Monsieur Aloys Burms, de Morlanwelz, a passé sa prime jeunesse dans la cité Levie de Cronfestu. Il en a gardé de nombreux souvenirs dont ceux relatifs aux jeux et divertissements. Il nous en livre des notes qui ne manqueront pas d’intéresser, voire d’émouvoir. Car Cronte-Paille, c’est Cronfestu.

LES JEUX

Généralement, les garçons et les filles jouaient séparément.

Les filles dansaient ou sautaient à la corde; certaines, peu nombreuses, s’amusaient avec un diabolo.
Mais le jeu le plus fréquent était le “paradis”. Elles se procuraient le “paradis” ou “platia” disaient les gamins, auprès d’une connaissance qui travaillait dans une des verreries de Cronfestu ou de Manage, ou bien auprès d’une ouvrière occupée chez Boch. Les filles disposaient aussi d’une balle en caoutchouc coloré qu’elles lançaient contre le mur et la rattrapaient après avoir pirouetté sur elles-mêmes. Les plus âgées devaient aider maman surtout lorsque la famille était nombreuse.

Filles et garçons jouaient parfois en automne, vers la soirée, à cache-cache dans les tunnels ou derrière les tonneaux qui recueillaient les eaux de pluie.C’étaient
parfois des courses folles tout autour des maisons du coron compris entre les tunnels.

On s’amusait aussi à Colin-Maillard.

Pour les garçons, il y avait plus de variétés de jeux.

Al tachlette

Ce jeu consistait à poser sur la pierre centrale de la cour, une broche de bois ” el broke” de 20 cm de long, taillée en pointe à chaque extrémité et posée, pointée à 45°.sur le bord de la pierre. On frappait le bout pointé vers le haut avec “el baston”, long de 50 cm environ. On faisait sauter la broche en l’air et on la refrappait aussitôt pour qu’elle aille le plus loin possible. Si l’adversaire ne l’avait pas rattrapée au vol, le frappeur estimait alors la distance entre le point de départ et le point de chute; il exprimait un nombre équivalent à autant de fois la longueur du “baston”. En cas de contestation, on mesurait. Généralement on avait le compas dans l’oeil.

Le jeu de billes et ses variantes

On se procurait les billes au bazar à Morlanwelz, chez Mr et Mme Leherte.10 pour 10 centimes ! C’étaient des billes en terre cuite de toutes les couleurs et parfois un peu difformes. Elles servaient de monnaie d échange car chaque joueur était fier de posséder une bille en pierre, bien ronde avec laquelle il tirait. On ne parlait pas de billes en verre ou très peu. On tenait la bille entre l’index et le pouce repliés; le pouce servant à livrer pour donner de la puissance à la bille. Si on atteignait l’adversaire par un “pettou”, il fallait donner 2 billes en terre. Si on s’approchait assez près de sa bille, on mesurait pouce et petit doigt écartés au maximum ( empan), on recevait une bille. En fin de saison, l’ongle du pouce était usé.
Il y avait aussi la partie qui consistait à faire sortir d’un ovale, les billes que chaque joueur y avait placées, en employant la bille de pierre.
Une dernière variante pratiquée sur le chemin de retour : le jeu au long, une des billes plus grosses. Les règles étaient les mêmes.

“A l’ mastoque ou au gros sou

Chacun plaçait un nombre déterminé de pièces de 5 centimes sur la pierre. On jouait “a l’ mastoque ( un sou) ou “gros sou” (10 centimes). Le jeu consistait à frapper une ou deux pièces avec une bille d’acier de 15 à 20 mm., de la faire sauter en bas de la pierre.

Jeu du bouchon

Placé à une certaine distance, le bouchon était surmonté de pièces de monnaie (10 les 25 centimes, 4 prde dune fote atlait fous oment le guichon et toutes pouvait être un petit disque même parfois une pièce de 25 centimes.

La toupie

“Al tourpine, à l’tourpène”
Chacun possédait sa toupie fourrée dans la poche. C’était une petite masse en forme de poire, conique, avec le dos légèrement arrondi et munie d’une forte pointe d’acier dépassant d’environ 1 cm. Les flancs étaient légèrement rainurés pour la prise de la corde car il fallait aussi une corde, solide et souple. Rien de tel qu’une corde de store. Celle-ci s’enroulait autour de la toupie dont on tenait une partie bien fixée dans la main.Bras relevé, coude plié, on lançait vigoureusement la toupie en piquant vers le sol. L’art consistait à ramasser la toupie qui continuait à tourner avec la main collée au sol, et elle achevait de tourner.
Il existait aussi une toupie droite avec une tête plus large. Il fallait la lancer horizontalement, en position presque accroupie. C’était plutôt pour les filles.

