Nous avons pu disposer d’un relevé de 1862 des décisions prises par la Députation Permanente du Conseil provincial du Hainaut ; on y lit les appels devant la Députation Permanente concernant des personnes de Carnières désignées pour le service militaire ou exemptées temporairement ou définitivement. Cela nous interpelle et il faut donc repartir du début de l’existence de l’armée.

Dans un passé (très) lointain

Dès l’Antiquité, en Grèce, l’appartenance à une armée est limitée à une partie seulement de la population ; les militaires sont surtout des mercenaires ou des professionnels.

Mars, dieu de la guerre,
Met Fifth Avenue
Mars, dieu de la guerre, Met Fifth Avenue

A Rome, à l’origine, seuls les patriciens (1) peuvent faire partie de l’armée. Mais Rome s’agrandit et il faut pouvoir disposer de plus de soldats : les non patriciens appartenant à la même curie (2) que leur patron peuvent intégrer les rangs de l’armée, d’autant plus que l’armée est organisée sur base des curies. Plus tard encore, tous les citoyens romains peuvent être enrôlés même s’ils sont issus de la plèbe. Les prolétaires infra classem seulement, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas assez riches pour s’armer, sont dispensés de service militaire.
Tous les hommes entre 17 et 65 ans sont appelables ! Avec Marius (3) , les prolétaires sont aussi admis dans les légions et l’armée devient finalement permanente sous l’empereur Auguste (4) car auparavant elle n’est réunie qu’en cas de nécessité (guerre, conflit…) mais cette armée n’est constituée que de volontaires.

L’Ancien Régime

Pendant tout l’Ancien Régime, l’armée reste professionnelle, constituée de mercenaires et de conscrits, seulement réunis en cas de besoins.
Mais qu’est-ce-que la conscription ? C’est en fait, le service militaire obligatoire ; l’Etat engage une partie de la population à servir dans ses forces armées mais cela reste un engagement volontaire ; la seule différence avec l’armée de métier est que le soldat conscrit s’engage pour un temps déterminé c’est-à-dire le temps d’une campagne par exemple et non pour la vie comme les professionnels et mercenaires. Il y aura aussi quelques projets d’armée permanente comme en 1445, sous Charles VII lorsqu’on crée une armée permanente : les compagnies d’ordonnance qui sont constituées d’engagés volontaires. La milice est faite de célibataires recrutés par tirage au sort (qui sera aboli en 1789).Il y a beaucoup d’abus, surtout parmi les manouvriers et les paysans pauvres, les plus recrutés en fait. Ce sont des mercenaires, qui se battent en cas de guerre, sous le commandement d’un capitaine mais restent dans les villes, en temps de paix, pour assurer la sécurité quotidienne.

La Révolution française et l’Empire

soldats napoléoniens - reconstitution Waterloo 2010
soldats napoléoniens – reconstitution Waterloo 2010

Avec la Révolution Française, s’installe la conscription. Le 24 février 1793 a lieu une levée en masse impopulaire et mal gérée, suite à un décret qui stipule que tous les hommes entre 18 et 25 ans sont appelables sauf les hommes mariés et les veufs (5)  ; on commence par la 1ere classe d’âge et on continue, selon les besoins ! Mais, on ne détermine pas la longueur de service militaire et donc les enrôlés ne sont pas remplacés parfois après 5 ans On imagine les conséquences de ce manque de rigueur lors de l’engagement : il y a beaucoup de désertions surtout par les hommes issus du milieu rural mais c’était plus, bien sûr, par nécessité que par antipatriotisme et aussi des soulèvements (en Vendée par exemple).

