Sacré Charlemagne

Dans « L’univers, Belgique et Hollande », André Van Hasselt écrit, en 1844 : « Charlemagne portait une affection particulière au pays de Liège, au berceau de sa famille. Il venait fréquemment se reposer de ses fatigues, ou passer les fêtes de Pâques ou de Noël, à Herstal, à Jupille et à Liége, où tout rappelle encore aujourd’hui son souvenir. »

Alors, quand il doit choisir une marque, Adrien Gustave Piedboeuf choisit Imperia, d’autant que ses activités l’ont amené à Aix-la-Chapelle, capitale de l’Empire.

Adrien Piedboeuf: retour à Liège

Mais qui est Adrien Piedboeuf ?

Adrien Piedboeuf est liégeois d’origine. Sa famille est originaire de Jupille. Elle est installée depuis les années 1830 en Allemagne, et c’est à Düsseldorf, que son père, Jean-Louis Piedboeuf, est directeur des Usines métallurgiques. Quand sa mère, Marie, le met au monde, en 1876, il y a déjà quatre enfants dans la famille. Trois suivront.

A Aix-la-Chapelle, il sera concessionnaire automobile.

Mais il est engagé dans son retour à Liège. En 1904, c’est dans un atelier au 63, rue de Fragnée, qu’il construit sa première moto. Deux années plus tard, il donne un coup d’accélérateur à ses ambitions et, avec son ami Paul Henze, sort ses premières voitures, sous la marque Impéria, organisée autour d’une couronne impériale.

Impéria: l'implantation de Trooz
Impéria: l’implantation de Trooz

Bientôt son atelier s’avère trop étroit, et il s’installe à Trooz, au 26, Rue du Gomélevay , qu’il rachète à Henri Pieper, qui y construisait déjà des automobiles. Ainsi, il peut se mettre au boulot, profitant des chaînes de montage existantes.

Sa présence aux Salons de l’auto de Paris et de Bruxelles et les résultats sportifs lancent la marque. En 1910, l’usine occupe plus de 300 ouvriers et produit trente châssis par jour.

Bientôt c’est l’heure de la fusion avec Springuel, de Huy et le début d’une aventure espagnole avec l’Impéria-Abadal, quand survient la première guerre.

Alors, une véritable industrie automobile nationale

Il faut dire qu’alors – nous sommes au début du XX° siècle, la Belgique est le deuxième pays producteur d’automobiles au monde. Dire qu’on comptait une centaine de marques de voiture est à la fois vrai et excessif : certaines ne vécurent que le temps de produire artisanalement quelques exemplaires, voire un prototype.

Mais il est juste de dire que la région liégeoise fut l’écrin privilégié de cet essor, favorisé à la fois par l’industrie mécanique et celle de la défense. L’enseignement et spécialement l’école de mécanique de la Ville de Liège eut aussi un rôle essentiel dans sa capacité d’anticiper et d’accompagner la formation aux métiers de l’automobile. Liège a ainsi compté une vingtaine de constructeurs. Deux marques essentiellement subsistent dans les mémoires, à côté de Minerva, spécialisé dans les voitures de luxe, à Anvers : FN et Imperia. Minerva? C’est la voiture qu’Anna Boch s’était offerte en 1907 et avec laquelle elle a sillonné le sud de la France, dont elle a peint les paysages et la lumière…

Mais pour en revenir à l’histoire de l’automobile, il faut bien acter que la Première Guerre mondiale portera un mauvais coup à l’activité, qui ne s’en remit vraiment jamais.

Pourtant, Imperia résistera vaillamment.

Tandis qu’Adrien Piedboeuf décède le 16 septembre 1919, à Spa, sa marque va lui survivre : le palmarès impressionne, et l’entre-deux guerres est à l’absorption de concurrents.

Un concurrent: Nagant

Ainsi, rachète-t-elle en 1928 le liégeois Nagant. L’entreprise, qui avait commencé comme fabricant d’armes au milieu du siècle précédent, s’était lancée dans l’automobile en 1904 et avait produit ses propres modèles.
Alors, on avait foi encore en l’avenir, dans sa ville et sa Région. Et on avait un esprit de conquête. Et on n’hésitait pas à emprunter à l’imaginaire militaire. C’était ainsi chez Imperia. C’était ainsi chez Nagant. Il suffit pour s’en aviser d’un coup d’œil sur les logos qui figuraient sur la calandre. Et si Adrien Piedboeuf trouvait son modèle chez Charlemagne, on se demande si Nagant ne l’avait pas trouvé chez… Napoléon.

La calendre d'une Nagant
La calendre d’une Nagant

Alors, on va même construire, sur les toits de l’usine, une piste d’essai à virages relevés d’un kilomètre, où on dépassera les 140 km/h.

La deuxième guerre ébranle l’entreprise et si la production est arrêtée en 1949, les activités de montage, notamment des Standard (ça ne s’invente pas…) Vanguard, des Triumph TR2 et TR3, et même une petite Rolls la sauvent. Jusqu’à la fin 1957 où la marque disparaît. Définitivement ? Non.

Un vrai faux nouveau départ

Au début du millénaire, un projet reprend la marque Impéria et entend créer un concept de voiture de luxe hybride, développé par Green Propulsion, une start-up universitaire. Malgré les intentions de commandes, le projet ne dépassera pas le stade du prototype et en avril 2016 la société est déclarée en faillite.

Les malheurs de la marque ne s’arrêteront pas là. Situé en bord de Vesdre, les inondations de juillet 2021 ont endommagé le site dont la façade avait été classée, et ont conduit à la fermeture du musée.

Un enseignement en héritage

Mais on retiendra de toute cette histoire les éléments qui ont fait, un temps, un vrai succès : une attention à l’innovation, un enseignement corrélé, un habitus de fierté régional. Et l’éthos d’entreprendre.

Un constat qui pourrait passer pour les objectifs d’un programme politique, dans une campagne électorale de demain… Il resterait à en avoir la détermination et lui en donner les moyens.

Bernard Chateau,

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