Le carré et le canif

On traçait un carré. On le divisait en deux. On tenait un canif, lame ouverte dirigée vers le haut. D’un coup sec du poignet, on plantait la lame dans la surface de son voisin et suivant l’orientation prise, on traçait une ligne droite de manière à s’emparer de la surface du voisin.Celui-ci faisait de même. La partie s’arrêtait lorsque le découpage n’était plus possible. Ce jeu, assez dangereux, était interdit et se pratiquait dans un coin de la cour.
Il existait un autre jeu du carré. On traçait médianes et diagonales et chacun des deux joueurs disposait de 3 pierres ( petits cailloux, noyaux de cerises) qu’il fallait amener tous les trois sur une même ligne droite. Chose bizarre, le perdant payait avec des tickets de tram que nous allions ramasser à l’aubette près du parvis. Les plus communs étaient ceux de 30 centimes. Les plus rares, ceux de 80 centimes. Si mes souvenirs sont bons, ils avaient des couleurs différentes.

Les osselets

On pratiquait ce jeu avec des petits cailloux plats.

Saute-mouton

En file de 5 ou 6 gamins.
Autre façon : celui qui servait de point d’appui était placé au milieu d’un carré dont on ne pouvait toucher les bords, avant ou après saut. Celui qui était pris devait à son tour prendre la place du “baudet”.

La balle pelote

Se jouait entre deux partenaires qui se renvoyaient la balle.
On jouait “al rimbelle” “al rind-belle”.
Vers l’âge de 12 ans, nous jouions parfois une partie de balle pelote, soit à l’école, soit dans le dernier grand bassin à pâte où des employés de chez Levie avaient tracé un jeu et y livraient une “lutte” du temps de midi, sous la direction de Mr Deraymacker, joueur de l’équipe de Mont-Sainte-Aldegonde.

La balle au chasseur

On se groupait à plusieurs; le jeu consistait a toucher, en lançant la balle, un camarade place a une certaine distance. On courait à travers toute la cour. Celui touché reprenait la place du lanceur. Cétait un jeu assez dangereux car on pouvait atteindre les enfants au visage. J’en fus un jour victime, ayant attrapé la balle en pleine tempe gauche, et je suis tombé sur le sol.
On se se livrait aussi parfois à une vraie lutte, cinq contre cinq.

La balle au mur

Par équipe de 2 ou 3. La balle était lancée sur le mur; il fallait la renvoyer au vol ou après rebond et la balle devait toucher le mur au-dessus d’une ligne tracée. Le compte se faisait comme au jeu de balle.

Le football

On shotait sur une balle mais sans former d’équipe.

Les grigne-dints

En automne, au moment de la récolte des betteraves ( on cultivait encore les fourragères), on assayait de repérer une betterave pas trop longue mais la panse bien rebondie. On coupait la calotte (le collet); on évidait la betterave et sur une face on pratiquait verticalement et assez haut, trois ouvertures de 3 cm sur 1. On y ajoutait parfois une entaille horizontale. A l’intérieur, on plaçait un bout de bougie qu’on allumait. Le soir, dans l’obscurité, on se pla ait dans un des tunnels et lorsque quelqu’un passait, on montrait la betterave en la tenant par le bas, face éclairée. Il nous arrivait aussi d’aller frapper à une porte et lorsqu’on ouvrait, on se tenait en retrait en montrant le grigne-dints. Souvent, on entendait des cris de stupeur ou des jurons.

NOS LIEUX DE JEUX

1° La cour de l’école du coron.

