1928. Cette année-là en Belgique et dans le monde

Cette année-là, Hoover était élu Président des Etats-Unis d’Amérique. En France, Poincaré était Président du Conseil.

Cette année-là, pendant que Trotski était exilé, de l’autre côté de la planète, à Alma-Ata, dans le Kazakhstan, Staline mettait en œuvre le premier plan quinquennal de l’Union Soviétique, dont les objectifs étaient le développement de l’industrie lourde et la collectivisation agricole.

Cette année-là, Chang Kaï-chek était élu président de la République chinoise.

Cette année-là, en Albanie, Ahmed Zogou troquait le titre de Président de la Ré- publique contre une couronne. Il devenait Zog ler.

Cette année-là, le Roi Fu’ad choisissait pour l’Egypte… et pour lui, le pouvoir absolu.

Cette année-là, Nehru rêvait à l’indépendance de l’Inde et fondait la Ligue à cette fin.

Cette année-là, grâce à son désordre et son manque de soin, le docteur Fleming découvrait, un après-midi de septembre, une moisissure miracle. Le bactériologiste écossais venait de découvrir dans ses laboratoires de l’hôpital Sainte-Marie à Londres le Penicillium notatum. Ce champignon verdâtre secrétait la pénicilline et l’ére médicale des antibiotiques s’ouvrait.

Cette année-là, sous une plume habile, une souris était née. Elle s’appelait Mickey.

Cette année-là, le record de durée de vol en avion était battu par Stison et Hal- deman, à Jacksonville, aux USA : 53 heures, 34 minutes, 31 secondes.

Cette année-là, autre performance sportive, Nicolas Frantz remportait le Tour de France. Et Gene Tunney conservait son titre de Champion du Monde de boxe, par arrêt de l’arbitre au 11e round. Amsterdam organisait les Jeux Olympiques.

Cette année-là, le 11 octobre, le Zeppelin effectuait son premier vol transatlantique. Cette année-là, le monde comptait 1.718.537.000 habitants et la petite Belgique 7.932.077 habitants, mais on s’inquiétait de la dénatalité wallonne.

Cette année-là, les chèques postaux comptaient à peine plus de 200.000 affiliés et il y avait environ 160.000 abonnés au téléphone pour tout le pays.

Cette année-là, le chiffre des exportations de la Belgique atteignait presque celui des importations. La Belgique occupait alors la 9e place dans le commerce mondial, après l’Angleterre, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, l’Inde, le Canada, le Japon et les Pays-Bas.

Cette année-là, la grande écluse du Kruisschans mettait le port intérieur d’Anvers en communication avec l’Escaut.

Cette année-là, le Fonds national de la recherche scientifique était constitué, qui permettrait aux savants de se lancer dans plusieurs grandes entreprises. 100.000.000 de francs avaient été récoltés à l’appel du Roi Albert.

Cette année-là, Horta terminait le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

Cette année-là, André Souris appliquait à la musique la technique des « papiers collés » de Picasso.

Cette année-là, la Belgique, par l’entremise de son Ministre des Affaires étrangères, Paul Hymans, qui succédait à Vandervelde, adhérait au pacte Briand-Kellogg qui condamnait le recours à la guerre en cas de controverses internationales.

Cette année-là, en conséquence, le service militaire était ramené à 8 mois.

Cette année-là, on s’interrogeait fort sur l’emploi des langues, et spécialement à l’armée.

Cette année-là, la bouteille de Bovril coûtait 13 francs et on proposait d’en tartiner son pain, pour constituer les sandwiches les moins chers.

Cette année-là, un concours organisé avec les pharmaciens permettait de recevoir gratuitement une boîte de 2 francs d’aspirines.

Cette année-là, Renault ventait sa Torpédo, 26.500 Frs, tandis que la conduite intérieure 7 places se négociait à 58.500 Frs, c’est-à-dire 6.200 Frs de plus que la Club Sedan de Studebaker, qui tenait une moyenne de 87,047 km/h. pendant 24 heures, si on en croit les publicités de l’époque.

C’est précisément cette année-là que les nouvelles plaques de voiture faisaient leur apparition chiffres rouges sur fond blanc.

Cette année-là, le journal coûtait 20 centimes. Les programmes de TSF propo-saient, par Radio Belgique, divers concerts, notamment en relais de grands hôtels de Bruxelles, comme le Métropole, entre deux causeries de Théo Fleischman et d’André Guéry.

