RAPPEL HISTORIQUE

Pour rappel, le 2 août 1914, l’Allemagne demande le libre passage pour ses troupes à travers la Belgique, qu’elle croit soumise à la neutralité afin d’entrer en France. La Belgique refuse et le 4 août, les Allemands envahissent le territoire belge.

Mais comment se fait-il que les Français et les Allemands soient venus se heurter ici ?

Laissons le Lieutenant-Général O. Gierst répondre à cette question (1).

“Les combats de Collarmont-Lalue sont évidemment une des conséquences de la mise en application des plans d’opération français et allemand. Ces combats se livrèrent à l’extrême gauche du dispositif français et sont inclus dans la bataille de Charleroi, livrée par la 5° Armée du Général Lanzerac aux 2° et 3° Armées allemandes commandées respectivement par les Généraux von Bülow et von Hausen. Cette bataille est elle-même comprise dans la vaste bataille dite “des Frontières”, qui, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse et dans les Ardennes, se solda par une grave défaite française. Dans cette gigantesque mêlée, les combats d’Anderlues ne constituent certes qu’un épisode peu important; mais il s’y passa en petit ce qui se déroula en grand sur le large espace d’affrontement des Armées françaises et allemandes.

Disons donc un mot des plans. On comprendra alors pourquoi, bien que l’Allemagne fût à l’Est, la position française fut attaquée par des colonnes dévalant du Nord. Car ceci demande aussi d’explication. un mot d’explication.

Le plan allemand: l’idée fondamentale de ce plan est d’attaquer les Français dans leur flanc gauche, de les enfoncer et de les écraser finalement contre le Jura et la Suisse. Pour assurer le succès de cette manoeuvre, il est nécessaire de constituer une aile droite si puissante qu’elle soit à même de vaincre sûrement et de refouler irrésistiblement l’ennemi dans une poursuite sans répit…

Le plan français: le Haut-Commandement français ne croit pas que les Allemands respecteront la neutralité belge; mais il estime que l’aile droite ennemie ne débordera pas au Nord du sillon Sambre-Meuse. On pense généralement que, dans ce cas, les Belges protesteront vivement mais s’inclineront devant le fait accompli, après avoir tiré le canon de Liège. D’ailleurs, une invasion atteignant Bruxelles et surtout Anvers ferait se dresser immédiatement la Grande-Bretagne; de plus, l’Allemagne indisposerait contre elle le monde entier. On ne croit donc pas les Allemands assez fous que de risquer un tel jeu…”

Les Allemands entament leur poussée et le Haut- Commandement français se rend compte du danger et décide de prendre des contre-mesures. Les Français tenteront d’entraver la marche envahissante des Allemands; c’est ainsi que le 20 août, les Français battent en retraite vers la rive droite de la Sambre. Ils tentent de renforcer leur flanc gauche.

Les tactiques de combat des Français et des Allemands sont différentes et elles vont influencer tout le déroulement de la guerre. Voyons-les.

” L’Armée française ne conçoit le combat que sous sa forme offensive. Les revers de 1870 ont été attribués à la doctrine de l’époque, qui prônait la défensive, tirant sa force de la puissance d’un armement surclassant celui de l’ennemi. Par réaction, on a nourri l’Armée de 1914 d’un esprit agressif exacerbé. On enseigne qu’il n’y a qu’une seule façon de se battre, c’est d’attaquer; et qu’il n’y a qu’une façon d’attaquer, c’est d’attaquer à fond. Il faut donc, dès que possible, se ruer à l’assaut de l’ennemi, la baïonnette haute. C’est ainsi qu’on pourra le détruire, lui imposer sa volonté et remporter la victoire. Les forces morales font tout, viennent à bout de tout; la “furia francese” emportera tout. L’attitude défensive en vint ainsi à être considérée comme un manque de cran, et comme plus ou moins honteuse; il n’y faut recourir que le moins possible.

Hélas, depuis 1870, les Mitrailleuses et l’Artillerie lourde trônent sur le champ de bataille et, contre elles, les charges les plus héroïques ne prévaudront point.

Les Allemands transposent dans la tactique de combat les principes de leur plan stratégique. A l’attaque frontale, destinée à “fixer” l’ennemi, ils joignent systématiquement la recherche des flancs, pour y prononcer leur effort offensif principal. Une fois trouvés, il faut déborder ces flancs, les envelopper et diriger alors des feux à revers sur l’ennemi. C’est l’application de la formule chère aux stratèges d’Outre-Rhin: “fixer puis manoeuvrer” (festhalten und umfassen).

