T’en souviens-tu? T’en souviens-tu de Lolotte?

C’est un tableau de Modigliani, de juin 1917, qu’on a pu admirer au Musée d’Art Moderne de Céret, fraîchement rénové, dans le cadre de l’exposition “Chagall, Modigliani, Soutine & Cie, l’Ecole de Paris (1900-1939)”, organisée avec le Centre Pompidou en 2022.

C’est aussi une chanson de Jacques Bertrand, élément du répertoire populaire carolo. Elle a été remise au goût du jour par l’ami Julos Beaucarne, d’abord, William Dunker ensuite. Mais il se dit que l’édition pré-originale fut publiée dans le Journal de Charleroi du 12 octobre 1865.

Elle commence ainsi:

Au bour del Sambe et pierdu din l’fumière
Voyez Couillet eyet s’clotchi crayeu
C’est là que d’meure em’ matante Dorothée
L’veuve dem’ mononq Adrien du Crosteu
à s’nieuve méson nos avons fait ribote
Diminche passé tout in pindant l’cramya


Au détour de l’excellente série podcast de France Inter que Philippe Collin a consacrée à Napoléon, sous le titre Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais”, on aura pu découvrir que cette chanson trouve son origine dans une chanson patriotique “Te souviens-tu ?”, d’Émile Debraux, sur un air de Joseph-Denis Doche et datant de 1817.

Elle évoque les souvenirs d’un ancien officier de la Grande Armée napoléonienne qui rencontre un vétéran, simple soldat qui mendie son pain et qui jadis lui a sauvé la vie au combat :

Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu’autrefois dans la plaine,
Tu détournas un sabre de mon sein ?
Sous les drapeaux d’une mère chérie,
Tous deux jadis nous avons combattu ;
Je m’en souviens, car je te dois la vie :
Mais, toi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?


Mais il existe une seconde version, en Wallon de Liège, de cette chanson patriotique: Li Pantalon trawé (Le Pantalon troué), écrite par Charles du Vivier de Streel. Elle raconte l’histoire d’un ancien de la Grande Armée – encore – d’origine liégeoise.

Vi sovné-v bin, Linâ, m’chér kamerât,
Dè fameû tin de grand Napoleyon ?
Ki no rivni to stourdi del salât
Ki lè Kôsak no d’nît à kô d’kanon.
N’z avî de mond’, to le piou, tot le bies,
N’z avî l’narenn Céretè le deû ejalé:
Et noz avî d’vin ko traz e traz ples,
Nos pantalon, nos pantalon trawé,

Mais on s’avisera que l’air fit aussi un détour par la musique classique, après être passé par des poèmes de Wilhelm Müller, sous le titre Le Voyage d’hiver. On le retrouve en effet, en 1827, signé Schubert, sous le titre “der lindenbaum”, “le tilleul” , inspiré semble-t-il, par un traditionnel autrichien…  
Friedrich Silcher arrangera le Tilleul en 1846 pour quatre voix d’homme et transformera le lied en… chanson populaire.


L’enfant se satisfera de voir le personnage de Clothilde Delacroix et sa collection, à l’ “école des loisirs”.

Ainsi, il sera dit que le présent est fait de nos passés et de nos souvenirs: “Dji m’sovéré du cramia d’em matante” disait l’un, “Te souviens-tu”, disait un autre, “qu’autrefois dans la plaine, Tu détournas un sabre de mon sein?” et le troisième: “Vi sovné-v bin, Linâ, m’chér kamerât, Dè fameû tin de grand Napoleyon ?”. Pour le quatrième, ne jurant que par le romantique Shubert, murmurera: Au puits, sous l’auvent sombre, Etait un vieux tilleul, J’ai fait, près de son ombre, Grand nombre de rêves, seul...

Mais un autre se taira: il garde seulement en mémoire la belle sur la toile, telle qu’il la voit. Et donc telle qu’elle est, car elle n’est que dans le regard de son admirateur. Il sait qu’il pourra la revoir; cette Lolotte-là porte un chapeau – elle s’appela d’abord “la femme au chapeau” – et quelques fleurs à la boutonnière. Elle est peinte dans les tons marrons et, est parfaitement caractéristique de Modigliani. Elle a un cou long, très long, des yeux grands, pour mieux recevoir l’élan que son admirateur voudra y mettre. Les pommettes rosées et une bouche petite mais d’un rouge puissant sont-elles une réponse? La ravissante Lolotte, c’est Lunia Czeschowska, l’une de ces femmes qui traversèrent fugacement son existence, la confidente de ses longues nuits, et il l’immortalisa en juin 1917.

Acquise en 1936 par l’Etat, l’oeuvre est en dépôt au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Paris) depuis le 09 novembre 1998.

L’année suivante, il peint « Jeune Lolotte », qui figure dans une collection particulière.

Alors, quelle est ou quelles sont les Lolotte qui sont inscrites dans votre coeur? L’enfant lui construit seulement, dans ses petits livres, ses souvenirs, sans le savoir, sans être autrement troublé.

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