L’ours. Dans les Feuillets Carniérois 109 et 110, on a transcrit l’histoire naïve de l’ours. Elle fait partie des contes populaires, transmis oralement et qui ont souvent animé les veillées de nos campagnes. Mais si « l’ours de Carnières » s’est gentiment moqué de la niaiserie d’un Carniérois, nous avons découvert dans un recueil de Pierre-Etienne MAREUSE*, un conte où c’est l’ours qui est naïf. Lisons plutôt.

Il y avait une fois un roi qui possédait un ours méchant. Un jour il fait publier partout dans son royaume qu’il donnerait sa fille en mariage à celui qui consentirait à coucher une nuit avec l’ours. Tous les jeunes gens du village ont essayé de coucher avec l’ours, mais ils ont tous été dévorés. A force, il n’y avait plus personne qui osait y aller.

Le roi était fort en colère. Il fait publier que celui qui pourrait aller coucher une nuit avec l’ours aurait sa fille en mariage. Un jeune homme du village voisin se décide à tenter l’aventure. Il part à la brume, après avoir mis dans sa poche une grosse pelote de ficelle. Il arrive à la cabane de l’ours; il entre, s’assied sur une chaise à côté de la table, et, prenant sa pelote de ficelle, se met à en tordre plusieurs bouts.

L’ours aussitôt vient auprès de lui et lui demande : “Qu’est-ce que tu fais là ?
— Ça ne te regarde pas, lui répond le jeune homme.
– Qu’est-ce que tu fais là ? lui redemande l’ours.
— Ça ne te regarde pas !
— Si tu ne me le dis pas, je te croque sur-le-champ.
— Je ne te le dirai pas.
— Il faut que tu me le dises, ou bien je te croque.
– Eh bien, puisque tu veux le savoir, il faut être bien sage. Ecoute-moi bien : tu n’as qu’à te coucher sur le dos, là, sur la table, et tenir les quatre pattes en l’air.”
L’ours se couche comme il vient d’être dit. Quand il a été couché sur la table, il demande : “Comment est-ce que ça s’appelle, ce jeu-là ?
— Ça s’appelle le jeu de trinqueballe.
— Dépêche-toi de me l’apprendre.” Le jeune homme prend alors sa ficelle, lie solidement les quatre pattes de l’ours; puis, avisant un fort crampon qui se trouvait au plafond, monte sur une chaise pour y fixer le bout de la ficelle. “Apprends-moi le jeu de trinqueballe, lui redit comme ça l’ours.
– Attends, attends, va, je vais te l’apprendre.” En disant cela, le jeune homme s’empare d’un manche à ramon qui se trouvait dans un coin, et se met à frapper à tour de bras sur le rein de l’ours, en disant : “Tiens ! le voilà, le jeu de trinqueballe !
— Apprends-moi le jeu de trinqueballe !” répétait continuellement l’ours.
Alors le jeune homme reprenait son manche à ramon et il lui r’foutait une bonne volée de coups de trique. Et ils ont passé la nuit comme ça.
Le lendemain matin, le roi vient voir comment ça va. Il dit au jeune homme : “Eh bien ! tu vis encore ?
– Eh bien, oui, monsieur le roi, lui répond l’autre, je vis encore. Tenez, voyez, le voilà, votre ours !”
Le roi a été bien surpris. Et il a donné sa fille en mariage au jeune homme.

Conté en patois par Anicet Madou, de Blangy-sur-Ternoise
Edmond EDMOND, “Contes du pays de Saint-Pol”,
Revue des Traditions populaires

1 Pierre-Etienne MAREUSE, Les contes populaires de l’Artois, des Flandres et du Hainaut, s.I., 2014.

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