Cette année-là, la taxe sur les récepteurs de radio était de 20 Frs, mais on envisageait sérieusement une sérieuse augmentation. Et un constructeur célèbre affirmait péremptoirement : sans filiste? oui : sans Philips ? non !

Cette année-là, on interrogeait gravement les belles de l’époque : Etes-vous en dessous de votre poids normal ou dépérissez-vous ?

Cette année-là, les bonnes âmes étaient bien attristées, sous le soleil d’août : le pigeon 947, héros de Verdun en 1916, diplômé de la bague de guerre, venait de mourir. Il était né en 1913 et était le dernier pigeon-soldat encore vivant de la Grande Guerre.

Cette année-là, on célébrait le 125e anniversaire de la Société des Charbonnages de Mariemont-Bascoup.

Mais, cette année-là aussi, fut marquée de nombreux incidents sociaux, et spécialement la longue grève de la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre.

1928. Cette année-là, à Carnières

Mais, dans le village, cette année-là fut marquée par bien des accidents, plus ou moins graves, qui alimentèrent les conversations et émurent.

Ainsi, fin janvier, un éboulement du ballast isole la gare de Carnières et interrompt la circulation ferroviaire. Entre la Chaussée Brunehault et le Pont de la Place Verte, c’est un cratère de 6 mètres de large, de 16 mètres de long et de 10 mètres de profondeur qui se forme, après le passage du train. On ne déplore heureusement aucune victime.

Ainsi, à la mi-février, une tempête d’une force inouïe ravage la région du Centre et spécialement Carnières. Un orage d’une rare violence se déchaîne. Plusieurs toits sont gravement endommagés et la foudre tombe sur l’église de Carnières-Centre, détruisant son installation électrique.

Ainsi, vers midi, le premier mars, un garçonnet rentrait de l’école. Il découvre, dans une ruelle proche de la rue de la Vieille Eglise un détonateur. Il le frappe. C’est l’explosion. Le Docteur Couvreur, qui le soigne, constate la perte d’un œil et de plusieurs doigts.

Ainsi, le 13 mars, deux mineurs meurent asphyxiés dans la mine du Bois des Vallées, a moins 180 mètres.

Ainsi, en juillet, le 3, un incendie se déclare à l’hôpital de Carnières. Madame Julie Wasterlain, âgée de 82 ans, décède, asphyxiée par les fumées du sinistre.

Ainsi, le 18 août, deux couvreurs, le père et le fils, originaires de La Hestre, tombent du toit des forges Duvivier, à Collarmont, dont ils assuraient la réfection. Le père est très grièvement blessé. Le fils, qui avait essayé de le retenir dans sa chute, l’est moins sérieusement.

Ainsi, le 11 décembre, la cariole de Madame Louis Bourlard, qui traverse le village au trot, et qui venait de Buvrinne, d’où elle est originaire, se renverse. Le cheval prend mors aux dents. On ne doit qu’au courage de Messieurs Evence Duvivier et Jules Fiévet d’avoir évité un accident aux conséquences plus graves.

C’est en cette année-là aussi, que la restauration de la Chapelle dédiée à Notre-Dame du Saint-Sang, en face de la rue Saint-Sang, sur le territoire de Morlanwelz mais qui dépend du curé de Carnières-Trieux, est achevée.

C’est en cette année-là encore qu’on nourrit pour la région du Centre, plus large-ment, et spécialement pour Houdeng et Le Rœulx, des espoirs importants, pour son développement industriel futur : le 21 septembre, on espère bien avec une quasi certitude trouver du pétrole dans notre sous-sol.

1928. L’important est ailleurs.

Mais le plus important, pour le village de Carnières, cette année-là, et pour le demi-siècle qui va suivre, ne se trouve dans aucun journal. Ni catholique, ni libéral, ni socialiste. Quelques personnes, à peine, sont au courant de ce qui va révolutionner la vie quotidienne non seulement à Carnières, en Belgique mais encore à l’étranger.