Ces actions, si elles réussissent, engendreront généralement la démoralisation, le recul et parfois la panique et la destruction ou la capture de l’adversaire.

Devant une attaque ennemie en force, ils recourent sans hésiter à la fortification de campagne, déployant rapidement toute la puissance de feu, à base de Mitrailleuses, des unités postées et vite appuyées par une artillerie nombreuse en pièces et en calibres.” (2).

Le 22 août 1914, ces tactiques seront appliquées.

Les Français sont exténués car la veille, ils se sont heurtés à l’artillerie allemande, très forte. Le Corps de Cavalerie a du se déplacer jusqu’à 22 h. pour arriver à Carnières où l’accueil de la population fut des meilleurs mais dès 2 h. du matin, ce Corps de Cavalerie a repris sa marche et s’est replié vers Merbes-le-Château.

La même nuit, le 24° Régiment d’Infanterie français s’est arrêté à Anderlues, le 22 août à 3 h. du matin. Il ne pourra prendre que quelques heures de repos et sera lui aussi restauré et encouragé par la population locale. Ce 24° Régiment d’Infanterie a reçu une mission bien précise: résister aux Allemands pendant 24 heures afin d’arrêter leur poussée et de permettre aux différents corps d’armée française de se regrouper sur la rive droite de la Sambre.

L’armée allemande est signalée dès le vendredi 21 août à Pont-à-Celles et elle effectua une marche de nuit pour hâter son arrivée; les troupes allemandes sont nombreuses: 18.000 hommes, toute une Division. La nuit du 21 au 22 août, elle est à Piéton et de grand matin, elle occupe le bois des Vallées. Afin de déloger les soldats français disséminés dans les campagnes de Gouy-lez-Piéton, Chapelle-lez-Herlaymont, Trazegnies et Courcelles, les Allemands avaient divisé leur armée en trois tronçons: l’un suivit la Chaussée Brunehault, le second passa par Bascoup-Chapelle et le troisième par Trazegnies. Après un repos de quelques heures, ces deux tronçons-ci se réunirent route de Bascoup.

Des patrouilles de uhlans (3) précédaient ces tronçons comme éclaireurs.

Pendant ce temps, le 24° Régiment d’Infanterie français, composé de trois bataillons, soit 1.800 hommes, avait pris ses positions, face au Nord, selon une ligne reliant la Jonquière, le bois de Warimez, la fosse n°4, le terril n°4, Lalue,la plaine du Pasturia. Il y eut en plus, des éléments postés gare de Piéton, fosse n° 6, le long du remblai du chemin de fer, à Timonpréa et au bois de Chèvremont.

La position des Français est remarquablement choisie. La vue est étendue, les observatoires sont nombreux et de jour, rien ne peut échapper à la vue. Il faut cependant regretter que seuls deux bataillons sont étalés sur un front de près de 5 Km. Comme ils doivent prendre une certaine profondeur, on peut en déduire que le 24° régiment d’Infanterie ne pourra opposer aux forces ennemies, qu’une ligne discontinue.

LES COMBATS DU 22 AOUT 1914

Il est 8 H 45: une patrouille de sept cavaliers, des uhlans, est aperçue sur la route de Bascoup. Ils arrivent au carrefour de la Reine des Belges, hésitent mais le poste francais installé sur le terril du puits n° 6 du charbonnage de Monceau-Fontaine, à côté de la gare de Piéton, ouvre le feu. Deux cavaliers sont tués sur place, trois sont abattus un peu plus loin et deux uhlans, blessés, parviennent à s’échapper et donnent l’alerte. Mais les coups de feu ont été perçus.

Le Commandement allemand ne s’inquiète pas, pensant avoir à faire à un détachement du Corps de Cavalerie refoulé la veille et qui tente de les ralentir.

Les Allemands entament l’attaque; ils seront vite surpris et subirent d’emblée de lourdes pertes.

Malgré le faible effectif français, les Allemands ne purent gagner du terrain que grâce à leur nombre écrasant, leur artillerie et leur aviation de reconnaissance.

Tout cela les rendit sanguinaires et de nombreux faits de barbarie furent enregistrés.

