
Georges

Naturellement, c’est l’aîné, c’est-à-dire Georges, qui prend la relève du père à son décès prématuré, mais sans goût ni talent: ses intérêts vont plutôt à la chasse, aux jeux, aux courses, aux orchidées… et il dépense. Beaucoup.
Mary écrira :«il a positivement une case fermée dans son pauvre cerveau, celle du jugement sain». On voit par là toute l’expression indulgente de l’amour maternelle dont pouvait faire preuve Mary. Mais il est vrai qu’on finissait par craindre la vente du domaine et du château de Mariemont.
Alors, c’est le placement sous tutelle, avant qu’on l’envoie en Chine, s’occuper vaguement de vagues affaires. En réalité, il s’agissait surtout de l’éloigner. Il y meurt à 39 ans, dans le désoeuvrement, qui se nourrit d’une bonne dose d’amertume, d’incompréhension et probablement de tristesse, ses appels restant vains.
Raoul
Sonne ainsi la revanche du cadet, qui lui a racheté entre temps tous ses biens. Mais une fois cela réglé, Raoul manifeste d’abord une vraie dilection pour les affaires… galantes, passant de Tata à Margot, de Lucy à Blanche, de Mathilde à Zoé. Une dilection qui ne l’empêche pas d’être diplômé en droit à 21 ans. De fait, Raoul est doué.




Mais il reste célibataire. C’est qu’il s’est sérieusement amouraché de Berthe Foulon, fille de cocher – pas question de mésalliance: si on couche, si on choie, si on aime, on n’épouse pas. Et Mary désapprouve. Comme elle désapprouve son célibat. Comme elle désapprouve qu’il abandonne la foi – il sera d’ailleurs dignitaire maçonnique.
Mary désapprouve. Mary ne manque pas de lui donner à savoir.

Multimillionnaire à 21 ans, l’atavisme familial a pourtant vite rattrapé Raoul: il sera homme d’affaires, investisseur, capitaliste et paternaliste, brillant bourgmestre et député, libéral progressiste – ce qui ne l’empêchera pas de se montrer soucieux de la préservation de ses privilèges de grand bourgeois, même s’il lui arrive d’adopter personnellement des attitudes parfois plus généreuses que celles qu’il défend, notamment à la Chambre. Mais il s’agit d’abord de ne rien se voir imposer. On aura cette formule pour définir cette synthèse paradoxale de l’époque: « le patronage patriarcal autoritaire ».
Voyages, beaux-arts, collections. Mécénat et philanthropie.
Ce sera donc un châtelain autoritaire ; grand voyageur, collectionneur d’art, de livres, de reliures, d’autographes, de médailles, d’archéologie, d’antiquités, de porcelaines. Et aussi un mécène et un philanthrope.
On lui doit notamment l’Institut commercial des Industriels du Hainaut à Mons, l’école industrielle, l’athénée et le lycée, l’Ecole Normale et l’Ecole d’Application sur le Plateau de Morlanwelz, justement nommé « Plateau de l’Enseignement », ou « Plateau Warocqué« . On ajoute la maternité, la crèche, l’orphelinat, appelé « La Cité de l’Enfance », construits d’après les plans des architectes Ghislain Demoulin (crèche, orphelinat et maternité) et tandis que c’est Paul Dubail qui signaient ceux du lycée et de l’athénée. L’ensemble architectural (crèche, orphelinat et maternité) a été classé le 1er octobre 1992 et comme monument le 14 février 1996.





1. Mons – Institut Warocqué 2.Ancien Institut d’Anatomie et d’Histologie – Institut Warocqué (source inventaire du patrimoine architectural) 3.Morlanwelz – Athénée Provincial du Centre Raoul Warocqué 4. Morlanwelz – Lycée Warocqué 5. Plateau de l’Enseignement – Morlanwelz. Maternité, crèche, orphelinat
L’ULB ne lui est pas étrangère, tant s’en faut. Entre 1892 et 1894, sous l’impulsion du physiologiste Paul Héger, il participe, aux côtés d’autres patrons du monde industriel et financier, comme les Solvay, Fernand Jamar, Georges Brugmann ou Léon Lambert, à la création de la Cité Scientifique du Parc Léopold où d’importants instituts de recherche (en Physiologie, Anatomie, Hygiène, Bactériologie) seront hébergés.
On ajoutera ses nombreuses libéralités, sociales ou économiques.
Il fait notamment ouvrir des chauffoirs à Bruxelles (1891) avec distribution de soupe et de pain, apporte encore sa quote-part généreuse dans l’organisation des expositions universelles de Bruxelles, en 1897 et 1910 et de Charleroi en 1911, où la « marque » Warocqué, bien entendu, s’expose.


