Les choses parfois se télescopent étonnement. La meilleure manière de les aborder, est d’accepter ces télescopages, comme des clins d’yeux.

Ainsi, 2024 sera, entre autres célébrations, l’année du centenaire du surréalisme, et le 125° anniversaire de la naissance de Maurice Carême. Le point de départ qui a servi à compter ces cents années de surréalisme remonte à la série de tracts intitulée “Correspondance”, de Paul Nougé, en novembre 1924, qui touche au surréalisme bruxellois.

Eglise Saint-Jean-Baptiste - Wavre. Style gothique brabançon (dès 1470-1480).
Eglise Saint-Jean-Baptiste – Wavre. Style gothique brabançon (dès 1470-1480).

Un quart de siècle plus tôt, le 12 Mai 1899, Maurice Carême naissait à Wavre, rue des Fontaines, dans une maison aujourd’hui disparue. Son père, Joseph, est peintre en bâtiment; sa mère, Henriette Art, tient une petite boutique.

Alors, ces deux anniversaires, télescopage dénué de signification ou prétexte à chercher des liens entre surréalisme et Carême ? C’est que ces mondes ne sont pas si étrangers l’un à l’autre : à ses débuts, Maurice Carême est fasciné par les surréalistes. Et certains de ses textes ne sont pas pas étranger à l’esprit surréaliste.

Mais Maurice Carême sera surtout un « poète à part », qui se laisse mal catégoriser.

Et puis, autres coïncidences, et celle-là ne lui aurait pas déplu, on le verra, cet anniversaire échoit, en Belgique, le jour de la Fête des Mères… Sans compter que, Pierre Coran, l’autre poète wallon, aura célébré ses 90 ans, hier. C’était le 11 mai… Lui aussi est instituteur. Lui écrit pour les enfants, et l’assume, après avoir été mis au défi par un de ses élèves, et des débuts où il s’est adressé à un public adulte.

DE WAVRE A ANDERLECHT

Car, en effet, Maurice Carême est Instituteur. C’est ce qui va amener Monsieur Carême à quitter Wavre pour Anderlecht, où il exercera son métier, avant de se consacrer entièrement à la littérature.

Ainsi a-t-il a passé la plus grande partie de sa vie à Anderlecht, à partir de 1918, où il fut affecté. Il y passa d’une chambre modeste à la Chaussée de Mons, au 1266, au 152 de la Rue Wayez et jusqu’à la « Maison Blanche », qu’il a voulue brabançonne, Avenue Nellie Melba, 14, et qu’il a occupée jusqu’à la fin de sa vie.

« La Maison Blanche », Avenue Nellie Melba, 14 à Anderlecht. Image Google Maps
« La Maison Blanche », Avenue Nellie Melba, 14 à Anderlecht. Image Google Maps

Le gouvernement bruxellois a décidé ce jeudi 7 mars 2024 de classer, comme monument, l’ancienne maison du poète et son jardin, construite en 1933 selon les plans de l’architecte Charles Van Elst. Maurice Carême et son père avaient participé activement à sa construction. Le mobilier et les œuvres d’art ne sont pas classés et font l’objet d’un inventaire encadré par Urban.brussels.

Cette maison est aujourd’hui encore et toujours une authentique maison d’écrivain, riche de son patrimoine architectural, ayant préservé intact le cadre de vie. Siège de sa Fondation, elle accueille le visiteur avec une belle œuvre de Roger Somville.

MAURICE CAREME, POETE DES ENFANTS?

Celui qui aura été traduit dans 44 langues aura été pourtant regardé avec une certaine condescendance, considéré par certains comme un « rimeur pour enfants ».

Est-ce en raison de son humilité naturelle? De sa discrétion? De son attache à ses origines et à sa condition? De son métier? Du volume de sa production?

Ou bien faut-il en chercher la raison dans ses sources spontanées d’inspiration, comme l’amour maternel, celui de ses muses, de la nature, de l’enfance et des animaux familiers ?

Ou bien encore dans la forme limpide et légère de son style, qui laisse toute la place à un dictionnaire de mots simples, d’où émerge une naïveté aimable, et dont l’agencement est propice aux émerveillements, synonymes de joies spontanées ou et de douces souvenances ?

Il s’en expliquera :

« Je ne crois pas qu’un écrivain puisse écrire pour les enfants. Il n’y a pas deux sortes de poésie, une pour les enfants et une pour les adultes. (…) J’appelle poésie pour les enfants une poésie faite sans aucune concession à leur âge, une poésie écrite sous la dictée de l’inspiration, mais qui, spontanément est coulée dans un style si direct, si frais qu’elle soit accessible aux enfants. Poésie enfantine ? Que l’on ne s’y trompe pas ! Un poème ne vaut que si une grande personne l’admire autant qu’un enfant. Peu importe les raisons qui commandent cette admiration. Les beaux vers sont riches de tant de possibilités ».