2° Le terril: notre lieu de prédilection pour jouer aux cow-boys et aux indiens. J’avais même volé quelques sacs déchirés à la sacherie de la cimenterie, pour faire une tente indienne. Avant de regagner nos pénates, nous les enfouissions sous un lit de feuilles mortes à la partie supérieure, arrondie, du terril, sous un petit bosquet. Anecdote : deux d’entre nous, Gustave et Florimond, étaient parvenus à s’acheter un petit révolver à balles réelles pour 6,50 F chez un armurier de la Place du Préau, à côté du café “La lanterne” ‘, local colombophile et des organisateurs de courses cyclistes. Ils cachaient l’objet dans un endroit secret du terril. La mèche ayant été vendue, Fulgence, le papa de Gustave, administra une fameuse “danse” à son garnement, qui fut obligé de dévoiler l’endroit. On ne parla plus de révolver. On se contenta d’arcs (arbalètes) et de flèches.
Une aubaine : un jour, nous avions reconquis de force (avec l’aide d’un ouvrier de l’u sine)notredomaine envahi par des gamins venant de Mont-Sainte-Aldegonde. Ce fut la seule bataille livrée pour le terril.Les Mohicans avaient reconquis de haute lutte leur territoire.

chasse aux hannetons

Le versant est-sud du terril était bien boisé, entre autres d’érables dont les feuilles étaient tendres et charnues. De jour, le hanneton s’accrochait sous les feuilles. Pour arriver au terril, nous empruntions un petit sentier (enn’ pi-sente) longeant les bassins à pâte et contournant les jardins de quelques contremaîtres. On secouait vivement le tronc et les branches accessibles et on enfermait les hannetons dans des boîtes d’Ovomaltine. A la maison, le plaisir consistait à attacher un fil à coudre à une patte de l’animal et à le faire voler. Il arrivait parfois qu’on en emporte en classe et qu’on les y lache, au grand dam de l’instituteur.

Les nids

On les découvrait sur le terril; c’étaient souvent des nids de grives. On ne dénichait pas mais on se contentait de voir grandir les oisillons. Il y avait une espèce de verdier que nous appelions le “vert fion”, inaccessible parce que nichant au plus profond d’un massif de ronces croissant sur une croupe, face à “Oumont”. D’autres oiseaux, les “rouge-queue” ou “rossignols des murailles” nichaient paisiblement dans le grand bâtiment de l’ancien charbonnage jouxtant le terril. Nous trouvions aussi des fauvettes, dans les broussailles et les ronces des talus du chemin de fer.

3° El trô à marlette

C’était la première carrière de marne Dufossez..abandonnée depuis longtemps; la paroi nord était plus accessible et un peu en pente. Nous nous amusions à
descendre la pente sur un couvercle de casserole posée sous le postérieur. C’était devenu un vrai tobogan. Nous y avions creusé une grande excavation, dans la partie supérieure, afin de nous mettre à l’abri. Nous y avions même une usine de munitions pour nous défendre contre ceux “d’en bas”.Cela nous valut une fameuse raclée de la part de deux ouvriers de la forge Esgain, qui nous firent remarquer le danger que nous courions d’être ensevelis. Insouciance d’enfant ! Nous y accédions en longeant le mur de la propriéte Wanty ou bien par un chemin de terre longeant le chemin de fer et qui permettait peut-être aux fermiers d’aller chercher de la marne pour mettre sur leurs terres (sous toutes réserves).

4° Le talus du chemin de fer

On allait y cueillir des cerises sauvages et des petites pommes genre “gueule de mouton. Nous y ramassions aussi du bois mort pour faire un petit feu à l’entrée du tunnel effondré, qui reliait carrière et usine, passant sous le chemin de fer.

5° La rue, la route, la gare.

Quand on ne savait que faire, on plaçait des pièges à moineaux ( des seppes!).Il y avait toujours bien l’un ou l’autre crottin sur le chemin et une croûte de pain pour servir d’appât. Gare au charretier qui faisait sauter le piège Il en entendait des noms pas toujours flatteurs.
Quand le temps était frisquet, l’entrée de la gare nous servait d’abri.
Nous observions aussi un bonhomme qui installait une petite table pliante et attendait les ouvriers flamands venant du charbonnage de “T’Avaleresse”.Il exploitait un jeu de hasard, 1 fr la partie. En cas de gain, deux oeufs cuits durs ou une menue tablette de chocolat.
Quand un train de marchandises était à l’arrêt ou manoeuvrait, nous regardions ces hommes emmitouflés battant des mains et qui descendaient d’une petite cahute surélevée à l’arrière de certains wagons. C’étaient des serre-freins; le Westinghouse n’existant pas encore.
Parfois, il nous arrivait d’aller observer les souffleurs de verre de la verrerie toute proche. Ils empoignaient une longue tige garnie d’une masse rougeâtre puisée dans le four et que lui passait un aidant.Ils étaient debout sur une estrade, souvent torse nu. Devant eux, un espace vide.Ils soufflaient dans une longue canne. Ils balançaient la canne de gauche à droite. La masse se gonflait, sallongeait, perdant son aspect rosâtre. On appelait cela un “canon”. Parfois, un pari a celui qui aurait le plus long ! Il fallait du souffle et ces souffleurs de verre étaient connus pour être des buveurs de bière et d’alcool.