La loi Jourdain du 5 septembre 1798 et la conscription

L’Etat élabore des projets de lois qui vont aboutir à la loi Jourdain et Delbrel, établie le 5 septembre 1798. Le premier article de cette loi dit que tout français est soldat et se doit à la défense de la patrie.
Donc tous les citoyens doivent s’inscrire sur les registres communaux. Cette nouvelle conscription encourage le tirage au sort, normalement aboli en 1789 ce qui permet aux plus fortunés de se trouver un remplaçant. Un service militaire de 5 ans est instauré pour les jeunes gens de 20 à 25 ans ; les soldats sont appelés par classe d’âge, selon les besoins de l’armée, ce qui amène de nombreux réfractaires et même de la corruption !
Cette loi Jourdain est abolie sous Louis XVIII, à la chute de l’Empire. Napoléon y était pourtant très intéressé car cela lui permettait d’ « alimenter » en soldats ses armées lors de ses nombreuses guerres et campagnes. La conscription reste de rigueur mais ce n’est pas systématiquement un appel. Le tirage au sort continue d’exister et surtout les conseils de révision pour savoir qui, parmi ceux tirés au sort, est apte au service militaire. Il existe d’abord, les dispenses pour causes médicales et physiques. Le premier motif de dispense est le défaut de taille ; il fallait mesurer plus de 1m54 pour être enrôlé. En 1811, on a même descendu la taille maximum à 1,48m. Suivent alors les difformités de membres, fréquentes à cette époque, les problèmes de vue, la faiblesse de constitution ou les maladies de la peau ou autres, la mutité, les signes de déficience mentale, l’index droit coupé, ce qui ne permettait pas le tir et a souvent favorisé des mutilations volontaires, les problèmes de denture qui empêchaient de déchirer les étuis de papier contenant la poudre à fusil et
encore d’autres problèmes physiques relevés par le conseil de révision. Il y a aussi des dispenses pour causes familiales : en premier lieu le mariage mais à condition qu’il ait eu lieu avant la date de promulgation de la levée de la classe ; dispense aussi pour le conscrit dont le père a 71 ans ou plus, pour le fils aîné d’une veuve, pour ceux qui ont obtenu le Grand prix de sculpture ou de peinture, pour ceux autorisés à continuer leurs études ecclésiastiques,
pour les graveurs du Dépôt de la Guerre (6) ,pour les élèves des Ecoles spéciales militaires, pour les fils de colons réfugiés et pour les élèves des écoles vétérinaires.
Le remplacement interdit par la loi Jourdain est autorisé à partir de 1802 et des lois d’amnistie sont votées en 1799 et 1808 ; dans un premier temps, l’amnistie est totale puis, conditionnelle : le conscrit qui rejoint tardivement son unité ne sera pas sanctionné.
Souvent, les réfractaires étaient conduits dans des dépôts ou incorporés dans des bataillons dits « bataillons de réfractaires ».
Après la défaite de Napoléon à Waterloo (18 juin 1815), vaincu par les forces de coalition anglaises avec Wellington, prussiennes avec von Blücher, l’Europe doit être réorganisée.
Déjà entre le 1 er septembre 1814 et le 9 juin 1815, le Congrès de Vienne, conférence internationale, se réunit pour restructurer l’Europe, suite à la chute du 1 er Empire et assurer la paix. Ainsi, la future Belgique par exemple, est soumise au roi de Hollande Guillaume 1 er .

La Belgique indépendante

L’Indépendance de la Belgique est proclamée le 4 octobre 1830 et en 1831, Léopold 1 er devient le premier roi des Belges.

Dès 1831, on trouve dans le Bulletin administratif, un texte concernant le service militaire, pourtant encore volontaire. (7)

SALLE D'EXAMEN MEDICAL
SALLE D’EXAMEN MEDICAL

« REGLEMENT relatif à l’examen de l’aptitude ou de l’incapacité des hommes sous le rapport du service militaire.

Tout individu déjà visité provisoirement, lors de son engagement, sera de nouveau examiné avec la plus grande attention au corps pour lequel il aura été désigné, par le chirurgien-major présent à ce corps ou dans la garnison, et à son défaut, par celui qui se trouve le plus à proximité.
Sont impropres au service militaire les individus atteints des infirmités suivantes :

