Lorsqu’on évoque la sidérurgie en Wallonie, on pense au bassin liégeois et au bassin carolo. Mais il y a le Brabant wallon. Et notamment les Usines Henricot, à Court-Saint-Etienne. On pourra évoquer, ailleurs, plus tard, Clabecq.

Les Usines Henricot

L’origine des Usines Henricot remonte au milieu du XIX° siècle, où on trouve le nom d’Albert Goblet d’Aviella. C’est lui qui rachètera la Forge « Moulin Fauconnier », au confluent de la dyle et de la Thyle. Il engagera un jeune ingénieur, Emile Henricot, comme directeur technique. Et c’est à lui que ses héritiers revendront l’usine, en 1885. 

Les Usines Emile Henricot (source: le patrimoine stéphanois)

Au lendemain de la deuxième guerre, les Usines Henricot, contribuent à la reconstruction du pays.

Une collaboration avec un savant fou: Auguste Piccard

Auguste Piccard (Bundesarchiv_Bild_102-13738)

Mais leur savoir-faire va leur permettre de participer à une expédition scientifique au retentissement mondial qu’éclipsera seulement la conquête spatiale. Elles vont fabriquer la nacelle du bathyscaphe destiné à l’exploration des très grandes profondeurs océanes d’Auguste Piccard. Il est suisse, né à Bâle le 28 janvier 1884, professeur de physique à l’Université Libre de Bruxelles et bénéficie du financement du FNRS, le Fonds National de la Recherche Scientifique, dû au Roi Albert.

« Le public ne comprend pas assez chez nous que la science pure est la condition indispensable de la science appliquée et que le sort des nations qui négligent la science et les savants est marqué pour la décadence. » 

Albert Ier, le 1er octobre 1927.

Il est le frère jumeau de l’aéronaute Jean Piccard. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne conçoit pas son rôle, enfermé dans son laboratoire. C’est même, sous des airs de savant fou qui le feront entrer dans la légende, une tête brûlée. C’est à son propos qu’on utilisera – ou qu’on créera? – le terme de « savanturier ».

Toujours plus haut

Déjà, avec Max Cosyns, un scientifique au destin incroyable, il a battu, en 1932, le record d’ascension stratosphérique à plus de 16000 m. En 1934, le ballon décolle de Hour, dans la province de Namur et atterrit en Yougoslavie, après 1 800 km et à une altitude de 15 500 mètres.

Il aura fallu maîtriser la température à bord, et l’oxygène. Mais ils ont ouvert la voie à l’aviation moderne et à la conquête spatiale en inventant le principe de la cabine pressurisée.

La nacelle étanche de leur ascension a été construite par les Établissements Georges L’Hoir de Liège et elle a tenu. Il faut dire que si l’entreprise avait le sens des défis, Auguste Piccard avait un sens aigu, voire immodéré, de la confiance puisqu’il lui avait confié rien moins que sa vie. Et le corps de métier des Etablissements L’Hoir était la fabrication de… tonneaux de bière métalliques… On ne retrouve guère de traces de cette entreprise, mais au Canada on trouve un entrepreneur belge du nom de L’Hoir, engagé dans la métallurgie.

Mais les hommes les plus hauts du monde veulent appliquer leurs découvertes à l’exploration océanographique.

Toujours plus profond

La réussite de l’entreprise suppose la réalisation d’une nacelle sphérique faite de deux hémisphères, qu’on va « coller ».

le projet. Source Le Patrimoine Stéphanois https://www.patrimoine-stephanois.be/

Les archives des Usines Henricot sont riches de détails :

il faut que les parois fassent 9 cm d’épaisseur et 15 cm près des hublots. Elles devront résister aux poussées de quinze mille tonnes exercées par l’eau à quatre mille mètres de profondeur.
Il faut que le refroidissement soit régulier, que la solidification soit régulière, à n’importe quel point de la pièce, ce qui sera vérifié par un examen au radium.
Il faut pour chaque pièce douze tonnes d’acier qui ne feront plus que cinq tonnes après l’usinage final.
Il faut que les faces des deux demi-sphères qui seront jointes pour faire la nacelle soient ajustées au centième de millimètre.

La fabrication durera un an.