6° Sur le chemin de l’école.

Nous quittions notre coron vers 7 H 30. La bande se formait au coin de la cantine. Hiver comme été, qu’il neige ou qu’il pleuve, nous allions gaiement, marchant 3/4 d’heure pour ariver à l’école. Par mauvais temps, nous allions par la route. Mais quand le temps était sec et beau, nous empruntions le sentier qui partait aux environs de la maison isolée et qui suivait parfaitement le fond du petit vallon que l’on aperçoit si bien quand les terres sont fraîchement labourées. Nous aboutissions à la rue de Mons au chemin de terre allant vers le “chien qui pisse”, près de la ferme “Polyte”, du nom de son propriétaire et longions l’immense pâture de la ferme “Saque à tout” “‘Sakatou”.
Le matin nous ne traînions pas en chemin. Au printemps on s’arrêtait parfois pour découvrir et écouter le chant d’une alouette qui lançait ses trilles bien haut dans l’azur, face au soleil levant; puis, elle se laissait tomber comme une masse. On avait beau fouiller le blé en herbe, impossible de découvrir son nid. Nous observions aussi les beaux chevaux de trait de Mr Dupont. Il y en avait 6 ou 8.
Nous débouchions à la rue Dufossez en face d’un petit magasin chez “Sans oreilles”; allez dire pourquoi ! On y vendait des cigarettes “Pompon” dans un petit étui de 5 pour 25 centimes.

Dans ce chemin de terre il y avait une parcelle plantée d’arbustes rabougris, du jolibois ou lilas en wallon du ” muja”.II nous arrivait en retournant, de cueillir quelques branchettes fleuries. Ce muja était cultivé parce que son bois donnait un charbon de bois très dur qui servait à chauffer les gros fers à repasser des tailleurs et servait aussi de fusain pour le dessin. D’où probablement l’origine de certains lieux-dits “Jolibois’.Il nous arrivait aussi de cueillir les branchettes de jolibois qui dépassaient du mur de clôture du château “Beau Muja” rue des Ecoles, actuellement, rue Rondeau. Est-ce là le nom du château ?
Par la rue Alcalène, nous débouchions dans la rue Haute (rue Général de Gaulle), longions le magasin Van Sint Jan et la glacière et remontions la rue L. Moyaux. En hiver, lorsqu’il pleuvait, les Frères nous attendaient et nous permetaient de nous réchauffer un peu.
A 4 H., à la glacière, nous essayions d’avoir un petit morceau de glace quand il faisait chaud. Il nous arrivait aussi d’observer les chevaux de la brasserie du Bon Grain qu’on faisait descendre dans la Haine, le long de la maison Godeau, question de les rafraîchir un peu.
Au printemps ou en été, le retour était toujours de durée variable sauf l’hiver car il n’existait pas d’heure d’été mais mais bien l’h eure solaire et le soir tombait vite. Au moment de la fenaison, nous aimions nous laisser tomber et rouler dans les foins du fermier Denorre qui habitait au quai de la Haine.Il nous arrivait aussi de faire la chasse aux papillons ou de tenter de découvrir un trèfle à quatre feuilles ! Le jeudi, l’école se terminait à 12 H. Nous allions parfois pêcher des petits poissons à grosse tête, des “chabots” dans la Haine, près d’une dérivation un peu plus en amont que la sortie du ruisseau “Ri du Bos”. A cet endroit, il n’y avait pas de quai mais un simple sentier juste en face du lieu-dit qu’on appelait la “Blanquirie” (la Blanchisserie).On y venait autrefois rincer et faire blanchir la toile écrue. Nous remontions alors la chaussée.
Il nous arrivait aussi de retourner par la Potrée, dépasser bien loin le cimetière et prendre un bain de pieds dans un petit ruisseau venant de la rue de Mons. Nous longions ensuite une prairie bordée d’une haie vive où en automne, nous pouvions cueillir des noisettes et des prunelles sauvages.
Au temps des fraises, nous allions en ramasser dans l’allée des hêtres, aujourd’hui disparue avec la construction de la Cité. Il nous arrivait aussi de collectionner les petits soldats des emballages chocolat Kwatta et des bons se trouvant dans les paquets de cigarettes Belga, que nous trouvions le long du chemin. C’est ainsi que je me suis procuré un nécessaire de fumeur qui a trôné sur la table de salon chez Maman jusqu’à son décès; il n’en est resté qu’un cendrier.