PREMIERE DIVISION. – Défauts qui rendent absolument incapables du service.
1.° La privation de la vue.
On désignera l’accident qui aura occasionné ce défaut, ou la maladie qui l’entretient, telle que l’inflammation de l’œil, ou une blessure à cette partie. Si c’est une goutte sereine (amaurosis), on enverra l’individu dans un des hôpitaux militaires, pour s’assurer de la réalité du défaut.
2.° La perte totale du nez, surtout si elle présente un aspect rebutant, et si elle rend la respiration difficile.
3.° La privation de la voix et de la faculté de parler, et la surdité complète.
4.° Les goîtres et tumeurs scrofuleuses (8) incurables, qui gênent continuellement la respiration.
5.° La perte d’un bras, d’une jambe, d’un pied ou d’une main, ainsi que la roideur incurable de l’un de ce membres.
6.° Les tumeurs des principales branches des artères.
7.° Les os- longs, recourbés, ou les exostoses, par suite de nouures aux os, tellement prononcés , qu’ils gênent évidemment le mouvement des membres.
D’autres maladies des os, quoiqu’importantes et visibles, font néanmoins parfois naître des doutes, qui seront levés par l’inspecteur-général du service de santé. La seule supposition fondée, que ces difformités gênent, suffira pour rejeter les remplaçants et les recrues.
8.°Le défaut de boîter, bien constaté, quelqu’en soit la cause primaire, ainsi qu’un rétrécissement considérable et permanent des muscles flexeurs ou extendeurs de quelques membres, de même que la paralysie de ces parties, ou leur état de relâchement incurable, qui empêche le libre mouvement des membres.
9.° L’état d’amaigrissement et le marasme prononcé de tout le corps, ou d’une de ses parties, caractérisé par les symptômes de phtisie.
10.° La perte du membre viril, ou des testicules.

