Le cercle catholique s’est établi dans une maison occupant tout un côté de la Place (le côté Nord) qui a son histoire. Au XVIII® siècle c’était une ferme brasserie ayant appartenu aux Delval.

Au début du XIX siècle, elle était devenue la propriété de M. Norbert DUVIVIER, plus connu à Carnières sous le nom de “‘Norbert Dgilles” qui y installa un commerce en gros de clous. A ce moment, il y avait encore au village plus de cent petites forges de cloutiers, fonctionnant soit toute l’année soit l’hiver seulement. Les ouvriers devaient aller relivrer, c’est-à-dire vendre leurs produits fabriqués et acheter du fer à Fontaine-l’Evêque qui était alors un centre du commerce de la clouterie. C’était tous les mois un voyage fatiguant et qui faisait perdre du temps. Quand le magasin de M. Duvivier fut établi, ils prirent l’habitude de venir vendre leurs clous en son “paccus” et de s’y approvisionner de bottes de fer. Les cloutiers de Morlanwelz et d’autres localités avoisinantes suivirent cet exemple.

En peu d’années, les affaires de Gilles Duvivier prospérèrent. Il étendit son commerce à la plus grande partie de la Belgique et du Nord de la France, notamment avec les places de Bruxelles, Gand, Anvers. Il faut bien le reconnaître, M. Duvivier n’était pas seulement un débrouillard, mais c’était un honnête homme, loyal en affaire et avec cela gai, bon vivant, aimant la plaisanterie et la bonne chère.

Mon oncle maternel, Jean-François DARTEVELLE, qui fut à son service comme magasinier, factotum, ne pouvait assez louer son ancien patron et il m’en a raconté des traits curieux qui étaient tout à son éloge. Il y avait là une curieuse physionomie de gros commerçant rural qui mériterait d’être rappelée autrement que par les quelques lignes que je jette ici sur le papier. Par exemple, le père Gilles ne liait pas ses chiens avec des saucisses, il était économe mais charitable et un pauvre qui allait frapper à sa porte était sûr de ne pas retourner les mains vides, mais l’aumône s’accompagnait nécessairement d’une plaisanterie, et, si le cas le comportait, d’une leçon ou de conseils donnés avec une certaine brusquerie narquoise. Dans son rôle charitable il était aidé de tout cœur par sa femme, une LARSIMONT de Trazegnies, et par sa fille Alexandrine, tout le portrait de son père au physique et au moral. (Élle épousa en 28 M. Nicolas DEFER qui devint bourgmestre de la commune de Houdeng-Goegnies).

Par exemple, lorsque venait, fin août la Kermesse de Carnières, il y avait branle-bas dans la demeure du bout de la Place. Monsieur Duvivier y invitait les personnes avec qui il était en bonnes et suivies relations d’affaires et surtout leurs Dames et Demoiselles. lout ce monde était hébergé dans la maison hospitalière les trois jours que durait la ducasse. Madame Duvivier et sa fille Alexandrine, auxquelles se joignait ma mère, Lucie Dartevelde, avaient fort à faire pour fristouiller les grands et les petits mets, soigner la cuitée de tartes, de ces bonnes tartes wallonnes que louaient les invités autant flamands que wallons.

Et vers la vesprée du dimanche, s’organisait le bal. Sous l’antique marronnier qui décorait ce côté de la place, on avait bien vite fait à laide de quelques sapins et de planches de former un kiosque — c’est trop beau — disons un peu plus exactement un pupitre – pour l’orchestre composé de violoneux et d’un ou deux instruments d’harmonie. Les danses s engageaient sans aucun taste : nos paysans dansaient aussi bien avec leurs maîtresses qu’avec les belles Dames invitées de Monsieur Duvivier.

Quand Monsieur Duvivier qui ouvrait le bal d’habitude ne put plus le faire à cause de ses infirmités, il se faisait transporter sur un fauteuil au devant de sa demeure et il ouvrait les danses en chantant : “Mesdemoiselles, voulez-vous danser, vlà l’bastrinque qui va commincer (bis)”. On entourait le bon vieux qui plaisantait, racontait des drôleries qui taisaient rire aux larmes.

Norbert Gilles était gros, énorme même. Et jusqu’à un âge très avancé, il avait un robuste appétit, se contentant à peine de ses cinq ou six repas par jour. Il faisait le plus curieux disparate avec son fils Maximilien, long, maigre, toujours rasé de frais, ce qui ne lui donnait pas mal l’air d’un anglais ou d’un domestique de bonne maison.

Monsieur Norbert Duvivier est mort le 20 novembre 1869 à l’âge de 87 ans. Dans les dernières années de sa vie, on l’avait fait poser devant Monsieur Robert de Trazegnies, un peintre de talent, surtout dans le portrait et dont, selon nous, on ne parle plus assez. C’était une véritable illustration de l’art wallon. Qu’est devenue l’œuvre d’art qu’il consacra au père Duvivier ?

Après sa mort, son fils Maximilien habita encore quelques temps la maison paternelle, mais comme il était célibataire, isolé, il alla habiter auprès de Madame Defer, sa sœur, qui avait perdu son mari et qui continuait a habiter le magnifique château que les époux avaient fait bâtir le long de la route d’Houdeng-Goegnies au Rœulx.

Madame Defer étant morte, Maximilien alla résider à Bruxelles dans une maison de la rue Mercelis où il recueillit son ancienne servante, Eugénie Stassignon, originaire, selon ce que je m’en rappelle de Neufvilles. Il y est mort en 1897 laissant un testament où il faisait des legs à la commune et au bureau de bienfaisance de Carnières. Il destinait une assez forte somme à la création d’un hôpital-asile pour les vieilles personnes de Carnières. Mais dans ses derniers moments, il fut fort entouré et conseillé par M. Caudron, curé de Carnières, qui

parvint à détourner ses intentions au bénéfice d’une œuvre cléricale. Ses fonds servirent à édifier l’hospice-couvent qui s’élève au bout de la Place de Carnières, presqu’à l’entrée du chemin du Moulin ou pavé de Carnières à Mont-Ste- Aldegonde.

La commune de Carnières voulant honorer la mémoire de M. Maximilien Duvivier a donné le nom de “rue Duvivier” à la rue Neuve, voie nouvelle créée à côté de la nouvelle église et qui mène de la place au hameau des Waressaix.




La maison de M. Norbert Duvivier a été vendue. Elle fut affectée d’abord à un hôtel-pensionnat avec magasins pour les ouvriers du charbonnage des Français.
Quand Monsieur le curé VANDAM fut expulsé de sa cure, il transféra son presbytère dans ce bâtiment, croyons-nous, avec les fonds de Melle Catherine LORENT, une partie du bâtiment fut affecté au logement du vicaire. Quand toutes choses furent remises en l’état ancien et que le curé BOULART reprit possession de l’ancienne cure, le vicaire conserva là son habitation. La partie Est du bâtiment fut transformée et servit à l’établissement du Cercle catholique et à une école de garçons.

Nous allions oublier un détail : c’est dans la dite maison que mourut le curé VANDAM en 1888 et c’est de là que son corps partit, non sans difficultés – il était fort et puissant – pour sa dernière demeure.

Il avait eu pour successeur à la paroisse de Carnières M. Lucien BOULARD, de Dour.

Gonzalès Decamps

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