En maraude

Il y avait aussi l’attrait de la maraude dans les vergers de la ferme Blanquet à Trois Arbres. Quelqu’un restait de garde sur le chemin, l’autre se faufilait par un trou dans la haie contre la maison voisine. Impossible aujourd’hui, car il y a un bungalow à la place.En récompense, le “garde” recevait le “touchon” ou le rognon d’une pomme que l’autre compère avait croquée à moitié. Chez les Mabille (actuellement propriété Marcoux) il n’y avait que trois poiriers !
A la Chaussée Brunehault, à côté du funérarium, existait une petite ferme. Maintenant transformée, avec un noyer sur le devant. Il y est toujours. Nous ramassions ou gaulions quelques noix.
Restait le talus du chemin de fer où croissaient quelques pommiers genre “gueule de mouton” ainsi que des merisiers (cerisiers sauvages).
On gaulait aussi des marrons des arbres qui ornaient l’entrée des châteaux Cambier (rue Haute) et Dufossez.
La plus mémorable des expéditions fut celle au grand verger du Calvaire. Nous étions parvenus à une dizaine à quitter l’école à midi en nous glissant dans les rangs a midi. Nous en revinmes les poches pleines mais la mèche avait été vendue. Le directeur nous attendait. Il nous fit vider nos poches. L’un d’entre nous, Robert Fichaux, plus déluré et futé comme un fichaux, mit une partie de son butin dans le devant de sa culotte en disant : “Doulà il ne les perdra nin !” Bien entendu, les lignes pleuvaient : 50 ou 100 était le tarif; pas plus de valeur que la lire actuelle sauf pour celui qui devait les copier.

La baignade

Employant le même stratagème, on demandait d’aller acheter quelques anis chez “Tchibrouille” en face de Baume et Marpent ou chez “Crotte de tchîn” sur la Place. Nous prenions le chemin quai de la Haine ou Polychêne pour reprendre au-delà de la Chaussée, un petit sentier longeant la rivière la Haine à travers les prairies bordant la Haine du côté de la ferme Mustin.
Il existait un barrage à l’endroit appelé “Vintères”. Quelques vannes délabrées retenaient les eaux venant de Carnières. En un clin d’oeil nous étions tout nus, les vêtements posés près d’un bosquet. Un jour, nous fûmes surpris par l’arrivée inattendue du garde-champêtre de Carnières. Le temps de ramasser ses effets et de filer jusqu’à la Chaussée, quitte à se rhabiller du côté de Morlanwelz. Là le pandore n’avait pas droit de poursuite! C’était en 1923. Nous étions en 6° classe de Mr Bocquiaux. On répétait déjà pour la distribution des prix.

LES DIVERTISSEMENTS

Il n’y en n’avait guère à Cronfestu !
Le lundi du carnaval d’ “Oumont” ‘, un groupe de gilles venait de l’Avaleresse, s’arrêtait à un café près de la gare, à la cantine, parcourant le coron et retournant par la rue Rose en traversant la cimenterie et en contournant le terril.
Vers les années 24 ou 25, on créa la ducasse de Cronfestu “pa dzou”. Un petit tourniquet, une balançoire, un tir, quelques échoppes à friandises.
Dans les années 1930, on jouait à la balle sur la prairie attenant à Dehasse.
Les enfants, surtout les garçons, allaient au cinéma à Morlanwelz, en matinée au “Lion d’Or”, plus tard, cinéma du Préau ou à la Maison du Peuple. En 1921-22 on payait 30 centimes l’entrée. On allait parfois aussi au “Barbier” à Carnières. Les