DEUXIEME DIVISION. – Infirmités ou maladies qui occasionnent l’incapacité absolue ou relative du service, dont le caractère, quoique appartenant à la classe des grands et importants défauts corporels, est cependant moins palpable que dans la division précédente, et qui, pour les connaître et les juger, exigent une attention plus approfondie.
1.° Les grandes lésions du crâne, provenant de blessures graves, des pressions ou impressions des os, ou de leur exostose ou perte, attendu qu’elles occasionnent quelquefois les accidens suivans, et, presque toujours, plusieurs ensemble, tels que : Troubles des facultés intellectuelles, vertiges, surdité, assoupissement, affections nerveuses ou spasmodiques, accompagnés souvent de douleurs atroces dans la tête.
2.° La perte de l’oeil droit, ou la privation de son usage. Ce défaut rend le soldat impropre au service en ligne.
3.° La fistule lacrymale incurable, les inflammations chroniques, et fréquemment répétées aux yeux, ainsi que les maladies des tarses et voies lacrymales devenues habituelles, et des taches sur la cornée transparente, lorsqu’elles sont parvenues au point de nuire à la vue. Les remplaçans et les recrues affectés de ces maux ne pourront être reçus.
4.° La faiblesse de la vue, les infirmités permanentes de cette partie, qui empêchent de distinguer les objets à une certaine distance (propriété nécessaire pour le service militaire) telles que la vue basse (myopia), les éblouissemens (nyctalopia), etc. ; l’habitude de loucher ne gêne point le service militaire. L’examen des défauts de la vue est quelquefois difficile et
douteux : c’est surtout pour la milice nationale que l’officier de santé, chargé de la visite, doit apporter la plus grande circonspection dans ses jugemens. Les myopes (ceux qui ont la vue basse) qui, pour voir distinctement, doivent se servir d’une lunette connue sous le n° 10, chez les lunetiers accrédités, sont incapables de servir, comme aussi les presbiopes (presbytae) qui doivent employer une lunette de 5 pouces de foyer (9) .
5.° La difformité du nez, surtout quand elle gêne la respiration. L’ozène, et tout ulcère opiniâtre des cavités du nez ou du palais ; la carie dans ces parties et les polypes quand ils sont incurables.
6.°L’infection incurable de l’haleine ; les écoulemens fétides de l’oreille, et semblables émanations incurables. Dans cette catégorie est comprise la transpiration très-infecte et habituelle des pieds, que l’on reconnaît à des irruptions érysipélateuses de la plante des pieds. Les soldats affligés de ces infirmités, ou les ayant contractées durant leur service, seront admis à obtenir leur congé.
7.° La perte des dents incisives de la mâchoire supérieure et inférieure ensemble ; les fistules dans les creux des mâchoires ; la difformité sans remède de l’un de ces os, occasionnée soit par la perte de substance soit par un autre accident qui empêche de mordre la cartouche, de mâcher les alimens, ou qui gêne la prononciation. L’individu privé des dents incisives et
canines, ne peut absolument être accepté comme remplaçant ou comme recrue. Ceux qui ot conservé leurs dents incisives, supérieures ou inférieures, ne peuvent être considérés comme impropres au service de soldat.
8.° Les fistules salivaires incurables et l’immobilité de la mâchoire inférieure ou de la tête (caput obstipum).
9.° La déglutition difficile, surtout si elle provient, soit de la paralysie de l’ésophage, soit d’un défaut incurable des parties qui exécutent ces fonctions.
10.° Les défauts permanens et bien constatés de l’ouie et de la voix, quand ils sont de nature à pouvoir être considérés comme gênans pour le service militaire. Le bégaiement, quand il est assez considérable pour pouvoir compromettre la sûreté d’un poste.
11.° Les tumeurs et ulcères scrofuleux ;ils sont presque toujours accompagnés de glandes engorgées, et de la cachexie.
12.° Les bossus, ainsi que ceux qui ont l’épine dorsale courbée La difformité du sterne, de naissance ou fortuite, ou de larges cicatrices sur cette partie, lorsqu’elles gênent évidemment la respiration, ou qu’elles empêchent de porter le havre-sac et la giberne ; mais les remplaçans et les recrues seront absolument refusés pour ces défauts ou difformités extérieures.
13.° La phtisie (10) , dans tous les degrés ; les asthmes constatés, ainsi que le crachement de sang (hoemoptysis) et d’autres difficultés très-probables dans la circulation du sang, particulièrement une pulsation très-étendue, ou contre nature, permanente et habituelle.
