En fait, beaucoup de Camiérois ignorent la présence dans leur village, d’une Place Abbé Bougard. Ce lieu se situe au carrefour dit de Tout Vent, c’est-à-dire à l’intersection des rues Destrée, Solvay, Royale et Monplaisir. Une ancienne plaque émaillée bleue en porte d’ailleurs l’inscription.

Mais personne n’habite cette place car les adresses des différentes maisons ne mentionnent pas la Place mais les noms des différentes rues concernées. Il fut un temps où l’Administration Communale de Camières eut l’idée de donner à ce lieu-dit le nom de Place Abbé Bougard en souvenir d’un grand homme trop tôt disparu.

Alphonse Bougard est né le 15 juillet 1900, à Carnières, dans une humble famille issue du milieu ouvrier.

Il va d’abord à l’école des religieuses de la Providence à Carnières, puis chez les Frères Marianistes à Morlanwelz. Brillant élève, il passe ensuite à l’Institut Saint-Joseph à La Louvière. Il ne va pas y rester longtemps car il est appelé à suivre les cours de l’Institut Sainte – Marie des Frères Marianistes à Rêves. Ceux-ci, peu après, l’envoient terminer ses études à Fribourg en Suisse puis à La Rochelle en France.

Désireux de devenir prêtre, Alphonse Bougard s’inscrit au petit Séminaire de Bonne-Espérance pour y suivre les cours de philosophie.

Après ses deux années, il est admis au grand séminaire de Tournai où, pendant quatre ans, il étudie la théologie. Il est ordonné prêtre en 1927.

Rendant hommage à son savoir, ses supérieurs l’envoient comme professeur à l’Institut Saint-Joseph à La Louvière. Mais ce n’est pas ce qui enchante le plus l’abbé Bougard; en fait, il préfère se consacrer à la cause des humbles.

En 1932, il est nommé vicaire de la paroisse Saint-Michel à Pâturages. Il s’y dévoue sans compter et lorsque la commune est endeuillée par le coup de grisou du fief de Lambrechies il est présent partout: il est un des premiers à porter secours aux victimes, descend dans le puits sinistré et réconforte les familles. Puis, il reprend son humble travail de vicaire.

En 1935, on le désigne comme vicaire de la paroisse Saint-Lambert de Courcelles; il est en même temps chargé du cours de religion à l’Ecole Moyenne des filles de Trazegnies. Là, il est l’ami de tous, des humbles et de ceux qui souffrent, des vieux. Il déborde d’activités.

Mais la guerre est là et dès septembre 1939, l’abbé Bougard est rappelé avec son régiment, le 5° régiment des Chasseurs à pied. Il continue à s’y dévouer pour les hommes et pour leurs familles. Ainsi, il organise des séances récréatives et met sur pied une bibliothèque.

Mais à côté de cela, il monte au front et ne cesse d’être aux endroits les plus dangereux pour y encourager ses hommes. Beaucoup sont tués ou blessés et lui même reçoit une balle dans les reins. On doit l’évacuer et pour lui, la guerre est finie. Enfin, sur le front. Car il entre dans la Résistance, comme il est entré en religion: de tout son coeur et de toutes ses forces. Il crée le premier groupe de Résistance à Courcelles et s’entoure de gens sûrs. Son action est variée: il réconforte autour de lui, distribue des tracts de journaux, s’occupe du service de renseignements.

Autour de lui, la Résistance s’agrandit et bientôt, le Mouvement National Belge englobe toutes les initiatives privées.

A Courcelles, l’abbé Bougard renforce son action clandestine: il constitue des réserves d’armement, d’explosifs, de dépôts. Il cache même des armes dans la sacristie de son église. En chaire, lors de ses prêches, il n’hésite pas à critiquer le nazisme.

Il ne manque pas d’aider les familles des résistants arrêtés.