Exposition de Charleroi 1911 – pavillon Warocqué
Il allie sa générosité et son goût des arts lorsque, alors que Schaerbeek était un village d’artistes, l’incendie de la maison communale détruit plusieurs grandes œuvres d’art. Raoul Warocqué fait don du « Vase des canaux de Bach », pour que Bruxelles panse ses plaies. Et on voit toujours, avenue Louis Bertrand à Schaerbeek, le fameux « Vase » du sculpteur Godefroid Devreese.

Testateur célibataire sans enfant

A sa mort, en 1917, à 47 ans seulement (on meurt décidément jeune chez les Warocqué, mais peut-être, gourmand autant que gourmet, vit-on trop bien), suite à un cancer du foie, il est la première fortune de Belgique, à la tête de 51 millions de francs-or.
Il veillera à ce que Berthe Foulon, sa maîtresse, ne manque de rien et lui fait un legs.
Mais son héritier sera Léon Guinotte, son ami de 9 ans son cadet, qui se retrouvera ainsi parmi les plus grosses fortunes de Belgique au début du XX° siècle. Avocat, mais aussi industriel et philanthrope, comme lui, il était le fils de Lucien Guinotte, auquel il avait succédé en 1911 comme président et administrateur-délégué des Charbonnages de Mariemont-Bascoup. On aura compris que dans la gestion des Charbonnages, les Guinotte avaient tenu un rôle majeur et qu’ils avaient la pleine confiance des Warocqué qui pouvaient, grâce à ceux, s’abandonner, sereins, aux plaisirs de leurs voyages lointains.
En beau-père de Max Boël, qui épouse sa fille, Anna Guinotte, en 1924, Guinotte contribuera à la création de la fortune de la famille Boël. C’est par héritage déjà qu’elle avait commencé à prendre corps: en 1880, Gustave Boël, grand-père de Max, avait déjà hérité de son côté des actifs de son employeur sans enfants, Ernest Boucquiau. C’est ainsi, d’héritages en mariages, qu’on peut naître dans une famille de parents cultivateurs et être à l’origine d’une des plus grosses fortunes belges. Mais c’est une autre histoire… et il nous faut revenir aux Warocqué.
Parc, domaine et collections à l’Etat

Raoul léguera à l’État son parc, son château et ses collections, à la condition que la destination de ces legs fût conservée. L’Etat en prendra possession le 15 avril 1920.
A travers ce legs, mais aussi à travers ses actions considérables, le nom des Warocqué s’inscrira véritablement dans l’histoire comme celui d’une réelle dynastie d’entrepreneurs, grands bourgeois, paternalistes, philanthropes, mécènes, amoureux des arts. Dans une famille traversée par les drames, ils étaient une forme de synthèse entre rigidité austère et froide détermination, rigueur autoritaire en politique et en affaires, mondanités, sens social sincère et même, pour l’époque et par certains aspects, réel progressisme.
Une dynastie qui apparut et disparut, le temps de quatre générations seulement. C’est le temps qu’il avait fallu pour faire la première première fortune de Belgique.

Bernard Chateau,
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Jusqu’au 20 avril 2025, le Domaine & Musée royal de Mariemont présente « Bouddha. L’expérience du Sensible », une immersion profonde et inédite dans l’univers du bouddhisme.
Une sélection exceptionnelle provenant de toute l’Asie : d’Inde, de Chine, du Japon, de Myanmar, de Thaïlande ou encore de l’Himalaya. Et largement issue des collections du Musée royal de Mariemont, constituées au départ par Raoul Warocqué. Offertes au regard du public pour la première fois depuis 85 ans, elles avaient été placées dans les réserves du Musée, après l’incendie du Château de Mariemont en 1960.