14.° Les hernies qui ne peuvent que difficilement ou point être contenues par les bandages ; ainsi que l’anus artificialis. Les individus affligés d’une double hernie doivent absolument être écartés, et ceux qui n’ont qu’une simple hernie de l’aine, quoiqu’on puisse la contenir par un bandage, ne seront nullement admis comme remplaçans ou comme recrues.
15.° La pierre, la gravelle, l’incontinence des urines, ou des rétentions fréquentes, ainsi que les maladies graves et les défauts des voies urinaires, les fistules à ces parties, etc., soit qu’on les considère comme incurables, soit qu’elles exigent les soins constans du chirurgien et du médecin. Pour la milice nationale, surtout, il sera nécessaire que l’incontinence de l’urine soit confirmée par des épreuves dans un hôpital.
16.° Une testicule retenue dans l’anneau abdominal, particulièrement si elle est douloureuse ; le sarcocèle, l’hydrocèle, le varicocèle ou circocèle, et tous les défauts considérables et incurables du scrotum, des testicules et du cordon spermatique. Les remplaçans et les recrues affectés de ces maladies, ne seront point admis, quand même ces maladies seraient guérissables.
17.° Les hémorroïdes ulcérées, les fistules incurables de l’anus ; les hémorroïdes cruantes, fortes et périodiques ; les pertes de sang par le canal intestinal, l’incontinence de matières fécales, surtout les chutes du rectum (prolapsus ani) ainsi que le rétrécissement contre nature de cette partie par suite d’opérations chirurgicales, etc.
18.° La perte de l’un des pouces ; d’une phalange de l’un des index, ou la perte d’un ou plusieurs doigts ou orteils ; ainsi que la roideur incurable de l’une de ces parties, le raccourcissement ou la difformité des bras ou des jambes, par suite de fractures, qui rendent les individus impropres au service auquel ils étaient destinés.
19.° La difformité incurable des pieds, ou des mains, ou d’autres parties qui rend pénibles ou difficiles les marches, ou le maniement des armes. On ne recevra pas les remplaçants et recrues qui ont des pieds très-plats, ou ceux qui marchent en dedans ; les individus qui ont ces défauts sont toujours de mauvais piétons.
20.° Les tumeurs variqueuses considérables (varices) et les gonflements ou oedèmes habituels des pieds et des jambes.
21.° Les tumeurs et ulcères carcinomateux ; les ulcères malins invétérés ; qui peuvent être considérés comme incurables.
22.° Les grandes cicatrices d’ancienne date, surtout si par leur adhésion , elle gênent le mouvement de l’un des membres, et si elles sont accompagnées de la perte de substance.
23.° Les maladies graves des os, telles que les exostoses considérables, les anchyloses décidés, la carie ou nécrose, l‘épine venteuse, les tumeurs du périoste, dès que ce maladies gênent le mouvement des parties qu’elles affectent.
24.° Les maladies cutanées, quand elles sont contagieuses, invétérées, héréditaires et opiniâtres, telles que la teigne (11) les dartres, et autres maladies malignes de la peau.
L’incurabilité de ces maladies, devra, pour la milice nationale, être prouvée par un traitement régulier, mais tenté, sans succès, dans un hôpital désigné à cet effet.
25.° La cachexie totale, le scorbut et l’hydropisie incurables.
26.° La grande faiblesse et l’amaigrissement, la taille trop haute ou trop petite, surtout dans le premier cas, lorsque la croissance de l’individu a excédé ses forces.
27.° La podagre et la sciatique, les douleurs rhumatismales et arthritiques invétérées, qui gênent le libre mouvement des membres.
28.° L’épilepsie bien constatée ; les convulsions ; le tremblement involontaire du corps ou d’une de ses parties ; la paralysie totale ou partielle ; la démence ; la fureur ou la fatuité. Ces défauts devront être prouvés pour la milice nationale, par des épreuves dans un hôpital. En délivrant les certificats, on désignera, en général, les accidens ou les causes des défauts,
ainsi que les signes qui démontrent évidemment le caractère du défaut. Si l’on se sert des termes techniques, on les fera suivre de la dénomination en langue Belgique.
Tous les défauts et infirmités qui ne procurent pas encore l’exemption du service aux miliciens, défendent d’accepter des remplaçans ou des recrues, qui, sous tous les rapports, doivent être sains et exempts de tout défaut apparent. »

