Le XVI° siècle

Histoires de Wallons qui ne l’étaient pas encore… En ce temps-là, l’époque était bouillonnante. Le XVI° siècle était synonyme de période prestigieuse, malgré les conflits incessants qui déchiraient l’Europe, d’où la religion n’était pas absente. Trois montois y ont contribué amplement. Ils avaient pour contemporains Christophe Colomb, Mercator, Léonard De Vinci et Michel-Ange, Luther et Calvin.

Jacques du Broeucq

Il y avait là Jacques du Broeucq. Né très probablement à Mons (ou à Saint-Omer, dans le nord de la France), où il a vécu, près de la rue des Cinq Visages, en plein centre-ville jusqu’à sa mort, le 30 septembre 1584. Il était architecte, sculpteur, ingénieur.

Le-Palais-Royal-de-Mariemont-avant-sa-destruction-en-1794-source-geneanet-httpswww.creativecommons.orglicensesby-nc-sa2.0frdeed.fr
Le-Palais-Royal-de-Mariemont-avant-sa-destruction-en-1794-source-geneanet-httpswww.creativecommons.orglicensesby-nc-sa2.0frdeed.fr

S’il reste peu de choses de son oeuvre (on évoque le Jubé de Sainte Waudru, où il est inhumé), proche des cours européennes, il construisit le Chateau de Boussu, pour le grand écuyer de Charles-Quint et les Châteaux de Binche et de Mariemont, pour Marie de Hongrie, qui en fit son architecte et son tailleur d’image, notamment.  

Mais il faut se satisfaire des rumeurs de grandeur: on dit du château de Binche, qu’en raison de la beauté du bâtiment et de la décoration de style renaissance, il était “la huitième merveille du monde”.

Le Château de Mariemont. Jan Brueghel l'Ancien
Le Château de Mariemont. Jan Brueghel l’Ancien

Las, ils furent détruits en 1554 par les armées du Roi de France Henri II en représailles de la destruction de son château de Folembray. Reste l’image du château de Mariemont que nous en laisse Jan Brueghel l’Ancien.

Roland de Lassus

Il y avait aussi Roland de Lassus.  Né à Mons en 1532, dans une famille montoise, installée dans la rue de la « Ghierlande », qui allait devenir la rue des Capucins, Roland de Lassus commence sa vie de manière pour le moins bousculée: enfant de chœur, il est victime de trois tentatives d’enlèvement par de riches seigneurs qui veulent se réserver l’exclusivité de sa voix prodigieuse…

Roland de Lassus. Livre de Chansons en Cinq parties, chez la veuve Ballard, 1619.
Roland de Lassus. Livre de Chansons en Cinq parties, chez la veuve Ballard, 1619.

Il sera l’un des compositeurs les plus prolifiques et les plus joués de son temps. Dès le milieu du siècle, il est surnommé le « divin Orlande » par le poète Ronsard, « Prince de la musique » par ses contemporains, et enfin l’« Orphée belge ». Il sera aussi le Père de la chanson française. Il en a écrit environ 150.

Il sillonnera l’Europe, et commencera bien sûr par l’Italie, à la cour du vice-roi de Sicile, mais sera finalement fidèle à Munich où il officiera comme maître de chapelle du duc Albrecht V de Bavière, une des plus somptueuses chapelles d’Europe et décèdera le 14 juin 1594.

 Il aura écrit plus de 2 000 œuvres dans tous les genres en latin, français, italien et allemand. Musicien le plus célèbre d’Europe, il aura bénéficié d’un immense succès non seulement auprès des élites sociales, mais aussi d’un public bien plus large.

Lancelot de Casteau

Et puis il y a Lancelot. On sait peut de chose de Lancelot de Casteau, si ce n’est qu’il est contemporain des deux autres, et originaire de Casteau, à côté de Mons. Mais détaillons au mieux ce que l’on sait.

Il a servi comme « Maître-Cuisinier » à la cour des Princes-Evêques de Liège dans la 2° moitié du XVI° siècle : Robert de Berghes, comte de Walhain. Gérard de Groesbeck. C’est lui qui défit Guillaume d’Orange en 1568 et proclama la neutralité de la principauté de Liège en 1577.

Lancelot servit aussi Ernest de Bavière, fils du duc des deux Bavières et comte palatin du Rhin. C’est lui qui inaugura le règne de la Maison de Bavière sur la Principauté pour 136 années. Personnage fameux, il fut prélat sans recevoir jamais les ordres mais embrassa les charges d’évêque de Fresingen à 11 ans, de Hildesheim, Munster, Cologne, dont il fut Grand Electeur, et de prince abbé de Stavelot… Et comme ses prédécesseurs, il eut des démêlés avec les querelleurs de son temps. Et le peuple de Liège.

