Au 1° étage du Musée de la Haute Haine à Carnières, il y a une section “Histoire locale” et plus particulièrement une vitrine consacrée à la guerre 40/45. Chaque fois que je passe devant cette vitrine, mon regard accroche un autre regard : de grands yeux clairs, une superbe chevelure foncée, c’était Laurette Demaret. Je n’étais pas née quand elle est morte mais je ne sais pourquoi j’ai tant envie de la connaître.

Alors j’ai recherché sa trace dans les registres poussiéreux d’Etat Civil ou de Population, dans les cœurs et dans les mémoires de ceux qui l’ont bien connue.

Laurette Demaret est née le 17 novembre 1921 à Carnières; sa famille est modeste : son père et son frère sont cheminots et travaillent à l’atelier de Bascoup, ses grands-parents, Monsieur et Madame Charles Stilman dits “Lovercot” exploitent une petite ferme à la rue du Placard, à la limite de Carnières et de Chapelle-lez-Herlaimont mais sur Carnières.

Sa mère meurt alors qu’elle est encore une petite fille; son père se remarie et fait bâtir une villa face à ses beaux-parents, les Lovercot.

Laurette est une enfant exubérante, pleine de vie et de spontanéité, qui ne sera pas fort attirée par l’école. Elle suit le cycle d’études primaires à l’Ecole Saint-Joseph de Carnières-Trieux et rentre en 6° latine à l’Ecole Moyenne de l’Etat à La Louvière. Mais après deux années d’études et des résultats insuffisants, elle doit quitter l’établissement et fréquentera les cours à l’Ecole de l’Enfant Jésus à Morlanwelz puis à l’Ecole Industrielle de la même commune. Ses amies de classe la disent sympathique mais …très nerveuse ! (III. 1).

Le 10 mai 1940, c’est la déclaration de guerre et le 12 mai, toute la vie de Laurette est bouleversée car l’aviation allemande bombarde le dépôt de la SNCB à Bascoup et son père est tué. C’est un choc pour Laurette et c’est de là que naîtront sa haine pour les “Boches” et son désir de venger son père.

Sa belle-mère quitte la maison, Laurette y reste mais ses grands-parents viennent près d’elle entre autres pour l’aider à s’occuper des quelques vaches qui se trouvent dans la métairie. Elle a dix-huit ans.

Elle entre très vite dans la Résistance, d’abord à la Légion Belge qui réunit les officiers de l’armée belge entrés dans la clandestinité.

Ce mouvement s’attribuait le rôle d’informer la population par le biais de la presse, dans le but de maintenir le moral. Cette presse clandestine va s’installer partout en Belgique, entre autres à Charleroi où Laurette collabore activement.

Un jour, un allemand en civil photographie toutes les personnes qui sortent de leur local de réunion. Laurette Demaret en est et elle est arrêtée, incarcérée à la prison de Charleroi, le 30 janvier 1943.

C’est une grande épreuve pour elle que d’être emprisonnée mais elle reste lucide. Elle se débrouille pour faire parvenir des lettres à son amie Marie-Louise Potiau dite Malou, épouse de Lucien Philippe. Dans ses lettres’, elle se préoccupe tout autant d’elle-même en demandant ses produits d’hygiène, de la nourriture ou des vêtements que des autres : ainsi, dans sa première lettre, elle demande à Malou de remettre le bonjour a ses copains. Entin, est-ce simplement par correction ou par un pressentiment funeste qu’elle prie son amie de reporter à la bibiotheque de l’école et à la bibliothèque populaire, les livres qu’elle avait empruntés

Sa ténacité apparaît lorsqu’elle écrit qu’elle a ” déjà été interrogée 3 fois mais ils en ont été pour leurs frais”.

Son patriotisme se révèle dans la finale de sa lettre :

“Vive la Belgique
Vive le Roi
Lorette Cellule 43
Section allemande
Prison de Charleroi.”

Toutes les autres lettres sont pareilles.

Désireuse de revoir son grand-père et son amie, elle a réussi à enlever une petite planche à la grande fenêtre de la prison et par cette ouverture, elle va pouvoir les regarder de loin, rue du Grand Central. C’est encore par le biais de ses lettres, envoyées clandestinement bien sûr, qu’elle a pu organiser cette entrevue.

Trop difficile, Laurette est mise au cachot et y souffre de la faim et des morsures de rats.

Elle est jugée et condamnée pour ses activités contre l’Allemagne.

Elle sortira pourtant de prison en mai 1943 avec dans le coeur encore plus de haine vis-à-vis des “Boches” et encore plus de désir de vengeance.