Ainsi, à l’emplacement du futur cimetière militaire, dans un champ de betteraves à côté du sentier de Chèvremont, le lieutenant français Mouilleron se trouva dans la mêlée face à un officier allemand. En gentilhomme français, il brandit son épée: l’Allemand de son côté en fit autant. La passe dura environ dix minutes jusqu’à ce que Mouilleron tranche la gorge de son adversaire. Les soldats allemands se précipitent alors sur le lieutenant et le tuent à coups de baïonnettes. Le fait fut rapporté par un témoin oculaire, le soldat Sahuquet, mort des suites de ses blessures à l’ambulance.

Une sentinelle postée à la Rosière, se voyant perdue, alla se réfugier et se cacher dans une maison voisine mais ses coups de feu permirent aux Allemands de le localiser. Ils se mirent à fouiller l’immeuble, le trouvèrent blotti en-dessous d’un lit et finirent par l’éventrer.

Les II° et III° bataillons français, malgré d’âpres combats, de nombreuses contre-attaques et d’horribles corps-à-corps, se trouveront hors de combat et se replieront vers 16 H, sous la protection du I° bataillon déployé à Ansuelle.

FIN DE LA BATAILLE

A 17 H, c’est la fin de la bataille. Les Allemands ont remporté la victoire mais les Français ont rempli leur mission en contenant la ruée allemande, permettant ainsi le regroupement des soldats français sur la rive droite de la Sambre.

Les deux bataillons du 24° Régiment d’Infanterie Français ont obligé la 14° Division d’Infanterie allemande à se déployer au grand complet et à engager sept bataillons sur neuf, dévoilant ainsi l’importance des forces en marche contre l’aile gauche française. BILANS Le bilan de ce combat fut sévère: du côté français, 19 officiers et 939 sous-offficiers et soldats sont morts; soit au total, 958, sur un effectif initial de 1.800 hommes ! Leur mérite est incontestable car ces 1.800 hommes étaient opposés à des forces dix fois supérieures en nombre, après une marche de nuit épuisante, sans ravitaillement et sous un soleil torride.

Du côté allemand, le chiffre exact des pertes en hommes n’est pas connu, d’autant plus que les Allemands ne permirent l’accès au champ de bataille qu’après en avoir évacué leurs morts et leurs blessés. Les archives allemandes font mention de “pertes sévères” et généralement, on les estime à 3.658 au moins, sur les 18.000 hommes que comptait la Division.

REPRESAILLES ALLEMANDES

Le combat avait pris fin vers 17 H., mais les Allemands, excédés par leurs pertes en hommes et par l’âpreté du combat, se mirent à exercer des représailles contre la population.

En 1914, les Allemands prétendaient mater la Belgique par un système d’intimidation fait de terreur, de massacres et d’incendies.

Les responsabilités de ces horreurs sont établies dans une lettre de Guillaume Il à l’Empereur François Joseph: “Il faut tout mettre à feu et à sang, égorger hommes, femmes, enfants et vieillards, ne laisser debout ni un arbre, ni une maison ! (4).

Les Allemands donnaient toujours comme prétexte d’avoir été attaqués par des francs-tireurs et au mot d’ordre ” Man hat geschossen!” (on a tiré !), ils déclenchaient leurs représailles avec bestialité et barbarie.

Ainsi, dès la fin du combat, les Allemands se précipitèrent dans les maisons qu’ils pillent d’ailleurs, systématiquement.

Soixante maisons ouvrières sises le long de la route de Bascoup à Lalue, sont incendiées en même temps.

A Collarmont, tout un groupe de maisons est également mis à feu à l’aide de fusées par une compagnie spécialement exercée a ce travail.

A l’entrée de Piéton, des civils cachés dans leur cave sont accusés d’avoir tiré sur des Allemands: un jeune homme de 16 ans est fusillé sous les yeux de sa mère, de même que trois autres civils.

Charles Vanderelst, soupçonné d’avoir laissé installer une mitrailleuse dans son jardin, est sur le point d’être fusillé. L’officier allemand qui donne le signal de l’exécution est tué par une balle française. Vanderelst est cependant fusillé; son épouse est jetée dans la citerne de la maison, d’où elle n’échappera que par miracle.

M. Cambier de Lalue est fusillé devant sa femme et ses enfants. Un autre anderlusien, Haut Constant est fusillé.

M. Guerlement père est blessé et emprisonné avec son fils Auguste dans leur maison en feu; ils échapperont de justesse à une mort atroce.

