En septembre et octobre 1891, il se produisit une sorte de révolution à Carnières. Il s’agissait de la recette communale et on accusait le receveur Monsieur Alexandre BLANQUET de détournement !
Avant d’analyser les faits, voyons ce que les lois prévoyaient.
En 1830, le Gouvernement Provisoire arrête que la nomination des receveurs doit avoir lieu immédiatement, conformément aux dispositions de l’arrêté du 28 octobre 1830 par l’intermédiaire de Monsieur le Commissaire du district et non pas nommer les receveurs seulement à mesure que les places devenaient vacantes, par décès ou démission des anciens titulaires (1).
Le 6 janvier 1831, Monsieur De PUYDT, un des fondateurs de la Bel-gique, conseille de choisir des personnes qui aient les qualités et les connaissances nécessaires pour bien gérer les fonctions dont il s’agit. Il conseille aussi de réélire les receveurs municipaux dont la gestion a été constamment régulière (2).
Toujours en 1831, en septembre, un Arrêté Royal fait savoir que les fonctions de secrétaire communal et de receveur sont incompatibles et que les personnes qui remplissent à la fois ces deux fonctions seront tenues d’opter et il sera immédiatement pourvu à la place que leur option laissera vacante (3).
En 1836 (4), une loi du 30 mars arrête les dispositions que le Conseil Communal doit prendre pour suspendre ou révoquer un receveur communal avec l’approbation de la Députation Permanente du Conseil Provincial.
Les receveurs communaux sont tenus de fournir une garantie de leur gestion par un acte de cautionnement passé devant notaire. Le montant de ce cautionnement est évidemment proportionnel à la recette. En cas de déficit dans la caisse du receveur communal, la Commune a privilège sur le cautionnement lorsqu’il lui a été fourni en numéraire…
En 1875, Monsieur A. WANDERPEPEN signale que des receveurs ont laissé dans leur caisse des déficits de beaucoup supérieurs au montant des cautionnements fournis, provoquant évidemment des pertes importantes qu’il aurait été possible d’éviter si les Administrations intéressées avaient fait usage du droit conféré par la loi du 16 décembre 1851 sur le régime hypothécaire, en prenant inscription sur les biens des comptables (5).
Maintenant que nous connaissons les différentes dispositions officielles, examinons ce qui s’est passé à Carnières.
Alexandre BLANQUET, né à Carnières en 1842, époux de Julie WASTERLAIN, née à Carnières en 1844 était clerc laïc et receveur, nommé le 14 mars 1881 par le Conseil Communal de Carnières. Fils de Ferdinand BLANQUET, né à Carnières en 1807, déjà receveur communal (6).
En 1890, lors des élections communales, une nouvelle majorité était arrivée au pouvoir : Monsieur François BUGHIN (libéral) fut battu au profit de Monsieur Vital DOUILLEZ (socialiste) appelé Vital du Gorlie et de véritables troubles éclatèrent à Carnières, nécessitant l’intervention de la Gendarmerie. Il avait été décidé de faire toute la lumière sur les finances communales. On parlait d’un déficit de 35.000 francs imputable au receveur.
Monsieur BERNARD fut nommé comme expert et dans son rapport il conclut au déficit et à la responsabilité complète du receveur Alexandre BLANQUET et de son père Ferdinand BLANQUET, qui avait été receveur pendant quelques années.
Evidemment, Alexandre BLANQUET prit lui aussi un expert, Monsieur Firmin DEHAYE de Luttre (7). Les conclusions de cet expert furent absolument contraires à celles de Monsieur BERNARD. L’Administration Communale n’en tint pas compte et l’affaire vint en instruction devant la Députation Permanente. Celle-ci, le 22 avril 1892, approuva les délibérations du Conseil Communal des 6 juin et 24 octobre 1891 révoquant Alexandre BLANQUET.
La Députation Permanente décida de régulariser la comptabilité de la Commune en condamnant les BLANQUET père et fils à payer de fortes sommes.
Mais Alexandre BLANQUET n’en n’était pas au bout de ses peines ! L’expert DEHAYE se fit chèrement payer pour son intervention, exigeant par exemple, la donation de la belle maison qu’Alexandre BLANQUET possédait rue de la Pisselotte (= rue Dieudonné Marcq). Un différend éclata entre les deux hommes et Monsieur DEHAYE revint sur sa décision de blanchir Alexandre BLANQUET qui fut à nouveau destitué et condamné à payer des sommes élevées, ce qui le ruina. Toutes ses propriétés furent vendues. Dans l’intervalle, Alexandre BLANQUET avait été révoqué comme clerc sacristain (à cause de la fréquentation d’une femme mariée). Il partit habiter une demeure bâtie par son neveu, Léonce DECAMPS au Cron Chesne, avant de louer une petite maison où il exploita péniblement un petit commerce de vins au détail, conduisant sa marchandise dans une petite charrette attelée à un baudet.
On peut dire de lui qu’après des années de prospérité, il a connu une vraie déchéance !
Mais on peut se demander, si toutes les sanctions étaient bien méritées! Pour établir la vérité historique, il faut relever un vice radical dans la gestion financière communale de Carnières et cela, dès la 2° moitié du 18 siècle au moins. À cette époque, la comptabilité était illusoire et personne ne le remarquait. Les abus perdurèrent sous le régime Hollandais et surtout à partir de 1830. En réalité, en matière de finances, seules deux personnes
À partir de 1830 et de la nomination officielle d’un receveur, celui-ci n’avait souvent qu’une fonction nominale en plus d’avoir du répondant en biens.
A partir de 1849, le bourgmestre était Monsieur Aimé HULIN et son Secrétaire Communal, Monsieur Norbert SADIN. Ils dressaient les comptes à l’époque. À cette époque et encore après, les receveurs communaux n’avaient pas assez de connaissances pour les contrôler, les acceptaient et signaient de confiance. Pour les ventes de biens, c’était pareil !
Alexandre BLANQUET fut nommé receveur en 1881 et tout se déroula comme avant !
Dès sa nomination en 1891, Vital DOUILLEZ s’acharna à faire tomber sur Alexandre BLANQUET les responsabilités qui pesaient sur Aimé HULIN et sa famille. En effet, il avait épousé en premières noces, Laure HULIN, la fille du bourgmestre Aimé HULIN.
Pauvre Alexandre BLANQUET ! Il semble qu’il ait payé pour d’autres, mais il est clair aussi qu’il avait des torts… (8).


A.M.Marré-Muls

(1) Bulletin Officiel, Bruxelles, 1830, p. 816
(2) Bulletin Administratif de la Province de Hainaut, 1831, n° 3, p. 5-6. (3) Bulletin Officiel, Bruxelles, 1831, n° 229, p. 668-669. (4) Bulletin Officiel, Bruxelles, 1836.
(6) Dans la matrice cadastrale de Popp (‡ 1858) Ferdinand BLANQUET et son épouse Clémentine FAUCONNIER habitaient une maison sise rue petit Saint Hilaire ou rue Dufonteny. (7) Qui fut Conseiller provincial puis président du Conseil provincial.
(8) Gonzales DECAMPS, manuscrit, tome 6.
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