films étaient à épisodes 4, 6, parfois 8 épisodes de 3 parties. On passait deux épisodes par séance. Au “Lion d’Or”, il y avait un pianiste, Franz André, dont la musique était bien souvent envoûtante pour les enfants qui regardaient les exploits de Buffalo Bill ou autre vedette.
Je me rappelle qu’à 13 ans, mes parents me permettaient d’accompagner deux habitants du coron, Franz et Pierre, tous deux flamands, qui ne savaient pas lire. Ils me payaient 1 Fr et comme chaque partie était entrecoupée de petits textes à l’ecran, je devais les leur lire ou les traduire. Alors on disait derrière moi : “Chut gamin, on n’intind qu’ vous”.
Le dimanche après-midi j’allais planter les quilles à la cantine pour 1Fr. Parfois on recevait un supplément du brave homme Triphon Vandamme.
Il m’arrivait aussi d’aller voir les courses cyclistes.
C’est ainsi que j’ai vu les deux gloires, Van Hauwaert, le flamand et Mostrat le wallon, attablés au café, à l’arrivée. Mostrat a même essayé de monter la passerelle à moto. L’argent de poche était compté. Nous pouvions nous payer quelques caramels au beurre ou acidulés, de la forme d’un gros carré de sucre, chez Léonce qui tenait un petit magasin à côté du café “el barake de bos” ou chez Thérèse dans le coron. Il y avait aussi des anis, des “lacets”‘, espèces de fines lanières au goût de jujube, ainsi que de petits nougats.
Le mardi, Maman rapportait du marché des biscuits ronds, délicieux, des petits sablés que je n’ai jamais pu retrouver.
En été, Maman ou nous-mêmes, achetions un bâton de jujube dont on cassait un morceau que l’on introduisait dans une bouteille du pharmacien, remplie d’eau; on secouait… le jujube perdait de sa gomme, formant un liquide brun noirâtre et donnait une écume assez épaisse .Voilà ce dont on disposait pour se désaltérer, en plus du café léger baptisé “Tchirlape”. Ni Coke, ni Pepsi ou Fanta en ces temps là.
Le mardi, Maman me donnait une pièce de 25 centimes pour acheter sur le marché un morceau de boudin ou quelques cerises quand c était la saison.
Je demandais la permission au Frère surveillant et je m’empressais d’aller écouter un trio de chanteurs installé près du parvis de l’église; parfois sous un grand parasol. C’étaient trois hommes venant de Péronnes. L’un d’eux, manchot, tenait de grandes feuilles rouges imprimées, sur le moignon gauche et de l’autre, vendait et percevait l’argent des spectateurs qui accompagnaient en fredonnant les nouveaux airs joués par l’accordéoniste et chantés par les deux autres compères. C’était le temps de “Valencia” “Ramona” “Nuit de Chine”
Ensuite, on retournait à l’école, en montrant au Frère, le produit de son achat.
Les jeunes gens du coron allaient au cinéma le samedi ou le dimanche en soirée. Ils fréquentaient aussi les salles de danse du “Ty” ou du “Martico” rue de la Folie (rue de la Victoire) à Morlanwelz. Il arrivait aussi que des hommes bien endimanchés, allaient faire leur petit pas de danse, valse ou polka, en revenant avec un cachet sur le poignet ou le dos de la main, signe qu’ils avaient payé leur entrée. N’est-ce pas Papa ?
D’autres, allaient le samedi soir ou le dimanche matin se faire raser ou couper les cheveux chez Dehasse. Dehasse, le capharnaum, café, boutique, coiffeur et hébergiste de logeurs flamands. I
l arrivait que le dimanche matin, certains allaient boire des verres chez Juliette del baraque de bos.
Les ménagères allaient au marché de Morlanwelz chaque mardi et en revenaient chargées; ni vélo, ni bus mais pedibus…
En autres temps, elles envoyaient un de leurs enfants chez Dehasse ou chez Marguerite Leclercq (magasin Stalon) ou on pouvait aussi se procurer du pétrole! Pour le vinaigre et l’huile, il fallait aller avec sa bouteille. Le sucre était pesé aussi bien que le savon noir ou le sirop de Liège !
Cela me rappelle la réflexion d’un gosse, Louis qui a dit à ma future belle-mère : “vingt chong centimes, cnè nin assè. Djen’ va pu fait des commissions pou vingt chong centimes!” Il y avait déjà un tarif.
La vie était monotone pour la femme au foyer. Il y avait tous les travaux menagers, la lessive à la main, les repas à préparer ainsi que les “musettes” pour le mari et les enfants ne rentrant pas à midi.
La monotonie de la cité était un peu rompue par le passage du marchand de pétrole qui s’annonçait en agitant une cloche au son assez clair suspendue au-dessus de sa cuve.
Il y avait aussi les fournisseurs de pain “Le Bon Grain” et “La Croix Bleue”, camions tractés par deux chevaux. Un autre personnage ne passait pas inaperçu : le chiffonnier Payen qui vendait en même temps quelques ustensiles et qui nous rachetait les vieux fers que nous ramassions pour nous faire un peu d’argent de poche.

