Le 13 octobre de cette année 2009 a vu le 100e anniversaire de l’exécution à Barcelone de Francisco Ferrer. Notre commune étant l’une des quelques septante communes de Wallonie dont une rue porte son nom, il n’est pas inintéressant de se pencher sur quelques aspects de l’histoire de Carnières et d’expliquer le lien entre cette rue du hameau des Trieux et le pédagogue et libre-penseur espagnol.

LES TRIEUX

De tous les hameaux du village, celui des Trieux est l’un de ceux qui connurent un accroissement démographique des plus spectaculaires durant la seconde moitié du 19e siècle. La proximité et l’extension des charbonnages du Placard et de Sainte-Henriette expliquent en grande partie cela.
Dès lors, il n’est pas étonnant que le 22 mars 1865, le Conseil Communal décide d’y établir une école primaire provisoire pour les garçons en attendant la construction d’un bâtiment adéquat. Cette école compte le 17 juin de la même année 62 enfants pauvres et 24 élèves solvables. Elle permettait de soulager l’école communale mixte du Centre, établie jusqu’en 1878 dans des locaux de la Maison Communale et qui comportait déjà au début des années 1860 environ 70 enfants.
Le premier instituteur est Louis Delacolette, âgé de 24 ans, originaire de Dochamps (province de Luxembourg), issu de l’Ecole Normale de Nivelles et qui avait été en poste comme sous-instituteur à l’école communale du Centre.
Il faudra attendre 1870 pour voir la nouvelle école des Trieux ouvrir ses portes, pratiquement au même endroit que l’école actuelle. Dès l’année suivante, un sous-instituteur est nommé pour seconder le premier enseignant.
Le 10 juillet 1873, le Conseil Communal décide la construction d’une école des filles (avec logement de l’institutrice) aux Trieux.
En attendant son occupation qui ne sera effective que le 1er octobre 1875, un établissement provisoire sera utilisé à proximité de la Place Verte. Il était donc logique qu’une nouvelle artère soit créée afin que ces deux écoles soient desservies par une voirie correcte et aussi pour permettre la poursuite de l’urbanisation du hameau des Trieux.
L’augmentation de la population des Trieux fut telle que, par exemple, le nombre de garçons inscrits en 1878 à l’école des Trieux était de 189 pour 136 au Centre ! Il en sera de même en 1907: 208 garçons aux Trieux et 192 au Centre.
D’après Anne-Marie Marré, la rue Ferrer, initialement appelée rue des Ecoles, fut
ouverte peu après 1882.
Malgré la proximité de la rue Royale, cette rue vit de nombreux commerces s’établir : boucheries, épiceries, etc,…
La rue fut équipée du gaz en 1909, ainsi que nous l’apprend le procès-verbal du Conseil Communal du 6 septembre 1909. Cela permit l’éclairage au gaz de l’école des garçons au lieu d’un éclairage au pétrole.
Un mois plus tard, en Espagne, un événement n’ayant que peu de rapport direct avec la vie quotidienne des Carniérois se produisit : l’exécution de Francisco Ferrer le 13 octobre.