Arrêté par résolution Royale du 15 janvier 1821, n° 59.

En 1831, en Belgique, il existe un service militaire volontaire et donc une armée de mercenaires, car la loi de milice (en fait, celle de 1817 en Hollande) précise que tous les jeunes hommes dans leur 19 e année, doivent prendre part au tirage au sort. Dans chaque commune, ce tirage au sort désigne les hommes destinés à un premier contingent militaire, puisque chaque commune doit fournir un quota déterminé. Cette loi de 1817, limite à 5 ans
la période pendant laquelle on peut être mobilisé.

Carnières, 1862: des demandes de dispense devant la DP

Nous avons, comme précisé au début de ce texte, un relevé des décisions prises par la Députation Permanente du Conseil Provincial du Hainaut en 1 e et 2 e sessions de 1862, suite à un appel de miliciens de Carnières, portés devant cette même Députation. Voici ce qu’il contient :

BAUDOUX Edouard Jh, de Carnières, ajourné par le Conseil de milice pour ganglions sous maxillaires engorgés, non curables en 1 année. En appel, on le prétend propre au service militaire. La Députation Permanente l’exempte pour 1 an car l’engorgement des glandes du cou est considérable, gênant le port du col, non curable dans l’année.
WILLAME Casimir, de Carnières, exempté définitivement par le Conseil de milice pour défaut de taille. L’appel prétend qu’il a la taille requise. La Députation Permanente estime qu’il n’a pas la taille requise et l’exempte définitivement en vertu de la loi du 8 janvier 1817.
BOUGARD Alphonse, de Carnières, ajourné par le Conseil de milice pour défaut de taille. L’appel contredit et la DP prétend qu’il n’a pas la taille requise et l’exempte pour 1 an (il va encore grandir ?).
– BALESTIN Pierre, de Carnières, exempté par le Conseil de milice car difformité de la main gauche pouvant rendre le maniement des armes difficile. L’appel l’estime apte au service. La DP le juge exempt de défaut car pour elle, la perte d’une phalange est un motif insuffisant pour l’ajournement et annule donc la décision du Conseil de milice ; il est donc désigné apte au service militaire.
– DUPONT Louis Jh, de Carnières, exempté définitivement par le Conseil de milice pour difformité de la main droite pouvant rendre le maniement des armes difficile. L’appel prétend évidemment le contraire ! Pour la DP, la perte partielle du pouce de la main droite, incurable, est un motif qui rend l’homme impropre au service et l’exempte définitivement.
LECHIEN François Jh, de Carnières, ajourné par le Conseil de milice pour défaut de taille, motif refusé en appel. Pour la DP, il n’a pas la taille requise mais a en plus, les pieds plats ; il est donc jugé impropre au service pour défaut de taille et exempté définitivement à cause des pieds plats.
– LECHIEN Augustin, de Carnières, exempté définitivement par le Conseil de milice pour cambrure des genoux portée à l’excès, incurable. Pour l’appel, il est propre au service. La DP constate un état cagneux prononcé rendant impropre au service et l’exempte définitivement.
– DUPUIS Pierre Joseph, de Carnières, est exempté définitivement par le Conseil de milice pour pieds plats, incurable. L’appel le prétend propre au service. La DP dit que les pieds épatés ne sont pas un motif d’exemption et le juge donc apte au service.


Deux extraits de documents du Conseil de milice sont intéressants :

RENARD Pierre Joseph, de Chapelle-lez-Herlaimont, est exempté pour une année pour défaut de taille, suite à la séance du 1 er mars 1854.
– SADIN Norbert Désiré Joseph, de Carnières, est désigné propre au service, à la séance du 3 mars 1865.

Fin 19 e siècle, plusieurs lois sont édictées, portant la période de mobilisation entre 8 et 10 ans ! On recourt parfois aux mutilations mais surtout à la substitution ; au départ, les jeunes gens de la classe aisée peuvent se permettre de payer une substitution. Mais bien vite, n’importe qui peut souscrire auprès d’une société spécialisée, une assurance permettant aux
jeunes de milieux moins favorisés de bénéficier du privilège de substitution.
A cette époque, en dehors de la Belgique, les troupes prussiennes, autrichiennes et françaises font l’admiration de tous ; le tirage au sort et la substitution sont de plus en plus critiqués et dès 1871, il y a des projets de service militaire obligatoire.

Le service militaire obligatoire

En Belgique, il faut attendre 1909 et la signature de Léopold II pour rendre le service militaire obligatoire. Ce service est personnabilisé pour un garçon par famille et dès lors, le tirage au sort et la substitution sont abolis. La durée du service militaire est ramenée à 15 mois pour l’infanterie et 24 mois pour la cavalerie.
Pendant la première guerre mondiale, les effectifs belges ne sont pas assez nombreux. En 1923, la durée du service militaire, abaissée depuis 1909, est ramenée à 10 et 12 mois.
Pendant plus de 80 ans, la durée du service militaire n’arrête pas de fluctuer, allant même jusqu’à 8 mois seulement !

Les dispenses entre 1953 et 1960

soldat-1914-source-httpswww.passionmilitaria.com
soldat-1914-source-httpswww.passionmilitaria.com

Le Centre National de Radiobiologie et de Génétique installé à Bruxelles a réalisé un examen des demandes de dispenses entre 1953 et 1960. L’étude porte sur des recrues qui ont généralement 18 ans mais suite à certains sursis, il y a des hommes âgés de 24 à 26 ans.
On constate de suite qu’il y a 7,9% d’exemptés pour cause physique ! Il y a en plus, des dispenses pour des causes morales (aînés de famille, veufs avec enfants…) et certains sont même exclus pour « indignité » !
En fait, l’étude des dispenses médicales porte sur 91,1% du total de la population masculine, à partir de 18 ans.
Un Arrêté Royal du 5 octobre 1951 définit avec beaucoup de précision 54 raisons qui peuvent entraîner l’exemption du service militaire.

