Actuellement, seulement 2 à 3% des rues portent le nom d’une femme, alors que près de 25% portent celui d’un homme ! De là, la volonté exprimée de féminiser davantage les noms des espaces publics et des voiries.
Alors, un peu partout, on cherche dans l’histoire, grande ou locale, des femmes qu’il serait bon d’honorer ainsi, et qui corrigeraient du même coup des statistiques qui disent trop leur invisibilisation.
Et c’est à Julie Dessy que l’Administration communale de Namur a pensé, notamment, pour une première démarche dans la féminisation des voiries, à Jambes, sur le site des anciens établissements Magondeaux, dans le quartier Sedent-Poudrière. L’activité avait été déjà célébrée par la création d’une avenue Jean Materne, toujours à Jambes, pointant ainsi à la fois l’entreprise, le premier héritier et l’ancien bourgmestre.
Julie Dessy, est originaire de Wierde. Elle épouse en septembre 1888 à l’âge de 27 ans Édouard Materne, résidant à Dave et alors âgé de 32 ans. Il est maraîcher, comme son père et cultive des fruits, sur les coteaux de Wépion et sur l’Île de Dave. Il sera en bonne partie à l’origine de la fameuse fraise dite de Wépion.
Quelques jours après les noces, le couple fonde à Wépion la firme Édouard Materne-Dessy, une entreprise agricole qui se transforme en siroperie.
A la fin du XIX°, la production de sirops et de pâtes à fruits va s’élargir aux confitures, qui deviendra son activité unique. Édouard Materne a acquis le matériel nécessaire en Angleterre. Et a engagé un spécialiste anglais.
Mais une fois que vous avez les fruits, une fois que vous avez les bassines en cuivre, une fois que vous avez les techniciens, il manque l’essentiel : les recettes. Car que peut le hard si on n’a pas le soft? Ou, pour reprendre le regretté Alain Bashung:
Alors à quoi ça sert la frite si t’as pas les moules
dans Gaby Oh gaby
Ça sert à quoi l’cochonnet si t’as pas les boules
Les moules et les boules seront donc l’affaire exclusive de Julie Dessy. Entendez que les recettes seront l’affaire exclusive de Julie Dessy. La femme à Edouard… Et le succès commercial sera au rendez-vous.
Pourtant, dans diverses histoires qui se lisent, ça et là, s’il est bien question d’une date: 1888, d’un lieu: Wépion, il n’est question que d’un nom: celui d’Edouard Materne, tandis que celui de Julie Dessy est laisser dans l’ombre… alors qu’il s’agissait pourtant, souvenez-vous en, des établissements « Édouard Materne-Dessy ». On voit ainsi que si l’effet Mathilda, du nom de cette suffragette Mathilda Joslyn Gage, qui la première a décrit le phénomène, le déni récurrent et systémique de la contribution des femmes ne se limitent pas aux travaux scientifiques.
Mais revenons à notre histoire, et au succès de “Materne-Dessy” qui entraîne, en 1900, la construction d’une usine, pour répondre à la demande.
Hélas, c’est bientôt l’interruption de la première guerre, pendant laquelle l’entreprise a une conduite remarquable.
A la fin de la guerre, Jean Materne, le fils aîné du couple, qui avait interrompu ses études à 15 ans pour entrer dans l’entreprise familiale, reprend l’affaire. L’activité s’étendra dans le secteur du légume, la technique du froid, sous la marque Frima et se développera à Bruxelles, mais aussi à l’international, par le rachat en 1922 de la Confiturerie de la Thiérache, à Bouée en France. Materne devient ainsi l’un des cinq premiers confituriers français.
On passera sur des épisodes d’après la seconde guerre, qui font la vie des affaires, pour retenir, en 1980, le déménagement vers une nouvelle usine à Floreffe, d’où continueront de partir les pots triangulaires de confiture de la marque. Reste que, de cessions en reprises, la marque subsiste et continue son développement en prenant place dans les rayons frais des magasins et en lançant ses mousselines de pommes et de fruits.
Alors, aujourd’hui, on se plait à penser aux fondateurs, et à Julie Dessy en se disant que, peut-être, elle sentait la framboise et la mirabelle, comme Mémé… Mémé-confiture bien sûr.
Bernard Chateau,