L’événement se prépare depuis des mois, avec obstination mais sans publicité tapageuse, au 125, rue du Polychène, à Morlanwelz et c’est le 4 février 1928 – puisque c’est bien de l’année 1928 qu’il s’agit — qu’il est scellé. Ce jour-là, en effet, à 12 heures 30, procès-verbal est dressé au Greffe du Gouvernement provincial du Brabant et c’est au vu de ce procès-verbal et de la loi du 24 mai 1854 que le Directeur Général de l’Industrie délivre, au nom du Ministre de l’Industrie, du Travail et de la Prévoyance sociale, un brevet d’invention, sous le numéro 348610. L’arrêté ministériel est daté du 31 mars 1928.

Un deuxième brevet est délivré le même jour, à l’intervention du même manda-taire, Monsieur G. Etienne, de Bruxelles. Ce deuxième brevet porte sur un avertisseur magnétique signalant le fait d’avoir oublié d’éteindre la lumière électrique. Le dispositif est constitué par le montage, « dans la chambre ménagée à l’intérieur d’un couvercle taraudé vissé sur une base filetée, d’une bobine avec un noyau, une armature et une lame régulatrice de son entrefer : la dite lame permettant de réduire ce dernier jusqu’au moment où le son, émis au travers du trou perforé au haut du couvercle, est jugé suffisamment puissant ».

Mais et le premier brevet ? Nous y venons. Il est délivré pour « passoire d’action rapide pour légumes et autres comestibles». Et le mémoire descriptif déposé à l’appui de la demande de brevet d’invention et signée par Monsieur Victor Simon de préciser :

« La présente invention a pour objet un système de passoire qui est destiné au travail de la cuisine, et au moyen ce laquelle on arrive, plus rapidement et à raison d’un effort moindre, à passer soit les légumes, soit d’autres comestibles. »

Et après le descriptif :

« Si l’on adopte cet appareil pour les travaux culinaires, on peut arriver, en une minute, à y faire passer la quantité de légumes qui est nécessaire pour un repas de huit personnes, et ce avec toute facilité, sans l’inconvénient de faire passer du même coup les peaux et parties coriaces (haricots, tomates, etc.) grâce au ressort qui exerce sa compression vers le bas. Le dispositif est en outre très solide, et se prête au traitement de n’importe quels comestibles, purées, compotes, préparation de pâtisseries et ainsi de suite ».

Quant au résumé, il dit tout :

” Pour la préparation des légumes et autres comestibles, la conception d’un dispositif servant de passoire, et essentiellement constitué d’un entonnoir d’alimentation avec fond perforé et arbre vertical qui est armé d’une partie de vis d’Archimède et adjoint de manchons de retenues; l’arbre étant terminé par une manivelle et traversant un guidage posé à tenons sur les bords de l’entonnoir; l’ensemble pouvant se placer sur un seau, saladier, bassin, etc., récepteur des comestibles qui sont poussés par la spire de vis d’Archimede a travers les perforations du fond, et, le cas échéant, coupés à la sortie, et préalablement à leur chute dans le seau, par un couteau avec écrou à ailettes; le tout réalisant les divers avantages sus-énumérés. »

Le 2 mars 1928, la marque est enregistrée en Belgique sous le numéro 1619 : Passe-Vite. L’enregistrement international viendra plus tard : le 18 novembre 1929, sous la numéro 66.295. Il est renouvelé sous le numéro 142.113, le 16 juin 1949 et le 16 juin 1969, sous le numéro R 142.113. Dans le répertoire alphabétique et phonétique des marques internationales, on le trouve dans le groupe Ill, classe 21. Et c’est ainsi qu’en Allemagne, qu’en France, qu’en Hongrie, qu’au Liechtenstein, qư’à Saint-Marin, qu’en Suisse, c’est ainsi qu’en Tchécoslovaquie, qu’en Yougoslavie, c’est ainsi qu’en Espagne, qu’en Italie, qu’aux Pays-Bas, qu’au Portugal, qu’en République Arabe Unie, qu’en Tunisie, qu’en Autriche, qu’au Maroc et qu’au Viet-Nam, il n’est de Passe-Vite que de Carnières. Mais revenons-en à l’année 1928.

En 1928, en effet, Victor Simon va encore prendre deux brevets de perfectionne- ment au brevet principal du 4 février 1928.