A Collarmont, 49 civils, vieux et jeunes sont faits prisonniers: 44 sont déportés en Allemagne où deux succomberont aux privations et aux mauvais traitements.

A.Hecq (5) a recueilli le témoignage de deux civils capturés et emmenés en déportation; ils ont raconté que les Allemands riaient d’eux en les menaçant à tout moment de les tuer. Ils furent réunis,comme d’autres civils,les uns, les mains liées derrière le dos avec leurs liens tellement serrés que les cordes s’imprimaient dans leurs chairs, les autres, les mains hautes. Les soldats s’amusaient à menacer de mort les civils terrorisés ou les brutalisaient; un soldat allemand, ivre, faisait rire ses copains en tapant avec la poignée d’un fouet de voiturier sur les cinq enfants d’un des prisonniers. Les civils devaient porter les sacs des soldats. Dirigés sur Piéton, ils seront internés au camp de Soltau.

216 hommes sont déportés. Les Allemands prennent possession des maisons: ils brutalisent, pillent, boivent et mangent en gaspillant et se couchent dans les lits. Les cafetiers sont obligés de servir à boire et certains Allemands s’enivrent jusqu’à tomber.

LE CHAMP DE BATAILLE

Pendant les représailles, d’autres drames se déroulent sur le champ de bataille.

Les Allemands en interdisent l’accès aux civils et même aux représentants de la Croix-Rouge de Belgique.

Ils enlèvent leurs morts et leurs blessés, très nombreux; toute la nuit ils transportent des cadavres vers la station de Piéton.

La place de la gare et la gare de Piéton sont remplies de blessés allemands agonisants. Sur les lieux du combat, les morts et blessés français sont fouillés et dévalisés.

C’est seulement le dimanche 23 août à 16 H que les membres de la Croix-Rouge eurent
l’autorisation d’accéder au champ de bataille.

La plupart des blessés avaient été placés par les ambulanciers allemands dans des maisons voisines des lieux de combat. Ils n’avaient été soignés que sommairement et leurs plaies s’infectaient déjà, d’autant plus qu’il faisait très chaud.

Il est certain que de nombreux hommes sont morts sur le champ de bataille, faute de soins.
L’accès au champ de bataille allait révéler toute l’horreur du carnage.

Au hameau de Ansuelle, trois hommes surpris au moment de la retraite, portent tous trois un trou au front: l’un tend les bras et joint les mains comme pour implorer. Ils ont été fusillés à bout portant, après s’être rendus.

Un autre soldat français a le crâne ouvert, fendu d’un coup de hâche: quoique blessé, il a été lâchement achevé. Ce sera le cas pour beaucoup d’autres Français.

Plus loin, gisent des Français et Allemands pêle-mêle, sanglants, le ventre ouvert, la face toute déchiquetée par les coups de baïonnettes.

De tous côtés, on entend les plaintes et les râles des blessés.

Comme on l’a dit plus haut, les habitations proches des lieux de combat ont accueilli de nombreux blessés. Ainsi, chez Wasterlain à Collarmont, où se sont retrouvés dans le même lit, un Français et un Allemand; quoique blessés, ils continuèrent le combat dans la chambre pendant la nuit et le matin, on les retrouva morts, le ventre ouvert.

LES AMBULANCES

Il faut savoir que dès la nouvelle de la déclaration de guerre connue, la Croix Rouge de Belgique s’activa à créer dans de nombreuses communes, un service d’ambulance.

Carnières et Anderlues en organisèrent en différents locaux: à Carnières, il y eut 4 postes avec 200 lits, installés au Couvent de la Providence, à l’Asile du Sacré-Coeur, dans les Ecoles et dans l’ancienne chapelle des Trieux; à Anderlues, il y eut 3 postes avec 150 lits, dans les écoles de la Coopérative et à la Maison du Peuple.

La population locale avait aidé à l’installation de ces ambulances par la fourniture de lits et de lingerie.

C’est donc dans ces hôpitaux improvisés que l’armée française envoya dès son arrivée ses malades, puis, ses blessés. Car pendant la bataille, des médecins et brancardiers volontaires accompagnaient sur les lieux de combat, les ambulanciers français afin de relever des blessés.

