L’engouement actuel pour la mise en valeur de notre patrimoine se manifeste, dans nos régions, notamment lors de vernissages d’expositions.

Si quelques invités l’apprécient pour “le verre de l’amitié”, bien sympathique d’ailleurs, et l’honneur de serrer la main de représentants politiques prenant, à l’image des chefs d’Etat, les bains de foule, si d’autres visiteurs prennent plaisir à retrouver d’anciens Compagnons de travail, des collègues de bureau, de vieilles Connaissances, bien des personnes, elles, s’intéressent davantage à la découverte du passé présent dans ces expositions.

Autour d’un humble objet sobrement exposé, d’une lumineuse affiche ancienne d’une photo émouvante épinglée au mur, des visiteurs attentifs se rassemblent, discutent, évoquent spontanément le passé de leur village natal. Chacun d’eux se sent soudain une âme d’historien, Ah! Si l’on pouvait enregistrer, sur le vif ces anecdotes inédites, ces réflexions pertinentes, quel apport précieux enrichirait l’histoire locale!

Au cours de ces confrontations spontanées, de ces petits débats animés, on constate avec modestie que l’on connaît très mal la richesse du patrimoine humain de son lieu d’origine.

Durant des décennies, des Carniérois se sont épanouis, sinon distingués, dans des domaines aussi divers que: les sports, les arts plastiques, la politique la magistrature, l’art militaire, le commerce, la médecine, la technique, le civisme voire même l’incivisme, l’enseignement à tous les degrés.

Hélas! le souvenir de leurs exploits s’est-estompé au fil du temps, seule la mémoire collective pourrait les sortir de l’oubli.

Au lieu de se plaindre des conditions météorologiques défavorables, de médire des politiciens évidemment responsables de tous les maux, à leur avis, d’évoquer des misères personnelles et intimes, la comtemplation des œuvres d’art permet aux visiteurs d’aborder des sujets de conversation infiniment plus intéressants, d’éprouver le besoin de recueillir des renseignements, des impressions, bref de communiquer (au sens large du terme).

C’est ainsi que lors d’une réunion locale, quelqu’un, à brûle- pourpoint, mentionna l’existence d’un peintre “naif” natif de Carnières, de réputation internationale: Karl Willam, né à la fin du siècle dernier, précisément en 1898.

Certains voulurent en savoir davantage sur cette personnalité et, par conséquent sur l’art naïf.

Des membres de ce groupe n’etant ni critiques, ni historiens d’art, ni artistes savouèrent, pour la plupart, incapables de définir l’art naïf; leurs connaissances dans ce domaine se limitant à nommer le douanier Rousseau. Plusieurs étaient tentés d’assimiler la peinture naïve à celle des enfants ou à celle des populations primitives. La notion de peinture naïve est apparue en France, au cours des années qui précéderent la guerre 1914-18. Des artistes qui n’avaient aucune formation scolaire artistique en somme des autodidactes, peignaient des tableaux à la fois maladroits et extraordinaires; hommes scrupuleux, poètes au cœur sensible et à l’imagination fertile, ils portaient en eux un idéal de perfection et de vérité.

cette même époque, en Europe, en opposition aux enseignements périmés et grotesques des écoles de peinture, le génie avait produit de prestigieux mouvements certistiques novateurs et irrésistibles: impressionnisme, divisionnisme, fauvisme, cubisme.

A côté de puissantes individualités Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Picasso, Matisse ete, – animées chacune par une force créatrice originale, douées d’une intelligence capable de profondes réflexions sur les raisons essentielles de l’art, se manifestèrent des créateurs œuvrant par instinct, sans ambition de prendre rang dans l’histoire de la culture Universelle, des créateurs que étaient les interprètes de la sensibilité populaire dans son aspect le plus familier, le plus modeste…

, venus du monde des petits gens, s’ils peignirent les choses et les figures de leur petit univers, pratiquèrent en ce domaine, des vertus de simplicité et de sérénité dignes de très grands peintres .

De peuple des peintres naïfs est innombrable car il naît de la nature et de la vie. La peinture naïve n’est conditionnée par rien.

Tous les pays du monde ont leurs naïfs; en Europe, on en compte en France, en Italie, en Hollande, en Suisse, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique. Ces pays possédant déja un long et glorieux passe artistique, il était naturel qu’à côté de cette tradition se produisirent des artistes chez qui le don ne se manifeste qu’à l’état brut et sous cette forme strictement populaire.

Mais les naïfs, dans des pays, venus plus tard à la civilisation universelle, existent aussi, au stade du folklore et de l’épopée – un exemple récent est donné par Europalia 93 avec les peintres muralistes mexiquains.

Ces peintres, dits “primitifs” parce qu’ils n’en étaient encore voici 25 ans qu’au stade de l’expression primaire se retrouvent en Amérique du Nord, en Amérique latine et, plus près de nous, en Pologne, en République Tchèque, en Slovaquie, en ex-Jougoslavie. Il est donc essentiel de souligner le caractère international de l’art naïf.

