Les fêtes de la famille avaient leurs cérémonies particulières. Les baptêmes et surtout les enterrements étaient célébrés, mieux encore qu’aujourd’hui, par de copieuses libations aux cabarets.
A l’occasion des baptêmes, on jetait aux enfants des petits bonbons en pâte sucrée. L’usage de jeter des liards ou des cens (pièces de deux centimes) ne vint que bien longtemps après.
Aux cérémonies des funérailles, le luja (cercueil) était porté par les voisins, par les jeunes filles si c’était un jeune homme mort, par des garçons si c’était une jeune fille, contrairement à la coutume ordinaire.
Quand un mariage avait lieu, on jonchait de fleurs, les chemins préalablement ensablés, on dressait de nombreux arcs de feuillages et, toute la journée, des «campes» explosaient.
Les nouveaux époux faisaient un tour du village et des cabarets. A leur rentrée au coron (hameau), ils étaient arrêtés par des ficelles tendues au travers du chemin et ne pouvaient passer outre qu’en payant un tribut qui se dépensait à l’estaminet. En rentrant chez elle, la mariée embrassait ses beaux-parents, qui lui présentaient ensuite, comme don, un balai d’épines.
Y avait-il là un avertissement des chagrins auxquels elle venait de se soumettre en engageant sa foi ?
Les enfants avaient aussi leur fête. De très ancienne date, ils gardaient coutume de solenniser saint Grégoire, leur patron. Un office religieux les réunissait; ils s’y rendaient, précédés de leur mère, en chantant un refrain bien ancien et que l’on répétait encore à l’époque où le tirage au sort n’avait pas été aboli :
« Et non Carnières n’est nie co mort
Car il vit encore
Car il vit encore… »
Avant la Révolution de 1789, les élèves apportaient aussi au magister, avec le prix de leur écolage, un cadeau en nature. L’après-midi, ils parcouraient le village et s’éparpillaient dans les champs et dans les bois pour y ramasser des fleurs. Pour ce motif, ce jour était appelé Saint-Grégoire fleuri.
Les lourds travaux auxquels les paysans s’astreignaient, le défaut de distractions et de nouveautés, avaient créé le désir de se réunir fréquemment.
Comme en d’autres localités, la récolte du houblon donnait lieu à certains usages. Quand il était mûr, on coupait la plante au pied, on arrachait la perche à la main ou à l’aide d’une espèce de levier emmanché sur bois et appelé tire-pierces. Avec la main, on poussait du bas vers le haut les tiges ou cordes de manière à ne pas abimer les cônes ou cloquettes (fleurs) et on les portait au local où avait lieu l’espiage, opération qui s’accomplissait soit sur l’aire d’une grange, soit dans la pièce principale de la mai-son. Les spieurs ou spieuses — les femmes et les jeunes filles dominaient — étaient assises en ligne et cueillaient les cloquettes qu’elles jetaient à côté sur un mont que l’on nettoyait ensuite des feuilles qui s’étaient mélangées à la récolte. C’était selon l’expression locale, faire le tri ou le paillet.
L’espiage n’obligeait pas à de grands frais car tous les voisins et voisines s’y employaient. Quand on avait dit : « On espie chez Untel », ils y accouraient comme à une fête. D’ailleurs, de commun accord on établissait une sorte de rôle dans les habitations du hameau. Un jour c’était chez un tel, un jour chez un autre. Cette opération commençait d’ordinaire « à la brune» et se continuait le soir, à la lueur d’un crachet ou crabot appendu au mur. Inutile de dire que dans cette assemblée, on était loin de garder le silence; on y parlait de tout, des événements du village; on y défilait la chronique scandaleuse du lieu, on épluchait le dernier sermon du curé. On contait aussi des histoires, des légendes et de temps en temps, on chantait des vieilles chansons. A certain moment, la ménagère faisait distribuer aux femmes de grandes jattes (tasses) de café et aux hommes des gouttes de genièvre. Et à une heure avancée, on retournait chez soi en s’éclairant d’une lanterne. Rien n’était plus curieux que d’apercevoir dans la nuit les points lumineux, falots mobiles qui perçaient de tous côtés les ténèbres d’une nuit noire.
Mais on n’attendait pas la récolte du houblon pour organiser des réunions noc- turnes dans quelque maison du hameau. On les multipliait à plaisir et elles se prolongeaient maintes fois très avant dans la nuit. Les femmes devisaient et filaient, les hommes buvaient et jouaient aux cartes. Parfois un quisterneu (ménestrier) quelconque égayait la compagnie des sons criards de son crin-crin.
Ces réunions, générales dans presque tous les villages du Hainaut, s’appelaient scriennes, ravauderies; elles furent au XVIlle siècle, l’occasion de tant de scandales, de violences et de désordres qu’elles furent sévèrement défendues par le curé et le gouvernement autrichien. Malgré ces prohibitions, elles subsistèrent jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.
Ces quelques vestiges des traditions du passé pourront donner une légère idée du caractère des gens de Carnières, tout au moins depuis le milieu du dix-septième siècle. Cette époque était en progrès car si l’on consulte les rares documents qui nous sont restés sur la vie intime de ses habitants aux époques antérieures, on acquiert une assez triste opinion de leur mentalité.