Dès 16 H, tous les lits étaient occupés; on trouva encore à caser des blessés dans les couloirs ou toute autre petite place disponible. Il fallut diriger des blessés vers des hôitaux voisins.

Après la fin de la bataille, on ne put approcher des lieux de combat et c’est donc ainsi que de nombreux blessés sont morts.

INHUMATION

Le lundi 24 août, les membres de la Croix-Rouge, assistés de membres du personnel des Administrations communales et d’habitants volontaires commencèrent à inhumer les 363 cadavres qui restaient encore sur le champ de bataille; ils furent d’abord identifiés avant la mise en terre mais ce travail fut compliqué parce que les corps avaient déjà été fouillés par les Allemands.

On fit creuser des tombes aux endroits mêmes où les combats avaient eu lieu et et où les soldats étaient tombés.

Il y eut ainsi 45 tombes entre Collarmont et Lalue.

Selon O.Gierst: ” on pouvait discerner les groupements suivants:

a. Sur tout le pourtour Nord et Est du bois de Chèvremont, on relevait 9 tombes contenant les restes de 80 Français (dont 3 officiers) et de 21Allemands (dont 2 officiers).

Une de ces tombes, située exactement au coin Nord du cimetière actuel avait reçu 20 Français (dont le lieutenant Mouilleron) et 6 Allemands.

Une autre, située au pied du grand talus, à 200 m. au Sud du cimetière contenait 40 cadavres ( 31 Français et 9 Allemands).

b. Dans le champ situé entre le cimetière et la fosse n° 4, deux tombes renfermaient l’une 10 Français et l’autre 29 Français et 10 Allemands (dont un officier).

c. A 200 m. au Nord de la gare de Piéton, une fosse commune contenait 52 morts: 40 Français et 12 Allemands (dont 2 officiers). Une ambulance allemande y était établie, ce qui explique la présence de cette fosse commune en ce lieu .

d. Entre le carrefour de l’école de Lalue et la route de Bascoup existaient deux fosses communes, l’une de 20 Français et un Allemand, l’autre de 30 Français ( dont un officier) et 2 Allemands.

e. Le cimetière communal d’Anderlues reçut 22 Français dont 2 officiers et 4 Allemands; celui de Fontaine-l’Evêque: 18 Français.

Les autres tombes ne comptaient généralement qu’un corps ou deux; il s’agissait d’Allemands ayant manifestement échappé aux investigations de leurs brancardiers ou de leurs ambulanciers (6)”.

On compte en effet plus de 60 soldats allemands dont quelques officiers, dont les cadavres furent abandonnés sur le terrain.

LES TOMBES

Le premier souci de la population fut d’aller fleurir les tombes fraîchement creusées et le jour de la Toussaint, on vit des blessés aller déposer des bouquets ou des gerbes sur les tombes de leurs frères d’armes.

Au printemps 1915, la Croix-Rouge fit clôturer les tombes et y placer une modeste croix.

A l’invitation de la Croix-Rouge, la population allait souvent fleurir les tombes et pendant toute la guerre, malgré la défense de manifester, la population organisait le 21 juillet, jour de fête nationale, et le 22 août, des cérémonies du souvenir: on célébrait en grande pompe un office religieux auquel de nombreux artistes prêtaient gracieusement leur concours. L’après-midi, un cortège allait fleurir toutes les tombes.

LE CIMETIERE Le fait que toutes les tombes étaient éparpillées, posait des problèmes pour leur entretien. C’est pourquoi, dès le début, la Croix-Rouge avait l’intention de réunir tous les corps en un même endroit et donc de créer un cimetière.

Le temps passait et comme l’occupation allemande se prolongeait, on craignait d’avoir de plus en plus de mal à pouvoir retrouver les restes mis en terre en 1914.

Le 8 novembre 1917, le Bourgmestre de Carnières, M. Léon Marcq et deux délégués français, MM. Delmas et Chandelier, assistèrent à une assemblée générale de la Croix-Rouge où il fut discuté de l’installation du futur cimetière; on décida de l’emplacement et on mit au point un projet.

Mais il fallait l’autorisation du Commissaire civil allemand

Le 15 mars 1918, les autorités civiles et militaires d’occupation adoptérent en principe l’idée.

Le projet initial fut plusieurs fois remanié et enfin accepté. L’Administration communale allait payer les travaux, la Croix- Rouge l’exhumation, l’inhumation et la fourniture des cercueils.