On dit aussi que Lancelot fut d’abord reçu boulanger en 1562, et mercier en 1567, et qu’il épousa Marie Josselet, vers 1572, dont il eut une fille, Jeanne.

Il apprend encore, à ses dépens, que tout ce qui brille n’est pas or: si Lancelot était un bourgeois aisé, propriétaire de plusieurs biens, les défauts de paiement des Princes-Evêques le conduisirent à la dèche, et il fut contraint de se faire héberger finalement par sa fille et son gendre, Georges Libert, orfèvre de son état.

Lancelot, au service de Jean Curtis et auteur

L’ouvrage que Lancelot rédige à la fin de sa vie, l’ «Ouverture de cuisine», imprimé à Liège en 1604 par Léonard Streel, est un livre d’initiation à la cuisine et un recueil de recettes de diverses origines: flamande, italienne, espagnole, hongroise, irlandaise ou portugaise, qui avère le cosmopolitisme de l’époque. Il offre un témoignage inédit sur la grande cuisine du XVI° siècle et éclaire sur les goûts de l’époque, où le sucré n’est pas destiné essentiellement aux desserts, et où la cannelle est l’épice à la mode.

Lancelot a dédié son livre à «Monsieur Jean Curtius, Seigneur d’Oupie, Vivegnies et autres lieux». Jean de Corte, dit Curtius, commissaire général des munitions de guerre sous Philippe II, était né à Liège en 1551, menait grand train et avait, entre autres serviteurs, un sommelier, deux cuisiniers et un boulanger. C’est son Palais, qu’il fit construire en 1600, qui abrite aujourd’hui le Musée qui porte son nom.

Ce livre de cuisine est le plus ancien publié chez nous en français. Et on le tenait pour perdu. Mais il réapparut… et cette histoire mérite qu’on s’y arrête.

L’histoire mystérieuse du livre disparu et réapparu

La façon avec laquelle il réapparut est réellement rocambolesque.

Car si on en connaissait l’existence, parce qu’un exemplaire avait fait partie de la bibliothèque du Baron de Villenfagne, il avait disparu dans le saccage de sa maison à Bois-de-Breux, fin XVIII°S. On en trouvait trace encore dans une brochure consacrée à ses imprimeurs, qui en confirmait l’existence.

Or, dans les années 1950, un homme se présenta à la Bibliothèque Royale de Bruxelles, avec l’ouvrage. Comment l’avait-il? On ne sait. Mais il voulait le vendre vite et avoir tout de suite son argent.

Alors, le conservateur, Franz Schauwers, sortit son chéquier personnel et fit un chèque de 3000 francs de l’époque, s’évitant les lenteurs de l’administration. Mais un article parut dans le Soir sur le livre qui ranima les ambitions marchandes de notre homme: il voulait le récupérer ou en avoir meilleur prix. Devant le refus du conservateur, il s’emporta, déchira le chèque, claqua la porte. Le livre resta ainsi la propriété de la Bibliothèque sans être jamais payé à son propriétaire.

Il faut à la vérité historique de préciser que l’adjoint de Franz Schauwers, Georges Colin, infirma cette version bien après la survenance des faits tels que décrits ici, en 1988: il admit alors que le propriétaire du livre, s’il avait bien exigé de renégocier le montant, ne déchira jamais le chèque, et qu’ainsi l’ouvrage fut bien payé, au prix initialement fixé. Une version, on en conviendra, qui perd en romanesque et on préfèrera celle d’ Herman Libaers, conservateur de la Bibliothèque Royale de Belgique.

La réédition par la Bibliothèque Royale de Belgique

C’est lui qui fut à l’initiative de sa réédition, en 1958, en fac-similé, accompagné du travail de deux belles intelligences, par ailleurs gastronomes: Jacques Kother, journaliste à la RTBF, et Léo Moulin, Professeur à l’ULB. Le premier était le père de Candice Kother, qui dispense aujourd’hui ses recettes sur Vivacité, et le second, de Marc Moulin, musicien, producteur et animateur à la RTBF.

Mons 2015 réveille son époque. Et les papilles.

Lors de Mons 2015, Capitale européenne de la Culture, dans le cadre de la semaine consacrée à Roland de Lassus, qui avait éclairé – comme on l’a vu – son siècle de son génie musical, fut organisé un exceptionnel banquet Renaissance, autour des recettes de Lancelot. Tout cela, baigné de la musique du Maître, se tenait dans le décor du château de Boussu, de Jacques Du Brœucq.

Et on a pu y vérifier le caractère cosmopolite de l’époque, qui se traduit très concrètement dans l’inspiration européenne de la cuisine du Maître et où le le service du bon se marie fort bien au service du beau.

Bernard Chateau,

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