En Wallonie d’après des articles de journaux de l’époque on repérait déjà en 1960, une vingtaine de peintres naifs et plus d’une cinquantaine, vingt ans plus tard, en 1980 parmi lesquels Karls William né à Carnières dont l’œuvre abondante se situe dans un intervalle de temps assez court, d’une vingtaine d’années…

Retrouvons nos interlocuteurs… ils ont plus ou moins cerné le monde des “naïfs” et ils s’interrogent alors sur la personnalité de Karl William et sur les circonstances qui l’ont amené à la peinture naïve.

A Carnières, au début du siècle, la plupart des enfant d’ouvriers ayant terminé leurs études primaires n’avaient pas accès à l’enseignement secondaire classique non pas par incapacité intellectuelle, mais parce que les parents n’avaient pas les moyens pécuniaires indispensables : frais d’équipement obligatoire, minerval, achat de livres etc,… Les familles mettaient leurs enfants en apprentissage auprès d’un artisan spècialisé ou même directement au travail, dans la mine, l’âge minimum du travail autorisé des enfants n’étant pas encore réglementé à cette époque.

Des enfants intelligents et courageux complétaient leurs études primaires en suivant des cours à tendance téchnique et commerciale, le soir, pendant la semaine et même le dimanche avant-midi ou à l’école professionnelle du jour pour ceux qui ne travaillaient pas.

L’administration des Charbonnages, les Houillères étant une des industries les plus importantes de notre région, avaient créé ces écoles, beaucoup de cours y étaient donnés par les ingénieurs et employés. Ils y formaient des ouvriers qualifiés, des porions, contre-maîtres, comptables dessinateurs, parmi lesquels ils recrutaient leur personnel.

C’est à l’Ecole Industrielle et Professionnelle de Morlanwelz que Karl William né en 1898, dans un milieu de mineurs carnièrois, enfant certainement trés intelligent, courageux et volontaire obtint une série impressionnante de diplômes:
– Section Menuiserie en 1914
– Karl a 16 ans. – Technologie du Bois-Dessin industriel en 1917
– A 19 ans, il devient employé. – Construction industrielle, et matériel de Chemin de fer en 1920. – Soudure autogène et découpage des métaux en 1932;
à 34 ans il est Chef du Bureau de Dessin. – Outillage et Organisation des machines outils. Fabrication des chaudières de locomotive en 1934.
A 36 ans Karl devient chef de service.

En 1953 Karl, âgé de 55 ans ouvre un restaurant à La Louvière avec sa femme et ses enfants, en menant de front son travail à l’usine. L’idée
lumineuse de décorer de dessins, à l’encre de Chine, les murs de son modeste restaurant n’est – elle pas le point de départ de sa vocation artistique qui se manifestera 10 ans plus tard?

En 1963 Karl a 65 ans, il prend sa retraite et bien qu’il n’ait reçu aucune formation artistique, il se met à peindre frénétiquement sans éprouver la moindre crainte des critiques. Sa témérité, fond de son caractère, une fois de plus, lui permet d’aller de l’avant. Karl, l’artiste traite des sujets fort divers avec des couleurs vives: paysages, villes, scènes de cirque, scènes de la création du monde etc…

Sa connaissance du milieu industriel, l’inspire : pas étonnant dès lors si dans ses meilleures œuvres on retouve des vues de locomotives de chemin de fer, des wagons, des objets divers presentés d’une façon inhabituelle, non conforme à nos prises de vision, la perspective aérienne étant absente, les dimenstions inaccoutumées.

En 1970, à l’exposition “‘Art naïf ancien et moderne, en Hainaut, qui se tient à Mons, en la salle, St Georges, on retrouve avec émotion Karl William parmi d’autres peintres naïfs comtemporains aux professions les plus diverses: boulanger, peintre en bâtiment, mineur, monteur industriel, commis au chemin de fer, maçon, jardinier, cordonnier etc…

La même année, il figure dans la Collection belge de Naivni à Zagreb et ensuite dans d’autres ensembles internationaux relatifs à l’art naïf.

En 1970, à l’exposition de Mons, le critique d’art, Paul Caso, terminait son article, dans le “Soir” par cet émouvant passage: “Voici donc les naïfs du Hainaut, à Mons, Ceux d’une région aux violents contrastes, aux paysages perpétuellement modifiés par de nouvelles conditions économiques, ceux d’une Société humble qui s’accroche désespérément à ses souvenirs et qui cherche toujours à entendre le chant du rossignol dans la nuit du Pays noir”

Un autre journaliste français concluait par cette phrase prophétique “Phénomène général de notre temps, l’homme soumis à l’étourdissante diversité de ses conditions s’inquiète par l’art naif de se retrouver dans la plus simple et la plus naturelle, figure de lui-même”

N’est-il pas réconfortant, en cette période de crise économique grave de savoir que Karl Willeam, un enfant né à Carnières d’origine humble, par sa ténacité et ses qualités profondes, a pu s’élever au niveau d’un peintre de rang international reconnu et, par ce fait, nous livrer un message de volonté et d’espoir?


PS. Quelques détails de la vie artistique de Karl Willam proviennent de “‘Art-naïf en Wallonie et à Bruxelles” par Georges Schimits, édité chez Labor en 1981 – Ouvrage passionnant pour ceux qui s’intéressent à l’art naïf.


L. Annino-Cavalierato- Hecq

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