C’est alors qu’elle adhère au M.N.B. (Mouvement National Belge), plus dur encore que la Légion Belge (1).

On dit d’elle qu’elle ne connaît pas la peur et de fait, elle accepte toutes les missions, jusqu’aux plus périlleuses. Elle récolte des renseignements, organise des sabotages, transporte de la dynamite à vélo, des armes et des munitions.

Le 26 août 1944 elle annonce à des amis qu’elle doit accomplir une mission dangereuse. En effet, (2) Le 26 août, un groupe de quatre personnes se trouve en mission dans la région namuroise. Il se compose de Laurette, d’un membre de l’A.S. (3) d’un membre du M.N.B. et d’un ingénieur en mission, parachuté pour préparer différents sabotages afin d’entraver la retraite de l’armée allemande et favoriser l’avance alliée. Ils doivent l’amener au parc Marie-Louise à Namur pour rencontrer la Résistance. Ici les versions diffèrent et je m’en tiendrai au récit de “Nicole” (4) qui retrace l’affrontement à l’aide de renseignements recueillis sur place et au témoignage d’un survivant.

Aux environs de Flawinne, la route est barrée. Une première voiture contenant cinq résistants réussit à passer en empruntant la voie de chemin de fer restée libre. La deuxième voiture est encerclée par un fort contingent d’ennemis, ses occupants en sortent les armes à la main et se défendent. Laurette décharge son colt lorsqu’elle reçoit une rafale de mitraillette à hauteur des omoplates et meurt (5) . Le corps de Laurette est ramené à la caserne des Chasseurs ardennais de Flawinne, caserne occupée par les Russes blancs. Elle y est inhumée sommairement sous 40 centimètres de terre, dans une fosse trop courte, ses cheveux noirs et le bout de ses chaussures dépassants de la fosse » (6)

Le M.N.B. de Chapelle-lez-Herlaimont fera exhumer son corps et va organiser des funérailles officielles à Chapelle (ill. 2) : le 14 septembre 1944, une foule énorme entoure les autorités communales, les représentants de différents groupements de résistance, la famille et les amis de Laurette Demaret afin de l’accompagner à sa dernière demeure. On ne connaît pas d’amoureux à cette belle fille’; à l’âge où ses amies fondent un foyer, elle ne pense qu’à venger son père et à assouvir sa haine vis-à-vis des allemands en y laissant la vie.

Comme l’écrit Marie-Aimée Guilbert (8): aucune rue ou aucune école ne porte le nom de Laurette Demaret; il y a juste l’autre côté du monument de la cour intérieure de l’Athenée Royal de La Louvière, dédié à Marguerite Bervoets (9), qui porte une inscription relative à Laurette Demaret .

Je suis persuadée que ces quelques lignes vont raviver bien des souvenirs auprès de ceux qui ont connu Laurette et j’espère que les plus jeunes auront eu plaisir à découvrir le passé hélàs trop court de cette grande héroïne !

A.M.Marré-Muls


(°) lettre conservée au Musée de la Haute-Haine à Carnières
(1) Le M.N.B. avait un service de renseignements concernant les champs d’aviation, le trafic ferroviaire, les usines; il organisait des sabotages et recherchait les allemands et leurs collaborateurs qui nuisaient à la Belgique. 2
(2) Extrait du livret : Laurette Demaret, 1944-1994, L’autre côté du monument, par Marie-Aimée Guilbert, La Louvière, 1994, pp. 11-12.
(3) A.S. : Armée secrète.
(4) Nicole : nom de guerre d’une courrière, amie de Laurette.
(5) La deuxième voiture finalement emprunta la voie de chemin de fer avec Laurette tuée et un blessé grave et parcourut environ trois minutes sous le feu des soldats. Elle dut être abandonnée et les survivants s’enfuirent dans les bois. Finalement, l’affrontement se solda par trois morts. Malgré ces pertes, la mission réussit puisque l’ingénieur parachuté rejoignit le parc Marie-Louise à Namur, lieu du rendez-vous.
(6) ‘Récit de Nicole à Madame Denise Dainville.
(7) ‘Selon Malou.
(8) Op cit p 13
(9) Héroïne qui perdit aussi la vie pendant la guerre 40-45



BIBLIOGRAPHIE

DARQUENNE Roger, Souvenirs de 1939-1945, Chapelle-lez-Herlaimont, 1996.
GUILBERT Marie-Aimée, Laurette Demaret, 1944-1994, L’autre côté du monument, La Louvière 1994.
Lettres manuscrites de Laurette Demaret, conservées au Musée de la Haute Haine à Carnières.
Entretien avec Marie-Louise Potiau.







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