En consultant des registres de population de Carnières, j’ai constaté pour les années 1880 et 1890, le départ de quelques familles carniéroises pour les Etats-Unis.

J’ai voulu en savoir plus et…”ai été bien surprise !

Outre le fait qu’un Carniérois s’est installé en Louisiane en 1720 (1), ce sont des wallons, surtout des hennuyers, qui se sont exilés dans ce lointain pays (2). Surtout des protestants, opposés à une Espagne catholique despotique. Ne pensant pas comme leurs dirigeants, des milliers d’hennuyers ont le courage d’abandonner leurs biens et de s’exiler, en Hollande surtout mais pour certains, à Manhattan, se trouvant ainsi à l’origine de la ville et de l’Etat de New York !

Au 16e siècle, le comté de Hainaut (avec Valenciennes et Avesnes) fait partie des XVII Provinces, un ensemble de provinces connu sous le nom de Pays-Bas. On y trouve des catholiques, surtout dans le Sud mais aussi beaucoup de protestants, dès le règne de Charles Quint. C’est l’époque où l’homme d’individualise, observe le monde grâce aux grandes découvertes, perçoit les idées largement diffusées par l’imprimerie. On le comprend, au 16 siècle, s’opèrent de grands bouleversements. L’homme cherche aussi à s’enrichir à une époque où le capitalisme apparaît, n’hésitant pas à participer aux échanges économiques entre continents. De plus, on assiste à un grand dérèglement social. Lorsque Charles Quint est couronné empereur, la Réforme des protestants menace l’unité de l’Empire et gêne un catholicisme dont il est le protecteur. Jusqu’à son abdication le 25 octobre 1555, Charles Quint lutte contre la Réforme mais sans grand résultat, puisque le 3 octobre 1555, il doit signer la Paix d’Augsbourg, accordant la liberté de culte aux protestants.

Sous Charles Quint, les protestants se multiplient, malgré tout, mais ses successeurs sont beaucoup moins tolérants jusqu’à la dictature, néanmoins, les protestants maintiennent leurs églises. Philippe II est né en Espagne; c’est un catholique fanatique qui ignore tout des Pays-Bas où il entend régner sans partage, c’est-à-dire en anéantissant toute opposition politique et religieuse. De nombreux pillages, saccages et même assassinats poussent de beaucoup de familles à l’exil. Malgré tout, le nombre de protestants augmente chaque année, souvent dans la clandestinité et entre autres, grâce à l’action de Guy de Brès, pasteur et prédicateur.

On se rappelle du Cardinal de Granvelle qui crée le funeste tribunal de l’Inquisition. Pour parer à l’exil en masse, on proclame un édit interdisant de quitter le pays sous peine de mort.

La situation sociale et économique au 16 siècle est déplorable chez nous ; la haute noblesse craint pour ses privilèges, la haute bourgeoisie voit s’affaiblir son statut social et les petites gens sont de plus en plus pauvres. C’est dire si la Réforme, démocratique, obtient la faveur générale! Au point que des nobles, dont Philippe Marnix de Sainte-Aldegonde, demandent à Marguerite de Parme, la demi-sœur de Philippe II, l’abolition du Tribunal de l’Inquisition et plus de tolérance vis-à-vis de la Réforme. La pétition, dite le Compromis des Nobles est rejetée par Philippe II qui envoie le duc d’Albe en 1567, avec une armée de 20.000 soldats expérimentés. Malgré les violences et environ 800 exécutions, dont celle des comtes d’Egmond et de Hornes, plus de 100.000 personnes, issues de milieux riches et instruits, partent en exil. Les Réformés sont fanatiques et le duc d’Albe échoue dans sa sinistre mission.

On en arrive à une rupture des Pays Bas avec l’Espagne, laissant place à la République Indépendante des Provinces Unies.

L’exil continue: environ 500.000 hennuyers partent s’installer aux Pays Bas. Le 17e siècle, dit le Siècle d’Or, connaît la prospérité et un essor considérable, surtout grâce aux capitaux des réfugiés, de leurs connaissances intellectuelles et techniques.

Il y a de plus en plus d’églises wallonnes protestantes aux Pays Bas, comme celle de Leyde par exemple. Il y a là, un certain Jean de Forest, venant de Mons, dont le fils, Jesse, part en Amérique avec dix wallons, en 1623. Il s’inspire du navigateur britannique Hudson, parti en 1609 et ayant fondé le territoire New Nether-lands en anglais, Nieuw Nederland en néerlandais ou Novum Belgium en latin.3 C’est le début de la colonisation du continent nord-américain.

En 1624, une trentaine de familles et quelques célibataires, soit 127 wallons et surtout des hennuyers, partent en Amérique, emmenant des architectes, des géomètres, des semences, du matériel agricole et même du bétail.

