« La vie n’offrait jadis qu’un caractère bien peu intellectuel. Pas de lectures, au- cune manifestation d’art, nul effort scientifique. Cela se conçoit. L’instruction était peu répandue, le goût de s’instruire n’existait pas et les livres coûtaient très cher. Cependant, dès le commencement du XVIle siècle, cet état de choses changea. Un plus grand nombre d’enfants fréquenta l’école, des marchands ambulants vendirent les livres à un meilleur prix. Et ainsi l’on se mit à lire la Vie des Saints, quelques récits de voyages et, parfois les Fables de La Fontaine.

En revanche, tout ce qui avait un caractère merveilleux séduisait la population. La croyance aux sorcières, par exemple, était invétérée. Elle provoqua dans le passé de nombreux procès criminels et, dans le cours des XVIe et XVIle siècles, nous voyons les curés de Carnières intervenir fréquemment dans les procès de sorcellerie, pour l’exorcisme, et comme experts dans les faits constitutifs de sorcellerie.

La disparition des anciennes archives seigneuriales et de celles de la prévôté de Binche ne nous permet de rapporter sur ces tristes annales judiciaires que quelques détails (voir aussi Feuillet Carniérois n° 10).

En 1566, l’officier de la prévôté de Binche poursuivait Jeanne Claes à Carnières, au « Péroul » (Pairois). Cette femme emprisonnée à Binche était accusée de vols d’église à Anderlues et Quaregnon, d’avoir fait périr par ses maléfices des enfants et des bestiaux et d’avoir assisté son mari, Nicaise Carpentier dit « Grosse Teste» dans le meurtre d’un nommé Dardenne, herdier de Carnières, crime pour lequel ce Nicaise avait été exécuté par la corde à Trazegnies où il s’était réfugié. A cause de son grand âge, Jeanne ne fut condamnée le 31 mai 1566 qu’à être bannie des terres de la prévôté de Binche.

En 1602, c’est Jeanne Rocqz, habitant Carnières, qui fut condamnée pour sorcellerie a être bannie des terres des seigneurs de Carnières.

Ce sont là les seules mentions que nous aient conservées quelques documents de l’histoire judiciaire du village mais il est permis de supposer que de telles condamnations n’étaient pas rares.

Si on ne brûle plus de sorcières à Carnières, la croyance à la sorcellerie n’y a pas encore entièrement disparu. Il est fréquent de voir des ménages brouillés et des inimitiés naître à cause d’accusations ridicules ce maléfices; ce qui ne peut être que l’effet de l’ignorance et de la mauvaise foi.

Au demeurant, de nombreuses superstitions et croyances dans le merveilleux sont encore vivaces. A titre documentaire, nous rappelons quelques-unes des plus répandues.

— Un chien hurle-t-il d’une façon sinistre et singulièrement prolongée? C’est que non loin il y a un trépassé. C’est aussi le présage d’une mort prochaine.
— Si en cours de route l’on trouve un silex percé, il faut le garder, c’est une amulette qui porte bonheur. Un fer à cheval rencontré dans les mêmes conditions, constitue un talisman qui donne la chance au jeu.
— Lorsqu’un grillon s’installe dans la cheminée, c’est un signe de parfait bonheur.
— Au moment où une vache est en train de vêler, il convient de placer dans un coffre une chandelle allumée. Si celle-ci s’éteint, un grand malheur menace de s’abattre sur la maison. Dans le cas contraire, on peut être assuré d’une longue félicité.
— Trois choses portent malheur : renverser une salière, placer des couteaux en croix et chanter des airs liturgiques, en hiver, à la tombée du soir.
– Rien n’est plus néfaste que de repiquer du persil; ce faisant, on fait mourir quelque proche parent.
— Avant de participer à quelque réunion où le hasard doit décider de choses importantes, la prudence exige ce sortir par la fenêtre, le dos le premier. A l’époque du tirage au sort, cela se pratiquait communément.
— Le chat est un animal merveilleux ; quand il fait son ron ron, il récite des priè- res diaboliques.
– Pour rencontrer le diable, il faut prendre avec soi une poule complètement noire et se trouver au douzième coup de minuit là où se coupent bien en croix deux chemins isolés.
— Si une sorcière rend visite à un malade et lui présente une fleur, celle-ci doit être brûlée le plus vite possible.
— C’est en se rendant en pèlerinage à Saint-Hubert que l’on peut détruire l’effet d’un mauvais sort. En l’occurrence, l’assistance du curé est parfois nécessaire.
– Un moyen efficace de se garder des maléfices d’une sorcière, c’est de déposer un balai en travers de la porte d’entrée du logis.
— Une coutume d’autrefois, presque abanconnée aujourd’hui, consiste à mettre du sel dans la gueule du veau nouveau-né. On procède ainsi à son baptême. Cet esprit superstitieux devait donner lieu à de nombreuses légendes. Beaucoup sont disparues. Parmi celles qui subsistent, nous croyons intéressant de noter les quatre ci-après..

Le Hulau

Il existe au Pairois, au faîte d’un tienne, une ferme qu’on désignait sous le nom de ferme du Hulau. Hulau signifie le revenant ou bien encore celui qui hurle à la mort. L’endroit fut ainsi dénommé à cause d’un événement tragique dont il fut le théâtre.