Ailleurs, il dira aussi :

Les mots que j’emploie ?
Tous ceux que ma mère Disait autrefois

Et ailleurs encore :

Je ne dis que ce qui est doux,
Je ne dis que ce qui est bon.
Dieu ne me fit pas d’autre don
Que celui d’un simple biniou.

Il y a pourtant dans son oeuvre une proximité avec un certain Jacques Prévert, et on pense à son recueil “Paroles”, qui fut aussi largement objet de “récitations”, sans qu’il connaisse pourtant le même sort.

C’est vrai que Wavre n’est pas Paris, et que Prévert s’est exprimé au-delà de la poésie, et notamment à travers le cinéma où ses scénarios s’inscrivent dans l’histoire du 7° Art, ce qui change beaucoup: “Les Enfants du Paradis”, “Drôle de Drame”,… mis en scène par les Carné, (Pierre) Prévert, Renoir…  C’est vrai qu’il a été chanté par Montand, Gréco, Vaucaire, Montero, ce qui n’est pas rien. C’est qu’il a manifesté des engagements. C’est vrai qu’il se forme au contact de l’avant-garde artistique dans le quartier de Montparnasse, au contact des Desnos, Aragon, Queneau, Péret, et d’un certain… Breton. C’est vrai que cette effervescence n’est certes pas wavrienne… non plus qu’anderlechtoise…

Mais lorsqu’on évoque une imagination qu’on pourrait résumer par “l’esprit de l’enfance”, de qui parle-t-on? Quand on affirme qu’il “aura toujours à cœur de conserver les qualités qu’il attribue à l’enfance : simplicité, fantaisie et souci de ne pas être « raisonnable » “, de qui parle-t-on? Si devine qui est celui-là qui se définit ainsi: « Passé 7 ans, on est un vieux con. » et puisqu’on n’imagine pas ce mot dans la bouche de Carême, il reste à convenir que c’est bien de Prévert dont il s’agissait. Mais il n’en est pas moins vrai que ces bribes d’identifications vont aussi bien à l’un qu’à l’autre, et établit leur proximité poétique.

LE PRINCE DES POETES

Mais la vérité est aussi que ceux qu’on appelle, au XVI° siècle, «Poètes de la Pléiade», avec Pierre Ronsard et Joachim du Bellay pour icônes, ont eu leurs héritiers avec les «Princes des Poètes». Cette reconnaissance par les pairs, qui suppose qu’un Prince ne succède qu’à un Prince décédé, et où Ronsard fait le lien avec «la Pléiade», a ainsi célébré Verlaine, Mallarmé, Paul Fort et Jules Supervielle, ou Jean Cocteau.

Le Café Procope, Paris, 2 Cr du Commerce Saint-André . Image Google Maps.
Le Café Procope, Paris, 2 Cr du Commerce Saint-André . Image Google Maps.

C’est à lui que succédera Maurice Carême. C’était en 1972, au Café Procope. Le Procope, c’est ce café parisien entourné encore de l’aura de son histoire. Il fut le lieu bouillonnant d’artistes et d’intellectuels et fréquenté notamment au XVIIIe siècle par Voltaire, Diderot et d’Alembert.

Le Café Procope, Paris, 2 Cr du Commerce Saint-André . Image Google Maps.
Le Café Procope, Paris, 2 Cr du Commerce Saint-André . Image Google Maps.

Et c’est au Procope encore que le “Banquet des Poètes” célébra le centenaire de Maurice Carême, le 4 mai 1999.

Maurice Carême laissera, selon la règle, à sa mort, le titre vacant. Il sera pour Léopold Sédar Senghor.

INCONSIDERE ICI ET POURTANT RECONNU AILLEURS

Mais ce n’est pas là, tant s’en faut, la seule reconnaissance de son talent.

Aujourd’hui encore, il est largement enseigné, davantage à l’étranger que chez nous, il est vrai et notamment en France, où ses poèmes sont encore appris par cœur dans les écoles, mais où on ignore tout de ses origines wallonnes. Quant à cette forme de dédain qu’il constate dans son pays, elle ne manquera pas de l’affecter.

Il le confesse sans détour dans une forme de brève autobiographie poétique intitulée « Généalogie »:

Être Maurice, ce n’est rien
Même si c’est le nom d’un Saint.