Hélas, un traître va le dénoncer à la Gestapo qui vient l’arrêter le 11 février 1943. Prévenu, l’abbé Bougard va vite enlever les armes cachées de la sacristie et les mettre dans un caveau au cimetière. Trois de ses camarades sont arrêtés en même temps que lui mais l’un d’eux, prévenu à temps, parvient à se défiler et à rejoindre le maquis. L’abbé Bougard rentre à la Cure où la Gestapo l’attend. Il essaie de s enfuir par la maison voisine, communicante, mais tout le quartier est bouclé et il est emmené avec deux de ses camarades à la prison de Charleroi. Le lendemain, c’est le départ pour Breendonck. Sinistre endroit où chacun vit retiré du monde. L’abbé Bougard met tout son dévouement au service de ceux qui souffrent et qui meurent au nom de l’amour de la Patrie. Il est pour tous, un ami, un consolateur et chaque soir, après les durs travaux et les coups reçus, l’abbé Bougard trouve encore la force d’apaiser les souffrances morales et physiques de ses camarades de détention. Il garde même un peu de sa ration de pain pour les plus affamés … Interdit d’exercer son ministère il confesse malgré le risque de sanctions graves et organise des causeries religieuses. Cest lui qui va aider et préparer à la mort Vanrôme de Carnières, fusillé le 15 mars 1943. Il ne craint pas l’ennemi et garde même la soutane !

L’abbé Bougard quitte le fort de Breendonck le ler avril 1943 pour être dirigé avec 40 autres détenus vers la prison de Saint-Gilles où il sera mis en cellule jusqu’au 8 mai de la même année.

Puis, on l’emmène à Bochum où il partage une toute petite cellule avec trois camarades. Pendant toute la durée de son séjour, il sera affecté à l’atelier de cordonnerie. Là, la vie est encore relativement supportable.

Car il va être conduit à Esterwegen, le camp de concentration dans toute son horreur! 100 à 150 hommes vivent dans des baraques qui servent de logement et l’abbé Bougard y est vite populaire. Il veut encore être l’ami de tous. Chaque dimanche, il célèbre le culte dans la baraque 6. Croyants et non-croyants se mêlent pour rendre hommage à celui qui toujours les aide. Chacun est avide d’écouter ses paroles de réconfort et plus d’un prisonnier a les larmes aux yeux lorsqu’il exalte l’amour des siens et du sol natal.

L’abbé Bougard se distingue aussi par une grande maîtrise de soi. Ainsi, le 13 avril 1944, des aviateurs alliés mitraillent l’usine construite récemment près du camp ainsi que les baraques où les Allemands travaillent; chacun se sauve et lui, calmement, reste adossé à son armoire dans le réfectoire et prie …

Vers la fin mai 1944, l’abbé Bougard est envoyé en Haute-Silésie à la prison de Gross-Strelitz avec un autre détenu, Fernand Halloin de Fayt. C est lui qui va plus ard raconter comment pendant les cinq jours et les cinq nuits que dura le voyage, l’abbé Bougard partagea son temps entre les malades du convoi et son supérieur, le doyen de Leuze.

A son arrivée, il est mis en cellule, alors que sa santé est de plus en plus défaillante; les privations, les heures de veille et son abnégation vont achever de ruiner sa santé. Une blessure bénigne du doigt se change en phlegmon. La plaie est vilaine et l’abbé Bougard souffre énormément. Il espère encore revoir sa mère, son pays mais en novembre 1944, il meurt à Gross-Rosen.

Son corps ne sera jamais rapatrié et sa famille n’a d’ailleurs jamais reçu d’acte de décès. On pense qu’il est passé au four crématoire.

Pour terminer, rappelons que son réconfort et sa bonté ont permis à bien des déportés de survivre, tel Augustin Potiaux de Carnières.

Un monument a été érigé à sa mémoire à Courcelles-Petit, contre le mur extérieur de l’église.

Sa photo est toujours visible dans la sacristie de l’église Saint-Lambert de Courcelles-Petit. Dans cette église repose une urne renfermant de la terre de Breendonck et un morceau de fil barbelé.

De nos jours, existe encore un comité de l’abbé Bougard à Courcelles.

Et enfin, comme nous l’avons vu en commençant, une place à Carnières porte son nom.

Extraits de “La Voix des Résistants” .

A.-M. MARRÉ-MULS

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