Le 8 juin d’abord, et sous le numéro 351911, première addition :

« La présente invention a pour objet une passoire mécanique: comportant une passoire ordinaire en forme de tronc de cône renversé avec fond percé de trous, et sur le bord de laquelle sont prévues à demeure, deux attaches de retenues pour maintenir une traverse amovible supportant un arbre commandé par une manivelle et portant à sa base une fraction d’hélice correspondant au fond de la passoire. Cette traverse porte en outre une plaque plongeant dans la passoire et laquelle plaque a pour but de retenir les objets à passer dans leur mouvement de rotation provoqué par l’hélice. Un second fond pourvu d’ouvertures, peut être posé sur le fond troué pour augmenter l’adhérence des légumes gras sur ce fond troué. Comme il ressort de ce qui précède, les perfectionnements résident en ce que le mécanisme peut être enlevé ce la passoire laquelle fait alors office d’un ustensile de ménage ordinaire, et que le dit mécanisme est complété par une plaque empêchant les aliments à passer d’être entraînés par l’hélice. La passoire mécanique ainsi conçue présente entre autres les avantages suivants : 1°) Elle résume trois ustensiles de ménage notamment : a) le presse-purée à levier; b) le pilon et c) la passoire ordinaire quand le mécanisme est enlevé soit égouttoir, passoire et récipient d’usage courant dans le ménage. 2°) Une grande stabilité de l’appareil quand il est posé sur une table. 3°) Sa pose très facile, grâce à la conicité du corps de l’appareil, sur tous les récipients. 4°) Une besogne plus facile et plus rapide qu’avec les appareils existants. »

Le 21 septembre ensuite, et sous le numéro 354374, seconde addition :

«La présente demande a pour but certains perfectionnements apportés à la dite passoire et notamment :

1°) La plaque qui plonge dans le récipient pour retenir les légumes ou analogues dans leur mouvement de rotation provoqué par l’hélice est, au lieu d’être fixe sur la traverse, sertie sur l’arbre de la manivelle, mobile autour de cet axe et maintenue élastiquement, mais retenue dans son mouvement de rotation par un arrêt fixe sur le corps de la passoire.

2°) Afin que l’excès de liquides versés dans la passoire puissent rapidement s’écouler, on prévoit dans le pourtour du corps des trous qui sont éventuellement plus grands que ceux percés dans le fond.

3°) Ce fond troué peut être embouti et amovible, de manière à pouvoir appliquer des fonds à trous appropriés.

4°) La partie de l’hélice en contact avec le fond troué est légèrement recourbée de façon à racler constamment ce dernier et cisailler les aliments déjà engagés dans les trous; toutefois, cette partie recourbée peut être appliquée à l’hélice, afin d’être remplacée en cas d’usure. »

Ainsi donc était né le « Passe-Vite» tel que nous le connaissons.

De l’idée à son exploitation industrielle

Restait à en assurer l’exploitation industrielle.

C’est là qu’intervient Richard Denis, quincaillier de son état, et installé à Carnières, Grand-Place. Le 22 septembre, en effet, Victor Simon cède la moitié de ses droits à son brevet d’invention et ses deux brevets de perfectionnement pour une somme de 100 francs. Et c’est ensemble que, le 31 mai 1929, ils forment une société en nom collectif sous la raison sociale « Simon et Denis ». Cette société, est-il précisé au Recueil des actes et documents relatifs aux sociétés commerciales, sous le numéro 10187 a pour objet « la fabrication et la vente des articles de ménage en général et, en particulier, ‘exploitation des brevets n° 275276, 351911, 279509, se rapportant à une passoire mécanique à action rapide pour soupe, légumes, etc. de la marque « Passe-Vite », perfectionnement n° 348610 ».

C’est à la même date que, fort logiquement, Victor Simon et Richard Denis cèdent a « Simon et Denis» les brevets en cause (348610, 351911 et 354374), moyennant une somme de 200 Frs. Dans l’acte de transfert, on notera que tant Victor Simon, domicilié maintenant Place du Progrès (?) à Carnières et Richard Denis, Grand’Place, se qualifient l’un et l’autre d’industriels. Quant à la Société, elle s’installe d’abord Chaussée Brunehault, à Carnières.

Rapidement, l’extension à apporter à l’entreprise impose une augmentation de capital et la modification de la raison sociale. C’est ainsi qu’une première modification aux statuts prévoit l’admission ce nouveaux membres et le 29 avril 1925, l’augmentation de capital est assurée par l’arrivée de MM. Henry, Brancart, Buisseret, Claustriaux et Duez. Le premier apporte une somme de 2.500 F, le deuxième, comme Claustriaux et Duez, une somme de 500 F et Buisseret une somme de 1.000 F annexes au Moniteur belge du 26 avril 1935 n° 5691 et cu 12 mai de la même année, no 6978).