Plusieurs cas se présentent :
– Les jeunes gens recrutés pour une levée militaire introduisent une demande
d’exemption pour cause physique ; ils sont alors examinés par le Conseil de Révision composé d’un magistrat, d’un médecin militaire et d’un médecin civil, soit au siège du Gouvernement Provincial, soit à domicile. Il arrive aussi que le sujet soit exempté à l’étranger, au siège d’un poste diplomatique ou consulaire.
– La majorité des recrues, de tout le pays, subit un examen médical très approfondi au Centre de recrutement et de sélection à Bruxelles : mensurations biométriques, antécédents héréditaires et personnels, analyse de sang et des urines, radiographie cœur et poumons et examen psychologique. Si nécessaire, le futur milicien est envoyé en observation dans un hôpital militaire.
– Les malades graves qui ne peuvent se déplacer, sont examinés à domicile par le Conseil de Révision. Généralement, l’avis du médecin de famille est très souvent confirmé et la recrue, exemptée. Les recrues concernées sont souvent des infirmes ou des malades mentaux.

Quant à la fréquence observée de maladies qui exemptent, on trouve en premier lieu, la tuberculose (15,4%) puis les maladies mentales (14,4%) et enfin, les affections de l’oreille (12,1%).Analysons succinctement chaque maladie cause d’exemption.

La tuberculose

C’est l’affection la plus fréquente, surtout la tuberculose pulmonaire (80,6%) ; outre celle-ci, il y a la tuberculose pleurale, la primo infection avec symptômes, l’adénopathie trachéo-bronchique avec symptômes, la tuberculose de l’appareil respiratoire, des méninges, du système nerveux central, de l’intestin, du péritoine, des ganglions mésentériques, osseuse, articulaire, de la peau, du système lymphatique, de l’appareil génito-urinaire, des glandes surrénales, de l’œil, de l’oreille ou d’autres organes comme par exemple, le péricarde, la tuberculose à foyers multiples comme la tuberculose miliaire, la polysérite tuberculeuse et la tuberculose à sièges multiples. Heureusement, peu de morbidité. Il faut cependant noter qu’il existe des variations régionales : le taux de malades est particulièrement bas dans la province d’Anvers et haut, dans la province de Liège.

déficience et maladies mentales

Il est souvent difficile de distinguer les maladies mentales des déficiences mentales ; on rencontre la démence, l’idiotie, l’imbécillité, la débilité grave. Impossible de préciser si le sujet est psychopathe, déficient mental ou inadapté au milieu militaire. La déficience mentale paraît la plus fréquente dans la province du Hainaut et la moins courante dans la province d’Anvers.

Maladies de l’oreille

C’est la 3 e cause d’exemption dans l’ordre d’importance ; les maladies de l’oreille et de la mastoïde touchent 7,5% des recrues.

Maladies de l’œil

Presque la moitié des exemptions sont établies suite à des vices de réfraction (myopie…) mais il ne faut pas négliger pour autant, les affections congénitales de l’œil.

Affections héréditaires

Elles sont nombreuses et parfois congénitales. Il y a principalement le diabète, l’hémophilie, l’épilepsie, la surdi-mutité et comme on l’a écrit plus haut, les malformations héréditaires ou « congénitales » comme le bec-de-lièvre et la fissure palatine qui ne sont pas toujours cause d’exemption, la spina bifida et le méningocèle, la luxation congénitale de la hanche et le pied
bot.

Maladies infectieuses

On comprend par là, les maladies infectieuses et parasitaires, les maladies infectieuses du système nerveux central, les maladies de l’œil ou de l’oreille, le rhumatisme articulaire et les maladies infectieuses de l’appareil respiratoire.
Il est clair enfin, que les médecins du Conseil de révision peuvent rencontrer d’autres affections, moins connues ou plus rares. Rappelons aussi que le défaut de taille reste encore un critère d’exemption !