FRANCISCO FERRER

Ce Catalan, né en 1859, avait été successivement employé dans un commerce de draps de Barcelone, contrôleur à la Compagnie des Chemins de fer du Nord de l’Espagne et professeur d’espagnol à Paris.
Né dans une famille de paysans aisés, très attachés à l’Eglise catholique et à la monarchie, son passage dans le commerce de draps va marquer un tournant dans ses convictions philosophiques, puisque son patron, un libre-penseur, va l’initier aux idées nouvelles, progressistes et républicaines.
C’est pourquoi en 1886, il prend part à un mouvement destiné à renverver la monarchie qui se soldera par un échec; dès lors, Francisco Ferrer est contraint à l’exil à Paris où il devient professeur d’espagnol.
Durant cet exil, il acquiert la conviction que l’action violente est une erreur et que rien ne vaut l’éducation pour faire évoluer un peuple maintenu dans l’ignorance, c’est le cas de l’Espagne à l’époque.
En 1901, il hérite d’une petite fortune de l’une de ses élèves, Ernestine Meunier, ce qui va lui permettre d’organiser des écoles rationalistes, c.à.d dans lesquelles toutes les connaissances doivent être vérifiables par l’observation et l’expérimentation.
La première ouvre ses portes à Barcelone en 1901. Francisco Ferrer l’appellera I’« Ecole Moderne ». Laïque et mixte, elle est ouverte à tous, sans distinction de classe, d’origine ou de religion. Elle n’est ni subventionnée par l’Etat, ni gratuite : l’inscription se fait en fonction des moyens des familles.
Bientôt, d’autres écoles semblables ouvrent leurs portes, non seulement en Espagne, mais également en Hollande, au Brésil, au Portugal ou en Suisse. L’action de Ferrer se déploie également par la création d’une maison d’édition qui diffuse des journaux, des brochures à caractère pédagogique, ainsi que des livres scientifiques et philosophiques.
Cependant, de telles actions ne pouvaient que déchaîner les foudres de l’Eglise catholique. Une première fois, en 1906, à la suite d’une tentative d’assassinat sur la personne d’Alphonse XIII par un anarchiste. Ferrer est arrêté et emprisonné pendant treize mois.
Comme il avait depuis longtemps renoncé à l’action violente, il finit par être relâché, faute de preuves et grâce à un vaste mouvement de soutien en Europe.
Ce n’était que partie remise de la part de ses ennemis.
Bien que de plus en plus souvent à l’étranger pour développer son réseau scolaire, il était présent en juillet 1909 à Barcelone lors d’une grève générale contre l’intervention militaire au Maroc.
Cette grève s’accompagna d’un mouvement des anarchistes qui, notamment, incendièrent des couvents, des églises et des écoles religieuses, l’Eglise étant considérée comme le principal soutien à la monarchie. Bien que n’étant pas impliqué dans ces actes violents, Ferrer fut arrêté et condamné à mort par un tribunal militaire en quelques jours.
C’est donc ainsi qu’il fut fusillé le 13 octobre 1909 à la citadelle de Montjuich à Barcelone. Deux ans plus tard en 1911, le procès fut révisé et la condamnation reconnue comme « erronée ».
Cette exécution provoqua une profonde indignation dans le monde entier : des comités Ferrer se créèrent, des manifestations furent organisées et plusieurs administrations décidèrent de donner son nom à des rues de villes ou villages, principalement en Wallonie dans notre pays.

FRANCISCO FERRER ET CARNIERES

Camières ne fut pas en reste : 12 jours après la mort de Ferrer, Julien Lemière, éche vin socialiste et futur bourgmestre, proposa au Conseil Communal du 25 octobre que l’une des trois rues des Ecoles de la localité soit rebaptisée rue Ferrer : cette proposition fut adoptée par 7 voix contre 2.
Cette proposition et son plébiscite n’étaient pas étonnants à Carnières : dans la seconde moitié du XIXe siècle la majorité du Conseil Communal était acquise aux idées progressistes et anticléricales. En témoigne : le budget de la Fabrique d’Eglise était systématiquement refusé par le Conseil Communal majoritairement socialiste de Carnières, un subside a été accordé à la Maison du Peuple pour son inauguration en 1909.
Donner le nom de Ferrer à une rue abritant deux écoles officielles était, dans le contexte de guerre scolaire de l’époque, un moyen d’affirmer une adhésion philosophique en opposition au monde catholique qui, dans notre région ne manquait pas de fustiger les libres-penseurs, par exemple en attaquant avec virulence les fondateurs de l’Athénée du Centre qui s’ouvre à Morlanwelz début octobre 1909. S’il est difficile d’imaginer aujourd’hui l’atmosphère passionnée du combat entre les libres-penseurs et les catholiques, c’était pourtant là une réalité historique incontestable.
Cette confrontation dans notre village devra encore faire l’objet d’une relation his-torique.

André BIAUMET



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