C’est le 30 août ce la même année que la raison sociale nouvelle est donnée à la Société. Les « Etablissements Simon et Denis, Société anonyme» sont nés. Le capital reste fixé à 55.000 F, représenté par 550 actions de 100 F chacune. La part des fondateurs est représentée par 250 actions chacun, tandis que Monsieur Henry, pour le reste Directeur d’usine, demeurant à Jeumont, rue de la Boulonnerie, retient 25 actions, Monsieur Brancart, comptable habitant Anderlues, 5 actions, comme Monsieur Claustriaux (il habite à Gilly et exerce le métier de représentant de commerce) et comme Monsieur Duez (il demeure à Bruxelles, rue Josaphat, et est aussi représentant). Monsieur Buisseret, agent de banque à Morlanwelz, détient les 10 actions restantes. L’objet de la société reste, bien entendu, « la fabrication et la vente de tous articles de ménage en général et en particulier les passoires « Passe-Vite». Sont appelés aux fonctions d’administrateurs, Messieurs Victor Simon, Richard Denis, Waldor Henry.

L’ensemble des brevets d’invention et de perfectionnement, détenus à la date du 30 août 1935 par la Société en nom collectif est transféré à la Société Anonyme. A ce moment, outre les brevets de 1928 déjà détaillés, et qui sont transférés pour un montant de 500 F, on relève un brevet n° 394174 du 6 février 1933 « pour perfectionnement aux passoires mécaniques», transféré aussi pour 500 F, et les brevets 394475 du 18 février 1923 pour « perfectionnements aux fonds de passoires mécaniques» et de son perfectionnement n° 409866 du 7 juin 1935, pour la même somme.

Mais la guerre survient, qui contrarie la bonne marche des affaires, si bien que les délais en matière de propriété industrielle et la durée des brevets d’invention sont prorogés de cinq années. Et après la guerre, les brevets d’invention vont – continuer à — succéder aux brevets d’invention.

1952. Jean, Alexandre, François Denis se voit délivrer le 15 décembre un brevet d’invention pour ustensile culinaire pour couper et diviser finement les legumes, fruits et autres aliments. Il porte le numéro 516265.

Voyons-en le descriptif, en nous gardant de la spécification qui est jointe au brevet :

« La présente invention est relative à un ustensile culinaire permettant de diviser, couper les légumes tels que les pommes de terre, pour la réalisation de frites, chips, pommes paille ou encore de hacher les oignons et râper finement tous aliments tels que fruits, fromages, etc.

Divers appareils ont déjà été préconisés, mais la pratique a montré qu’ils étaient d’un usage peu aisé, nécessitant d’êtro fixés sur une table par exemple, enlevant ainsi toute maniabilité de ces appareils, de plus, le montage et le démontage étaient extrémement compliqués et le nettoyage on conséquence lent et laborieux.

L’ustensile suivant la présente invention tend à obvier aux divers inconvénients signalés, tout en présentant une grande résistance mécanique et une simplicité appréciable tant au point de vue constructif que de son emploi.

Un autre avantage de la présente invention réside dans la possibilité de diviser les matières en morceaux, de formes et de dimensions désirées.

Enfin, l’interchangeabilité ces plateaux diviseurs étant très rapide, l’on peut quasiment instantanément, par simple remplacement d’un plateau par un autre modifier la division des aliments traités.

Une des caractéristiques ce la présente invention réside en ce qu’un support est agencé pour recevoir et maintenir un plateau amovible centralement à un axe solidaire du support, et sur lequel sont glissés les coussinets d’un poussoir en vue d’autoriser un mouvement de circonvolution au-dessus du plateau dudit poussoir; des moyens étant prévus d’abord pour maintenir le poussoir à l’écartement désiré du plateau, ensuite pour opérer la coupe, râpage ou division des aliments et enfin pour assurer une pression sur l’élément à traiter disposé devant le poussoir de sorte à l’obliger à prendre appui sur le plateau. »

Un brevet de perfectionnement est déposé le 18 avril 1953. Il porte le numéro 519276. Plus tard encore, le 24 avril 1954, sous le numéro 528372, c’est un brevet pour récipient à manche amovible :

« La présente invention est relative à un récipient à manche amovible, convenant notamment pour les ustensiles de cuisine.

