 28 juin, que je viens vous remercier chaleureusement c’es fêtes splendides que vous aviez bien voulu organiser en notre honneur et de l’accueil cordial que j’ai trouvé à Morlanwelz-Mariemont… La Princesse me charge de vous dire combien elle a été profondément touchée de ce magnifique coffret d’un cachet si artistique, elle le conservera précieusement en souvenir de cette belle journée à laquelle elle aurait tant voulu être. Madame votre mère et vous, vous nous avez réellement comblés en nous envoyant ces superbes orchidées et ces excellentes pêches (justement les fleurs et les fruits préférés de la Princesse) ainsi que ce beau portrait… A mes remerciements je joins mes félicitations au philanthrope et à l’industriel éclairé qui se dévoue avec tant d’activité à la prospérité de cette populeuse région. Je me rappellerai toujours que c’est grâce à vous que j’ai pu visiter cette importante partie du pays qui m’était inconnue. Vous m’avez rencu là un service que je n’oublierai jamais. »

Albert
Le château de Mariemont pour la circonstance
Le château de Mariemont décoré pour la circonstance

“Raoul Warocqué fut certainement enchanté de recevoir cette lettre : il aimait les honneurs et les réceptions grandioses qui entretenaient une réputation flatteuse et servaient sa propagande”. C’est ainsi que conclut Maurice Van den Eynde. Et nous, avec lui.

On s’intéressera dans une prochaine livraison à la dynastie Warocqué ainsi qu’à son rival local, Valère Mabille.

A mon professeur, Maurice Van den Eynde.

Bernard CHATEAU.

BIBLIOGRAPHIE

Morlanwelz-Mariemont, Grandes fêtes et réjouissances publiques organisées en l’honneur de la visite de S.A.R. le Prince Albert de Belgique, le 28 juin 1903, Bruxelles 1904.
Maurice Van den Eynde, Raoul Warocqué, Seigneur de Mariemont, 1870-1917, Monographies du Musée de Mariemont, 1, Musée de Mariemont, 1970, pp. 30

Accueil » HOTES ILLUSTRES A MORLANWELZ: FASTES ET SOLENNITES. HONNEURS AUX VILLAGES VOISINS ET JAMBON A LEURS HABITANTS…