Il y a trois lieux de débarquement et donc de colonisation: Albany, le Connecticut et Manhattan, future New York. Les colons découvrent d’immenses forêts, qui vont leur permettre de bâtir leur maison, de la meubler et de servir de combus-tible. Ils vivent en bonne entente avec les Indiens algonquins, loin des persécutions espagnoles. Leur seul but est de coloniser la région qui les accueille : ils créent des structures politiques et une société heureuse de vivre. On parle le fran-çais! Grâce au commerce maritime et fluvial, une réelle prospérité économique voit le jour et on fonde une vraie ville, New York.

En 1667 par exemple, la province de New York compte plus de 100.000 habitants dont plusieurs milliers sont des wallons !

Une vraie société américaine démocratique se forge, mêlant races et religions, langues et cultures. Hollandais et Anglais dirigent jusqu’en 1776, lors de la Déclaration d’Indépendance.

Pourtant, fin 19e siècle et début 20ª siècle, une immigration massive, surtout d’Irlandais et d’Allemands, déferle sur le continent américain. Chez nous, beaucoup de flamands, souvent pauvres, migrent fin 19e siècle, à la recherche d’une vie meilleure. Ils veulent quitter leur campagne pour chercher du travail dans une ville américaine car là, beaucoup de fabriques ont des emplois à pourvoir. On peut relever dans les Registres de Population de Carnières datés de 1880 et 1890, les noms de plusieurs familles parties vivre en Amérique.

On estime à 1.200.000, le nombre d’immigrants aux Etats Unis entre 1900 et 1914!

Les USA connaissent début 20° siècle, une révolution industrielle prospère qui attire environ 38 millions d’Européens, souvent des aventuriers partis sans connaître personne à New York. A destination, ils postent de nombreuses lettres vantant leur bien-être et la facilité de trouver du travail dans les usines. Ils envoient parfois de l’argent au reste de la famille ou aux amis, leur conseillant de les rejoindre.

Les recruteurs ne manquent pas dans les villages pauvres : il faut savoir lire et écrire et le futur est assuré! Parmi les émigrés, il va de soi qu’il y a des vagabonds, des mendiants et même de petits criminels. Au début, l’Amérique accueille avec plaisir les travailleurs européens. Mais ils doivent « canaliser » cette immigration et construisent des centres tels Ellis Island où chaque personne désireuse d’entrer dans le pays, doit subir un contrôle médical; on examine les dents, les poumons, les yeux et on refuse les chétifs et ceux qui ont des poux !

Quelques mots sur la traversée : si au 17e siècle, il fallait plusieurs mois pour atteindre l’Amérique, le voyage est moins long début 20 siècle, mais quand même éprouvant. Certains, afin de limiter les frais, n’ont pour tout bagage qu’un panier en osier contenant quelques vêtements et quelques objets qui leur semblent indispensables : pour certains, une cafetière, pour d’autres, un nécessaire de couture! Ni meubles, ni outils. Il n’y a pas de confort. Il existe des dortoirs communs, sans lumière et sans air frais. Si un des passagers a des poux, tout le monde en a ! Que dire aussi du mal de mer…La journée se passe sur le pont, dans l’ennui et le souvenir d’avoir tout abandonné. Certains ont pris le train pour la première fois, sont allés en ville aussi pour la première fois et connaissent bien d’autres émotions.

On oublie vite tout le côté négatif de la folle évolution de New York. En 1656 : 1000 habitants, en 1673 : 2000 et aujourd’hui, plus de 9 millions !

A.M.Marré-Muls

En souvenir d’Yves-Laurent (Bruxelles 1987-New York 2016)

1 Lire Feuillet Carniérois n° 191, août 2020.
2 Cette stèle est un monolithe en pierre de Soignies, offerte en 1924 par le Gouverneur et la Députation Permanente de la Province de Hainaut, pour rappeler le débarquement de pionniers hennuyers à Manhattan en 1624.
3 Sur l’une des façades du Musée de la Ville de New York, on peut voir deux plaques en marbre qui représentent les premiers sceaux de l’Etat et de la ville de New York et sur les deux plaques, on peut lire le nom latin de la Nouvelle Belgique.

BIBLIOGRAPHIE
HAUSSY André, Du Hainaut au Mississipi, s.1., 1996.
PINT Charles-Robert, Le Hainaut et la fondation de New York, Mons, 1986.
SCHAEFFER Pierre-Jean, En 1624, des pionniers du Hainaut fondaient…New York, Jumet, 1999.
VAN HOE Marianne, Amerika, een reis op hoop van zegen, dans Néos magazine, Bruxelles, janvier 2013.

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