D’une manière générale, les manches pour récipients sont réalisés en tôle, et dans ce cas, soit ils présentaient des bords plus ou moins tranchants, soit sont roules sous forme de tube.

La pratique montre que ces manches sont d’une fabrication coûteuse et de plus donnent accès aux encrassements vers l’intérieur dudit tube. Il faut aussi remarquer que les manches sont particulièrement encombrants lorsqu’il s’agit de les ranger dans une armoire, de les loger dans les bagages pour le camping, par exemple, ou encore lors de leur emballage.

La présente invention vise à obvier à ces multiples inconvénients et réside essentiellement en un manche fait de gros fil métallique ou analogue, de forme générale en U, les bouts libres du fil étant pliés pour introduction dans le dispositif de fixation fixé à demeure au récipient et il est principalement caractérisé en ce qu’une pièce de bois, plastic ou analogue, oblongue, de section transversale sensiblement arrondie, comportant deux rainures longitucinales sensiblement parallèles, et diamétralement opposées, est pincée à demeure par les branches de l’U de fil métallique engagée dans lesdites rainures. »

Autre brevet, de 1954 encore (9 novembre, n° 5€3.190), délivré à la société Eta-blissements Simon et Denis, établie aux 5-6 avenue du Centenaire, à Carnières : dispositif pour diviser et hacher les aliments. Ce dispositif permet essentiellement, par rapport aux appareils existants, de pouvoir servir à la fois pour passer les légumes et comme hache-viande.

Un brevet de perfectionnement est pris le 15 mars 1955, sous le numéro 536.522.

La même année, un brevet d’invention est pris qui apporte divers perfectionnements aux éléments rotatifs cans les passoires mécaniques et ustensiles analogues (1-10-1955, 541.748). Son but : « assurer un débit aussi régulier que possible sur toute la surface du fond, et augmenter en conséquence la rapidité de l’opération. La réduction du temps utile aux opérations de passage des aliments par exemple est due au fait d’un débit plus régulier de toutes les perforations du fond, mais essentiellement du fait que les quantités de matières entraînées par l’hélice est notablement réduite.

Mais bientôt l’exploitation de l’invention sur laquelle l’entreprise a été construite est compromise et l’affaire prend un mauvais tour judiciaire. Elle est racontée par Hervé Bizeul, dans son « Irremplaçable moulin à légumes ».

Elle commence le 10 octobre 1938, quand des huissiers envahissent les quincailleries de Lyon pour saisir des Moulins à légumes fabriqués par la manufacture d’Emboutissage de Jean Mantelet et qui ressemblent au Passe-Vite. En 1947, de jugement en appel, d’appel en cassation, la Cour de Dijon donne raison à la société Moulin-Légumes, contre Passe-Vite: il y a eu contrefaçon, mais en vertu d’une loi de 1844, l’invention, qui n’a pas été exploitée en France dans les trois ans du dépôt n’est plus protégée. Mauvaise affaire pour Passe-Vite. Bonne pour Moulinex.

Les Etablissements Simon et Denis font preuve pourtant, il faut en convenir, d’une pugnacité particulière, en quittant le domaine mécanique pour celui du moteur électrique. Bientôt, en effet, ils exploitent la marque « PAVI» qui recouvre des moulins à café électriques.

Bientôt, le 7 février 1959, ils prennent un brevet (No 575486) pour un dispositif pulvérisateur et de brassage pour opérations culinaires. En bref, il s’agit du mixer – le mixer électrique, dont la particularité réside en ce que « l’hélice est disposée axialement vers la base ouverte d’une cloche dont le diamètre est notablement plus grand que la longueur de l’hélice, de sorte à former autour de la circonférence d’action de l’hélice, un anneau d’évacuation des ingrédients aspirés par cette hélice ou inversément d’introduction dans la cloche lorsque l’hélice est foulante ».

Reste le Passe-Vite « traditionnel » : il continue à être fabriqué, vaillamment.

Mais l’absence de protection juridique et le temps qui passe ne fait qu’ajouter lentement mais sans défaillance à l’obsolescence du produit.

