

Je vous propose de continuer ici la saga de la famille Warocqué, maîtres-charbonniers au XIX° siècle en Hainaut, là où nous l’avions laissée, à la mort d’Abel, avec deux fils: Léon, né en 1831, neuf mois après le mariage de son père avec une riche héritière bruxelloise, Henriette Marishal, et décédé à l’âge de 36 ans, sans postérité et Arthur, né à Mariemont le 11 janvier 1835.
Vous retiendrez de cet épisode que l’on voit dans la constitution de ce qui sera la première fortune de Belgique au début du XX°S, toutes les composantes qui traverseront la dynastie, symptomatiques de ces nouvelles fortunes nées au XIX° siècle de l’industrie. Il y a là, pêle-mêle, un acharnement infatigable, mais aussi le goût du paraître et du pouvoir politique, la proximité avec la Maison Royale et l’esprit expansionniste du Roi Léopold II, la rigueur implacable de gestion dans les affaires, quelles touchent l’industrie et la finance ou la famille, alliée à une forme de générosité philanthropique personnelle. Et enfin, last but not least, le rôle de l’héritage, certes, mais pas moins l’importance de bien choisir la mariée. Mais ça, on s’en serait douté…

C’est donc par la force des choses, suite au décès de son frère aîné, Arthur qui reprendra le flambeau, dans les mines et plus globalement dans « les affaires », en même temps qu’en politique – il sera aussi député. Il sera un soutien à la politique expansionniste de Léopold II. Et se manifestera encore par des actions de bienfaisance, dans l’enseignement, et l’assistance sociale, traçant la voie pour ses successeurs. Cet élan philanthropique complète le portrait des grands bourgeois du siècle, sévères dans leur gestion, mais animés d’une bienveillance paternaliste, avec un goût marqué et dispendieux pour les arts.
Un an après leurs fiançailles, célébrées en 1858, il épouse Marie Orville, à Paris. Elle est française, fille de Jean-Baptiste, l’un des plus riches financiers de France, dit-on. La dignité de son rang, elle trouve à l’exprimer dans son changement de prénom : dorénavant, elle s’appellera Mary. Ils auront quatre enfants. Georges, né en 1860, et Raoul, en 1870; deux filles mourront en bas âge. Et par les circonstances, on va découvrir un personnage réellement romanesque.

Mais Arthur décèdera prématurément à Bruxelles, en 1880. Mary lui survivra pendant 29 années. On devine l’importance qu’elle prendra auprès des deux garçons: l’aîné a alors 20 ans, et le cadet seulement 10. Mais ce sera de particulière manière. Car ce qui caractérise Mary, ce sont ses absences – elle voyage beaucoup et privilégie les longs séjours au soleil et les cures, dans les lieux de villégiature, fréquentant l’opéra et les festivals de musique. Elle suivra notamment, avec la ferveur d’une groupie, Ernest Van Dyck qu’elle rencontre en 1889 et suit avec enthousiasme la carrière musicale de ce ténor wagnérien, l’un des plus renommés de son époque.

Elle va même organiser ses propres déplacements en fonction des tournées du chanteur belge sur les grandes scènes européennes, de Bruxelles à Vienne en passant par Monte-Carlo, Paris, Londres ou Bayreuth.
Son caractère n’en est pas moins d’une sévérité austère, rigide et possessive, y compris envers ses fils, malgré les distances qui la séparent souvent d’eux. Oserait-on dire que le patriarche chez les Warocqué, ce sera, jusqu’à son décès, Mary ?
Et lorsqu’elle décède, à 70 ans, ses funérailles sont grandioses: c’est une bienfaitrice, fervente catholique, qu’on enterre. Elle aura été associée à tous les événements prestigieux de Mariemont, de la visite du Prince Albert aux célébrations du centenaire de la dynastie à la première magistrature de la Commune. Et elle laissera son nom à quelques initiatives philanthropiques menée par Raoul, dont la crèche Mary Warocqué, sur le plateau de Morlanwelz, construite à partir de 1900 et inaugurée le 1er août 1901. Cette crèche a fait l’objet d’un classement comme ensemble architectural avec l’orphelinat et la maternité, oeuvres de l’architecte Ghislain Demoulin.
A suivre,
Bernard Chateau