Le 3 avril 1918, on commença ce pénible travail par la tombe n° 13, située à l’emplacement du cimetière actuel.

Le Président de la Croix-Rouge conduisait les travaux du cimetière assisté d’une équipe composée de 4 soldats allemands et de 8 civils, chargés d’exhumer et d’inhumer les cadavres.

Chaque corps, souvent bien conservé, était fouillé et identifié avant d’être placé cercueil numéroté et inhumé à un emplacement désigné dans le cimetière.

Il va sans dire que ce travail fut pénible et long puisqu’il se continua jusqu’en juillet 1918.

Les Allemands avaient constaté, lors de la demande d’autorisation d’établir le cimetière, que peu d’Allemands étaient restés sur le champ de bataille et que le cimetière allait en fait être destiné aux alliés; ils expédièrent alors 71 cadavres français au cimetière de Thuin en échange d’Allemands tombés à la suite d’autres combats et morts dans les ambulances des environs, tels à Binche, Waudrez…

Finalement, le cimetière militaire contenait:

Français :
7 officiers
8 sous-officiers
7 caporaux
216 soldats

238 au total; dont 34 ont été exhumés sur le territoire de Carnières, 135 sur Anderlues, 38 sur Piéton, 18 sur Fontaine-l’Evêque et d’autres sur les localités avoisinantes.
Anglais :
2 officiers
5 soldats
7 au total

Allemands:
3 officiers
10 sous-officiers
100 ou 101 soldats
113 ou 114

Le total général s’élève donc à 358 ou 359 selon les sources.

Le coût des exhumations et de la confection des cercueils s’élevait à 6.000 E que la Croix-Rouge avait bien du mal à payer. On organisa donc des fêtes avec le Comité de la Croix-Rouge et le Cercle Excelsior. Grâce aux dons et recettes des festivités, la Croix-Rouge put assumer tous les frais.

Le 23 août 1918, le Gouverneur général de Belgique, von Falkenhausen, remit à la commune de Carnières la garde du cimetière au cours d’une brève cérémonie organisée par les Allemands. Personne ne voulut y participer et on n’y vit que les quelques obligés.

Par contre, le 25 août 1918, à l’occasion du 4° anniversaire de la bataille, une commémoration grandiose eut lieu, devant une foule innombrable.

Dès 8 H du matin, des dames et des jeunes filles, accompagnées chacune d’un enfant de soldat, vendent aux passants des fleurs et des médailles au profit de l’Oeuvre de l’Habillement des Enfants de nos soldats.

A 9 H 30, les cloches sonnent l’appel de la population à la messe de 10 H.

Une heure avant la cérémonie, l’église était presque comble.

L’intérieur était pavoisé de drapeaux français et belges et dans le choeur on avait érigé un catafalque enveloppé d’un immense drapeau français et couvert de fleurs.

L’office fut grandiose, les orgues exécutèrent les plus beaux morceaux, en alternance avec des chants.

Un sermon de circonstance fut prononcé par le curé Foucart, membre de la CroixRouge. A la fin de la cérémonie, la population vibra aux sons de la Marseillaise et de la Brabançonne.

C’est seulement l’après-midi à 14 H que se déroula la cérémonie d’ouverture du cimetière.

Un cortège partit de la Grand-Place; s’y succèdent:
– l’Administration Communale
– le Comité et les membres de la Croix-Rouge
– les mutilés de la guerre
– les enfants de nos soldats
– les corps constitués de la commune

– la population.

Mais il y avait déjà foule au cimetière où chaque tombe avait été fleurie par les soins de M.Lucien Guinotte, directeur des charbonnages de Mariemont-Bascoup.

De nombreux discours furent prononçés:
– au nom de l’Administration communale par le docteur Léon Marcq, bourgmestre
– pour la Croix-Rouge de Belgique ( ambulance 1315) par Arthur Hecq, son président
– par l’Echevin Julien Lemière
– au nom du personnel enseignant par M.F. Hecq, instituteur en chef
– par M.Edouard Laurichesse, président de l’Union Française du Centre à La Louvière
– par Fernand Ledoux, enfant de soldat, au nom des enfants des soldats
– par M.J. Henrijean, président de l’Oeuvre Nationale de l’Habillement des Orphelins de guerre et des enfants de mutilés.

APRES LA GUERRE

L’armistice de novembre 1918 allait encore apporter des changements, suite au rapatriement de Français, des Anglais et des Allemands.