DE GAUCHE A DROITE ET DE HAUT EN BAS:

  1. préparation du moule
  2. le moule achevé
  3. coulée d’une demi-sphère
  4. découplage de la masselotte
  5. traitement de normalisation après dégrossissage
  6. forage des trous de fixation pour porte
  7. échange d’idées entre le savant et l’ingénieur
  8. les deux hémisphères vont poser l’un sur l’autre sans joint
  9. la dernière inspection du joint par le Professeur Piccard
  10. le professeur Cosyns sur le chantier
  11. placement de la sphère sur son berceau
  12. la sphère est fixée et s’envole vers son destin

Source Le Patrimoine Stéphanois https://www.patrimoine-stephanois.be/

La nacelle, on l’appellera bathyscaphe FNRS 2 et FNRS 3. Pour la première fois, l’homme atteindra les 4050 m de profondeur près des îles du Cap Vert. On l’appellera aussi « boule de Piccard », comme le rappelle l’association sans but lucratif « Le Patrimoine Stéphanois », qui fait sur cette épopée industrielle et cet exploit scientifique un travail remarquable de sauvegarde.

Ainsi, à Liège et à Court-Saint-Etienne, on contribua au succès des expériences d’Auguste Piccard, l’ami d’Einstein et de Marie Curie et le participant aux célèbres congrès de scientifiques Solvay, en 1927. C’est le 5e Congrès Solvay qui se tient à Bruxelles sur le thème « Électrons et photons ». La conférence accueille 29 physiciens parmi lesquels se trouvaient aussi Albert Einstein, Marie Curie, Hendrik Antoon Lorentz,…

5° Congrès Solvay 1927, Parc Léopold à Bruxelles. A gauche, à l’arrière, le plus grand: Auguste Piccard

Cette rencontre mémorable est immortalisée par l’une des photos les plus célèbres de l’histoire de la physique. Parmi ces 29 scientifiques, 17 étaient ou devinrent prix Nobel. Il n’y avait alors qu’une femme: Marie Curie. En suivant ce lien, on identifie chacun des participants, réunis sous l’objectif de Benjamin Couprie, Institut International de Physique de Solvay.

Bon sang ne peut mentir

Auguste Piccard, le « savanturier », est le père de Jacques Piccard, océanographe et océanaute, qui n’a pas manqué d’alerter le monde sur la dégradation des océans et des mers, et le grand-père de Bertrand Piccard, psychiatre et explorateur. Militant des causes environnementales, il a été amplement médiatisé pour ses vols scientifiques à bord du ballon Breitling Orbiter et du Solar Impulse, avion solaire avec lequel il a réalisé un tour du monde.

La grande sagesse du savant fou

Mais Auguste Piccard n’était pas que scientifique. Il était philosophe. Il en avait d’ailleurs la formation. Et ses réflexions sont d’une criante actualité, comme on le voir de cette citation:

« La question maintenant n’est pas tant de savoir si l’homme pourra aller encore plus loin et peupler d’autres planètes, la question est de savoir comment s’organiser de façon à rendre sur Terre la vie de plus en plus digne d’être vécue ».

Auguste Piccard

Si d’aventure vous deviez rencontrer Elon Musk, dites-lui… On ne sait jamais, il pourrait y être sensible…

Résister au temps qui passe par la pop culture

Mais ce n’est pas tout.

La Bande Dessinée belge allait faire du Professeur Piccard le mythe du savant fou. Dans le quotidien Le Soir, le vendredi 5 mars 1943, le Professeur Tournesol allait apparaître pour la première fois, sous la plume d’Hergé, dans Rachkamn le Rouge. “…Tournesol et son sous-marin, c’était aussi, c’était surtout le professeur Auguste Piccard et son Bathyscaphe… » dira-t-il plus tard. Décidément, le quartier où vivait Hergé à l’époque est pour beaucoup dans la création du Professeur Tournesol: Tryphon, son prénom, lui est inspiré par Tryphon Bekaert, menuisier ébéniste de l’avenue Demey, à Boitsfort…

Le Trésor de Rackham le Rouge en marollien

Toujours est-il que Rachkam le Rouge constitue, en même temps que le Secret de la Licorne, avec lequel il constitue un dyptique, les premiers albums qui seront traduits et édités en langues étrangères dès 1952, pour conquérir le monde, 7 ans après la sortie des albums en français chez Casterman…

Mais il conquerra aussi les Régions du monde, en patois et on peut le lire chez nous en tournaisien, en borain mais aussi en marollien et en ostendais.

We dit it! We can do it again!

Bernard Chateau,

Merci au Patrimoine Stéphanois, auprès duquel vous aurez davantage encore d’informations sur cette épopée industrielle et sur la commune de Court-Saint-Etienne.

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