Dame, être Carême c’est mieux
Mes aïeux n’ont pas froid aux yeux.

Et ma mère, c’était une Art.
Ce n’est certes pas par hasard.

Puis elle s’appelait Henriette
Vous avez la rime à poète.

Et je suis né, comble de veine,
Dans la fraîche rue des Fontaines.

A quoi bon encore insister ?
N’étais-je pas fait pour briller ?

Hélas ! et c’est ce qui me navre,
Nul ne le sait, pas même à Wavre,
Où je suis né.

On a dit qu’il avait été traduit dans 44 langues.
Mais on ne compte pas les musiciens qu’il a pu inspirer et qui ont mis ses textes en musique. Si on s’y aventurait, on en compterait plus de 2000…

Jean Absil, Francis Poulenc, Darius Milhaud ou encore Carl Orff
sont parmi ceux qui ont mis en musique la poésie de Carême, dans les formes les plus sérieuses du classique.

Il y a eu aussi des entreprises dont l’ambition aura été de produire des petites choses, aimables bijoux, à l’image des textes, simples, évidentes d’accès, allant droit au cœur. Ainsi de Julos Beaucarne….

C’est Jaques de Decker qui a sans doute le mieux résumé les paradoxes qui se cristallisent sur la personnalité de Maurice Carême, dans une émission que lui consacrait France Culture:

Maurice Carême a écrit une œuvre importante par son volume, sa diversité méconnue, dans une conception de la poésie et de la place de l’écrivain dans la société qui lui était très personnelle. Il était convaincu qu’il fallait entrer en poésie le plus tôt possible. Il a su conserver toute sa vie la vertu de l’émerveillement, une constante vigilance, et une curiosité. 

L’ATTACHEMENT AUX ORIGINES

Malgré son long éloignement bruxellois, il n’en avait pas moins gardé un fort attachement à Wavre et au Brabant, et c’est à Wavre qu’il est inhumé. Le 20 juillet 1977, il écrivait:

Maurice Carême et Wavre

Je désire être enterré à Wavre – près d’un endroit où j’ai joué ou en tout autre endroit que le conseil communal voudra bien me réserver – mais pas au cimetière. (…) j’ai d’ailleurs déclaré à la fin de mon grand poème « Brabant »
Puissé-je, quand la mort me croisera les mains
Tandis que mon esprit rejoindra tes collines
Reposer à jamais sur ta large poitrine
Comme un enfant qui dort, oublié dans le foin.

J’aimerais d’ailleurs que l’on grave ces vers sur ma pierre tombale.

Son décès survint moins de six mois plus tard, le 13 janvier 1978. Et c’est un mausolée qui le protège, au 111, avenue de Cherémont, à l’extérieur du cimetière où figurent en effet ces quatre vers. Un « îlot du poète », lieu d’hommage, a pris place dans un parking, rue des Fontaines, où quatre vers sont également gravés dans la pierre:

Ah!, ris tout haut, mon coeur, ris à en perdre haleine

Oublierais-tu que tu es né au mois de mai

Quand Wavre, enrubannée de soleil sonnaillait

Plus blanche que muguet dans la rue des Fontaines?

On hésitera pourtant à inviter l’amateur à faire le voyage.

Paris, Promenade Maurice Carême. Image Google Maps
Paris, Promenade Maurice Carême. Image Google Maps

On retiendra plutôt que rues, boulevards et avenues lui rendent hommage, que des écoles portent son nom. Et qu’une belle promenade porte son nom, sur l’île de la Cité à Paris, le long de la Seine.

Et on replongera dans son oeuvre.

Non dénué d’humour, on réécoutera son « heure du crime ».

On relira « le chat et le soleil » ou encore « l’oiseau », iconiques de son œuvre.

Le vin, c’est de la poésie en bouteille
Le vin, c’est de la poésie en bouteille

Le poète, pour seul hommage à l’occasion des 125 ans de sa naissance, vit quelques vitrines des commerces de sa ville nature se garnir de ses mots aimables. Retenons ceux-ci, à la devanture d’un bar à vins, puisque « Le vin, c’est de la poésie en bouteille »  selon Rober Louis Balfour Stevenson, auteur, écrivain et grand voyageur:

“Quand les chevaux rentrent très tard, le fermier le sait pas pourquoi. Le long des routes infinies il les laisse avidement boire aux fontaines bleues de la nuit”.

On ne sait si les fontaines bleues de la nuit laissaient alors couler l’eau claire, ou le produit du travail de Noé, père de la vigne et du vin.


Et moi, je me souviens plus simplement du recueil qu’il me dédicaça, un jour.

Bernard Chateau,

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