Certains jeunes gens refusent d’apprendre à détruire et à tuer lors de leur service militaire, afin de construire leur vie ; ce sont les objecteurs de conscience qu’on enfermait systématiquement jusqu’en 1964, dans les prisons du Royaume, au mépris des Droits de l’Homme les plus élémentaires. En 1964, le Parlement belge vote le statut de l’Objection de conscience et dès 1966, les premiers objecteurs de conscience libérés peuvent entrer à la
Protection Civile (pompiers, ambulanciers…) pour y effectuer un service civil de durée double de celle du service militaire. Mais pour certains, ce service à la Protection Civile a des limites et donc, dès 1969, on autorise le Service Civil dans de véritables Organismes d’Utilité Publique en Europe ou sur d’autres continents. Ce n’est que le 20 février 1980, qu’une loi fixe le statut d’objecteur de conscience.

Suite à la loi du 30 juillet 1974, on recrute des volontaires féminines ; en 1984, le service militaire volontaire entre en vigueur pour tous.

Finalement, en 1993, le service militaire obligatoire est suspendu pour une durée indéterminée.

L’armée redevient professionnelle et d’ailleurs, depuis 2010, il est à nouveau possible d’effectuer un service militaire comme volontaire.

A.M.Marré-Muls
Bruxelles, 2024


TEMOIGNAGES

Docteur Michel DIVE d’Erquelinnes : « De la lecture de cette étude, il se dégage un intérêt historique certain. Le médecin actuel est interpellé par le caractère souvent définitif des tares et des maladies dans un passé qui, finalement, n’est pas si  éloigné. Quand on était malade ou atteint d’un handicap, les chances de guérison étaient minimes et si on survivait,
il fallait supporter les tares et les séquelles. Puissent les détracteurs de la médecine actuelle, s’inspirer de cette lecture et revoir leur jugement en toute objectivité ! »

1 Les patriciens sont les citoyens qui appartiennent par la naissance, à la classe supérieure et traditionnelle. C’est le contraire des plébéiens, plus nombreux.
2 La curie désigne un lieu mais aussi un groupe d’hommes, tous sénateurs, qui s’y réunissent.
3 Marius fut un célèbre général et homme politique fin 2eme et début 1 er
siècle Avant JC.
4 Premier empereur romain, début 27 Avant JC. Jusqu’en 14 Après JC.

5 Il y aura beaucoup de mariages entre des jeunes gens et des dames plus âgées !
6 Le Dépôt de la Guerre était le bureau de cartographie et d’archives à intérêt
militaire depuis Louis XIV. Le rôle de ce Dépôt fut amplifié sous la Révolution et l’Empire.

7 Le texte est repris in extenso
8 Anciennement, c’est ce qu’on nomme écrouelles ; infection de la peau ou
des muqueuses ou inflammation des ganglions. Actuellement, cela désigne une lésion de tuberculose cutanée, ganglionnaire ou osseuse 

9 Il ne suffit pas pour être exempté du service de la milice à cause de myopie, de pouvoir se servir d’une lunette sous le n° 10, mais il faut que cette lunette soit indispensable pour pouvoir clairement distinguer les objets. Dès qu’il existe le moindre doute à cet égard, ce qui est d’ailleurs facile à vérifier d’après les informations qu’on peut prendre tant auprès de l’autorité locale qu’auprès des miliciens qui sont de la même commune que l’individu qui réclame de ce chef, ce dernier doit être incorporé sans avoir égard à sa réclamation. Cette mesure paraît la plus convenable pour prévenir tout abus ; car si l’on désignait les lunettes n° 4, la difficulté resterait la même, on s’exercerait également à en faire usage et on pourrait toutefois par là faire tort aux personnes vraiment myopes qui, pour bien voir, doivent se servir du n° 10, et ne peuvent point distinguer les objets au moyen du n° 4. La myopie ne donne droit qu’à une exemption provisoire. 

10 La phtisie est un terme ancien désignant la tuberculose pulmonaire. 

11 La teigne ne donne droit qu’à une exemption provisoire.

BIBLIOGRAPHIE

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DH Sports, Il y a cent ans, naissait le service militaire obligatoire, 13 décembre 2009
France Culture, interview d’Anne Crépin et Odette Poynette, 10 octobre 2022
Manière Fabienne, Naissance du service militaire, s.l. 2019
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