LES CARNAVALS ET KERMESSES

J’allais oublier les carnavals !Celui de Mont-Sainte-Aldegonde était le premier en date.
Nous allions avec une “musette” à tartines et nous ramassions les oranges lancées. Venait alors celui de Morlanwelz : notre carnaval
Pendant deux jours, nous suivions les groupes de paysans, gilles, pierrots et cow-boys. Nous rentrions le soir, les deux musettes pleines. Nous savions où nous placer N là où il y avait des jeunes filles au balcon N. Le lundi nous assistions à la bataille à coups d’oranges que se livraient les Pierrots Noirs (parti catholique, local Senterre) et les Cow-boys (parti libéral, Beau Séjour).
Les oranges fusaient, à notre plus grande joie.
Les carnavals de Leval et de Carnières nous intéressaient moins. Ce que j’ai retenu de ces cortèges, c’est l’ordre, la discipline qui régnait dans chaque groupe; la gendarmerie à cheval ouvrant le cortège, le commissaire de Police, Baijot, portant bicorne et sabre au clair.
Une seule note discordante : le mardi du carnaval, on rencontrait au marché, quelques commères habillées en gilles ! Elles avaient revêtu le costume de leur mari… C’était vulgaire !
Que n’avons-nous pas chanté ces airs populaires, un peu vulgaires : “Quand grand-mère a mis s’rouge cotte”, “T’ai vu l’pépète dem matante Zoé” “Les Pierrots blancs sont là ” etc…
Nous fréquentions le champ de foire du Préau et les deux kermesses de la Place en juillet et en octobre.
On comptait ses sous pour savoir ce qu’on pourrait se procurer ou combien on pourrait faire de tours au carrousel.

LECTURES

Nous ne disposions guère de lectures pour enfants sauf, un illustré : “‘Epatant” ou “Petits Belges”, ou encore la “‘Semaine d’Averbode”.
J’achetais parfois un fascicule d’environ 32 pages de la Collection Patrie, éditee en France. Cela concernait des récits de combats de la guerre 14/18. alheureusement, Maman a tout dispersé.
Nous parcourions tout à pied, été comme hiver. Chez nous, pas de radio, encore moins de TV ou de grammophone (tourne-disques). Que sais-je encore. Nous étions joyeux. On sifflait, on chantait. On se fabriquait même des castagnettes avec deux os plats. Nous ne passions pas inaperçus. La bande de Cronfestu ! Malheureusement, elle mourut de sa belle mort. Après les vacances de 1924-25, plusieurs ayant cessé d’aller à l’école, la bande se dispersa. Je revois encore tous mes camarades : Gustave, Florimond, Robert Fichaux, Pierre Virgo, Charles Imbert, les Baetens, Arthur appelé “Tchirippe”, Depryckel, Clément Vandamme, mon frère Charles et moi. On se revoyait encore de temps à autre, mais la bande avait vécu. On avait beau se rappeler nos frasques, nos gamineries ou nos jeux; mais l’esprit n’y était plus.
Au soir de ma vie, le dernier des Mohicans a voulu parcourir une dernière fois la cité et ses environs. Mais je n’ai plus retrouvé notre cour, notre terril, notre trô à l’ Marlette, notre gare où nous observions les manœuvres pour fermer les barrières (les bailles). Il n’en reste plus rien.
Espérons qu’un jour, tous réunis, le Bon Dieu nous réservera des lieux encore plus beaux, une amitié encore plus forte. Il y aura des ruisseaux, des prés, des champs, des alouettes, des vergers ou nous pourrons marauder et ne pas être punis pour avoir cueilli des fruits défendus…


Aloys Beurms (né en 1911)


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