Seules 248 tombes furent maintenues.

Sur le monument de pierre élevé côté Sud, l’inscription qui signalait aux passants, la présence du cimetière, avait été gravée en français et en allemand; après l’armistice, une plaque fut apposée sur ces lignes et l’inscription était alors uniquement en français ! Côté cimetière, un texte gravé en français donnait le détail des 308 tombes françaises de 1918.

Le cimetière prend donc après le 11 novembre 1918, son aspect actuel: quatre carrés contiennent respectivement 77,77,77 et 17 tombes.

Chaque emplacement est pourvu d’une croix latine de 70 cm de haut sur 48 de large et portant une plaque d’identification.

A la quatrième rangée du grand carré de droite, deux tombes diffèrent: celles de deux musulmans. La croix latine y est remplacée par une stèle islamique terminée par un arc en fer à cheval mauresque mais dont le sommet est brisé comme c’est le cas de l’arc lancéolé. Cette pierre mesure environ 70 cm de haut et porte des inscriptions arabes, le croissant et l’étoile, ainsi qu’une plaque d’identification en français.

Le 23 mars 1919, le régiment d’Essex anglais qui tenait garnison à Carnières, étant près de la quitter, tenait à faire une visite au cimetière militaire pour rendre un dernier hommage aux héros alliés qui y sont inhumés.

L’adieu de ce régiment nommé “The Pompadours” allait provoquer un succès de foule.

A 13 H 30, I’Harmonie du Régiment exécutait sur la Grand-Place, les plus beaux morceaux de son répertoire pendant que les corps d’officiers et les soldats du régiment Essex formaient un cortège avec l’Administration communale, 300 enfants de soldats, le comité de l’ambulance 1315, les demi de la guerre, ee soldats Broupe de déportés de Collarmont du 22 août 1914 et de Carnières du 17 novembre 1917 et la foule.

On prononça des discours.

Un pasteur protestant récita les prières usuelles du rite anglais et l’abbé Foucart, curé de Carnières-Centre, bénit le magnifique Christ en chêne placé la veille par les bons soins d’Arthur Hecq. Ce Christ provenait du cimetière désaffecté de la Vieille Eglise et est actuellement conservé au Musée de la Haute Haine à Carnières; c’est l’oeuvre d’un sculpteur brabançon de 1530. On déposa des couronnes et le cortège regagna la Place pour se disloquer.

ANNIVERSAIRES

Le fabuleux engouement que la population de Carnières et environs marqua lors de la visite du régiment anglais, allait se perpétuer bien longtemps, lors des anniversaires du combat de Collarmont.

Chaque année, les groupements patriotiques se rendent au cimetière, le dimanche le plus proche du 22 août.

A.M.Marré-Muls

BIBLIOGRAPHIE

A.Hecq, Récit du Combat de Collarmont du 22 août 1914 sur les territoires d’Anderlues, Carnières, Piéton et Mont-Sainte-Aldegonde, Morlanwelz, 1919. O. Gierst, Relation des combats d’Anderlues-Collarmont livrés le 22 août 1914 sur le territoire des communes d’Anderlues, Carnières, Piéton et Mont-Sainte-Aldegonde, Fayt-lez-Manage, (1964). Témoignages oraux. Cet article est le résumé d’un texte figurant dans l’ouvrage édité par l’Ecomusée régional du Centre à l’occasion de son exposition consacrée aux : “Rites funéraires dans la région du Centre”.

(1) Lieutenant-Général O. Gierst, Relation des combats d’Anderlues-Collarmont livrés le 22 août 1914 sur le territoire des communes de Anderlues, Carnières, Piéton et Mont-Sainte-Aldegonde, Fayt-lez-Manage, (1964), p. 15-17.
(2) O.Gierst, op.cit., p. 18-19.
(3) Les fameux “casques à pointe” qui étaient souvent des repris de justice qu’on envoyait en éclaireurs et qui se distinguaient par leur barbarie.
(4) O Gierst, op.cit., p. 51-52.
(5) Arthur Hecq, Récit du Combat de Collarmont du 22 août 1914 sur les territoires d’Anderlues, Carnières, Piéton et Mont-Sainte-Aldegonde, Morlanwelz, 1919, p. 42- 47. Leur récit est éloquent, l’attitude des Allemands l’était moins…

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