L’ivrognerie, la débauche, les violences, les assassinats qui en sont le résultat étaient habituels. Les troubles et les guerres du XVIe et du XVIle siècles ne contribuaient pas peu à encourager ces attentats. Déjà au XIVe siècle, nous voyons le prévost de Binche, Gérard d’Obies, envoyer fréquemment à Carnières et autres lieux ses valets « pour faire crier et ban faire que nul ne fust si hardis qu’il portast armures ne bastons diffensaulx ».
La croyance aux sorcières était invétérée chez la plupart des habitants; de là des dissensions, des rancunes qui se terminaient souvent par l’effusion du sang. C’est peut-être pour cela que le dicton populaire « Carnières pays de sorcières» se répète encore dans les villages voisins. En tout cas, cette croyance provoqua des procès criminels que nous rappelons plus loin.
Il est heureux de constater que depuis un siècle, ces habitudes de violence ont disparu et qu’avec sa population nombreuse, Carnières ne possède qu’un actif judiciaire peu important. On peut même certifier que de toutes les communes à deux lieues à la ronde elle est actuellement celle dont la population est la plus calme, la plus paisible.
Les fêtes générales étaient nombreuses. Le dimanche dit du « feureu », c’est-à-dire celui qui précède de quinze jours celui de la Laetare, on allumait des feux de joie. Les danses qui accompagnaient cet usage, dernier reste des superstitions païennes, faisaient la joie des jeunes gens et des enfants. Vers la fin du XVIIIe siècle, les assistants se disputaient les tisons de ce foyer, ils les rapportaient chez eux et les enterraient près du seuil de leurs maisons dans la croyance qu’ils préservaient l’habitation des maléfices.
Le premier mai, on plantait devant certaines demeures le « mai » traditionnel tandis qu’on barbouillait méchamment – cela s’appelait faire des mahomets — les murs d’autres habitations dont les habitants déplaisaient.
Le mardi de la Semaine Sainte, les pauvres se rendaient devant les maisons des fermiers et des personnes aisées qui leur abandonnaient les reliefs du dernier repas gras du Carême. A Colarmont et à Morlanwelz où cette coutume subsistait encore à l’époque de la Révolution de 1830, les pauvres chantaient les couplets suivants :
« Saint Panchard a-t-il deîné ?
Si d’in reste vo m’in doun’rez.
Taillez gras et taillez gros,
Tout est bon pou mett à m’saclot. »
Avant le régime hollandais, le Carnaval était fêté principalement par les plaisirs de la table. Dans la suite, à l’imitation de ce qui se passait en ville, on organisa des mascarades et il y eut des bals parés, masqués et travestis.
Vers 1870, à l’instar de Binche, il se forma des sociétés de Gilles, Gilles à barettes et Gilles à chapeaux. Actuellement, le dimanche de la Laetare constitue le jour principal des divertissements carnavalesques et il est fêté par toute la population. Les plaisirs de la table y ont une large part, des bals s’organisent partout, des groupes costumés circulent, accompagnés d’un orchestre, dans les rues du village; les Gilles, aux sons de leurs grelots, exécutent à qui mieux-mieux leurs pas et leurs sarabandes et l’après-midi un cortège, qui se termine par un rondeau général sur la Grand-Place, jette une animation peu coutumière et attire beaucoup d’étrangers.
Depuis un temps très ancien, deux kermesses ou ducasses s’organisent à Carnières, l’une dite de Saint-Hilaire et l’autre dénommée Grande ducasse et qui a lieu le dernier dimanche d’août. La première s’établit à l’occasion du patron de la paroisse. Ce jour-là, de nombreux pèlerins venaient visiter l’église Saint-Hilaire. Au XVIIe siècle, cette fête était aussi l’occasion d’une foire ou marché octroyée par les anciens seigneurs. La seconde, qui est la fête communale proprement dite était solennisée par une grande procession. Vers 1850, cette cérémonie religieuse était annoncée par le tir des campes ; des plantations de rameaux verts ornaient les rues et presque toutes les maisons arboraient des drapeaux et des oriflammes.
Aux XVIIe et XVIlle siècles, un bal et un souper auxquels assistaient le bailli, le mayeur, les échevins et quelquefois le seigneur, terminait la journée. Le seigneur ou à son défaut le bailli, avait droit à la première danse. On dansait à cette époque la sarabande et le rondeau. Isolément une danse se pratiquait qui soumettait l’exécutant à pas mal de contorsions et s’appelait le rigodon. L’expression « fée s’rigodon» pour signifier s’amuser en dansant ou en sautant est toujours d’usage. Un autre exercice chorégraphique avait également beaucoup de faveur; il impliquait, un peu à la manière russe, des ploiements sur les genoux et des extensions, l’une après l’autre, de chaque jambe. Cette gymnastique à laquelle on donnait le nom d’ « assauts» a subsisté. En langage vulgaire, on dit : « faire es’ pas ».
Les fêtes dansantes de la kermesse ne manquaient d’ailleurs pas d’entrain; elles étaient même, très souvent, fréquentées par les fonctionnaires attachés à la Maison royale de Mariemont.
A côté de ces festivités, nous noterons la fête de Saint-Eloi déjà célébrée au XVIe siècle par les cloutiers. Vers la fin du XVIlle siècle, alors que l’industrie charbonnière prenait un grand essor, on fêta Sainte-Barbe. L’une et l’autre sont encore observées.
Ajoutons ici que l’habitude prise actuellement par chaque hameau, voire beaucoup de quartiers, d’organiser des ducasses a grandement multiplié le nombre des réjouissances locales.
A.M. MARRÉ-MULS.