Vers 1720, deux frères qui vivaient humblement mais étaient en fait très riches, furent assassinés sauvagement. On ne trouva jamais le ou les responsables du crime et depuis, chaque nuit, des bruits de chaînes, des gémissements et des cris lamentables retentissaient dans la maison. De plus, deux formes blanches, espèces de fantômes, se promenaient aux alentours de la maison, pendant les nuits bien noires. On disait que c’étaient les deux victimes qui venaient réclamer justice.

Les revenants d’Escosson.

Le château d’Escosson, à la limite de Carnières, appartenait à la famille célèbre des de Saint Aldegonde. Détruit vraisemblablement au XVie siècle, des ruines en subsistèrent jusque vers 1815. L’endroit où s’élevait le castel, sur la campagne de ce nom, se prolonge sur le territoire de Carnières par le Champ de la Rosière; il offre un coup d’œil des plus pittoresques, tant par la présence de riants bosquets que par les gorges encaissées et creusées à flanc de colline. Depuis plus de quatre siècles, ce lieu a toujours été mal famé à cause de la légende qui s’y rattache et que voici.

A l’époque des guerres de religion, un trésor important fut caché dans les environs du château; trois officiers assermentés furent chargés ce sa garde mais pour ne pas attirer l’attention, ils revêtirent l’habit des bergers.

Un beau jour, on ne sait plus très bien à la suite de quelles circonstances, ils furent trahis par un véritable berger, habitant de Colarmont et livrés à la soldatesque espagnole.

Emprisonnés et sommés de livrer les sacs d’or, ils préférèrent la mort à la violation de leur serment; aussi, sans plus de procès, furent-ils pendus haut et court.

Cet acte ne servit guère aux Espagnols car toutes les recherches qu’ils entreprirent sur le champ pour découvrir cette somme qu’ils devinaient très élevée, demeurèrent sans résultat. Mais depuis lors, de temps à autre, lorsque la ténèbre a tout envahi, l’on aperçoit trois revenants qui marchent à une certaine distance l’un de l’autre et qui descendent vers le ruisseau de la Haye. Ce sont les gardiens du trésor.

Jusque vers 1900, cette croyance en l’existence de beaucoup d’or caché demeura fortement ancrée dans l’esprit du peuple. En tout cas depuis le XVIe siècle, elle donna lieu à pas mal de fouilles, lesquelles, faut-il l’ajouter, furent toujours faites sans résultat.

La Fontaine des Biscayens.

On retrouve à Carnières et cans les environs, des dénominations telles que celles-ci : Buscaïe, Fontaine des Biscaïes ou Buscaiens ou Viscaiens ou encore, Bois de la Viscagne.

La Fontaine des Buscaiens, située dans le Bois des Vallées à la limite de Carnières, s’entourait encore vers 1880, d’excavations que l’on disait avoir été les demeures d’une troupe de Biscaiens – espèces de gitanos ou zingaris — qui passèrent plusieurs fois dans le village.

La légende rapporte que ces nomades avaient une origine très ancienne, antérieure à l’ère chrétienne, que leur race depuis des siècles ne s’était jamais mélangée, qu’ils provenaient du pays des Rois Mages, qu’ils savaient lire dans les astres et les lignes de la main et qu’ils possédaient aussi des moyens merveilleux pour la guérison de beaucoup de maladies. Elle ajoute que, dans ces troupes, on n’apercevait que des hommes, les femmes demeurant enfermées dans des chariots ou dans des demeures souterraines où elles s’occupaient, la nuit, de repasser le linge que leurs maris allaient voler pendant le jour dans les demeures.

Le Sabbat de Montifaux.

Le Sabbat, c’est-à-dire la réunion nocturne des sorciers et des sorcières sous la présidence de Satan, avait lieu au tienne de Montifaux, à Collarmont (actuelle rue de la Case).

Des gens du pays prétendirent y avoir vu, à l’heure de minuit, des êtres étranges diaboliques et grimaçants, des lueurs rougeâtres ainsi que des théories de vieilles femmes armées de balais.

Au XVle siècle, le lieu était considéré comme maudit et on ne passait auprès, même le jour, qu’en se signant. Une chose extraordinaire avait accrédité cette croyance. A proximité existait une carrière de pierres servant à la bâtisse. Deux jeunes gens, étrangers au village, qui au cours d’une nuit obscure s’y étaient aventurés par mégarde, disparurent là sans laisser de traces. Dans la suite, tous les moyens propices furent employés pour faire cesser ces assemblées immondes. Cela dura longtemps. Un beau jour, de guerre lasse, Satan et ses adeptes durent s’en aller autre part pour tenir réunion mais en partant, ils se vengèrent à leur façon et ils peuplèrent l’endroit de serpents venimeux.

Il est de fait que pendant la première moitié du XIXe siècle, la vipère et surtout la couleuvre se rencontraient encore à Montifaux et il est probable que la présence de ces reptiles, étant donné la tendance des esprits d’alors à tout expliquer par le merveilleux, aura contribué à perpétuer cette légende. »

Voici arrivée la fin de ces notes folkloriques. On en gardera le souvenir d’un passé mouvementé, de gens vivant simplement mais aussi bien souvent raisonnablement… Mélancolie du passé ou satisfaction du progrès, c’est à vous de choisir…


A.M. MARRÉ-MULS.

Accueil » NOTES FOLKLORIQUES : CROYANCES POPULAIRES ET SORCELLERIE