Le 6 mars 1978, soit exactement 50 années après la première invention qui a été à l’origine de toute cette affaire, les Etablissements Simon et Denis, Société Anonyme, cont le siège est situé 5-6, avenue du Centenaire, à Carnières, est déclarée en faillite.

Alors ? Alors, il reste les souvenirs. D’une entreprise prospère. D’une marque. Passe-Vite. Et, comme on ne dit plus aujourd’hui « consultons le dictionnaire», mais «voyons ce que dit le Larousse», d’une marque qui est devenue nom commun, car on ne dit plus guère « passoire», et encore moins « passoire rapide ». Il reste les souvenirs de gestes familiers : le passe-vite, dont on tournait la manivelle et dans lequel on versait du liquide pour ne rien perdre des derniers légumes qu’on dégageait en inversant le sens du tournage. Il reste l’hommage d’un homme à un autre homme, dans Carnières vous est conté, de Camille Busquin (pages 34 à 36).

Hommâtche posthume à in homme de Carnières

l’ n’sont nin tout spais d’in l’villâtche

Des hommes qui comm’ li sont d’vènu

Pa’ leur travail et leu courâtche

C’qu’on loum’ potette des parvènus.

Dèvint s’cas ci on n’pût nin dire

Qu’c’est l’chance qui l’a favorise,

C’n’est què s’travail on put bi’n l’dire,

Qu’il là fait dev’ni çu qu’il est.

Après s’n’ouvrâtche, d’allant à s’cole,

Passant ses soirées à s’tudiyî

Pour li, el vie n’a nin toudi s’tè drole,

N’faisant jamais què d’travaiyi.

Intrè temps quatorze no’s amène,

Ell’ catastrophe qu’on a couneut,

S’ingageant à vingt ans à peine,

N’ascoutant que s’cœur valeureux..

Après quatre années dè souffrances

l’ r’voit enfin no p’tit villâtche

Toudi modeste, plein d’espérance,

Courageusemint s’met à l’ouvrâtche.

Travaiyant sans pierde en’n minute,

Par djoû par nût, des mois d’t’au long

Pou cachi d’arriver à s’but

In expoitant ess’n indvintion.

Maigrès ess briyante réussite,

Il est d’morè simpl’ èt bon garçon,

Eyet s’fortune dins les pass’vites

N’li a poun donnè d’imbition.

Grâce à li dins tous les min’nâtches

In Belgique comm’ à l’ètranger

Ell’ feumm’ dispose pou fait s’min’nâtche

D’in bia appareil ménager

On l’estimoût fourt au villâtche

Quoiqu’i n’se moustroût nin souvint

Cît nin in homm’ à grand d’allâtche,

Et co moins l’type à fait du vint.

Il a d’nè à des égins d’Carnières

L’occasion dè gangnin leu’s crousses

Personn’ en’n dira el contraire

On n’povoût dire que c’ît in ours.

L’sỉn qui d’alloût tocqui à s’huche,

I’t toudi seur dè iess bin rçu

I’ n’it jamais question qui s’muche

Aux malheureux f’soût l’bin, sans fait du bru’t.

C’it plaisi d’li i’ni nin fiére

Il i’t affable pou tous les dgins

I savoût souladgi l’misère

Quand on d’alloût d’lé li tindr’ ess main.

l’ comperdoût l’class’ ouvriére

Puisqu’i avoût s’tè li mèm’ ouvri,

l’ savoût bin qu’il it d’Carnières

Et qui n’savoût nin l’oubliyi.

Dè pareiye à li i n’d’a wère,

S’implicite l’faisoût vir’ volti

Et parler contr’ li à Carnières

Vơ’s vos sauri bin fait r’lètchi.

Combi’n pourtant bien moins que li,

Qui font d’leu nez et des grimaces,

On n’avoût rin à dir dè li

On s’avoût bỉn qu’il avoût l’place.

Mais ça nỉ nin dins s’caractére,

L’orgueuil i’ n’savoût nin c’que s’in it

Aux honneurs i’ savoût s’y soustraire,

l’ d’moroût bin sag’mint çu qui l’ĩt.

C’est t’in honneur pou no villâtche,

D’avoû des homm’s pareiye à li,

A tous ceux là, rindons hommâtche,

Ca n’sauroût fait qué d’no’s grandi.

Camille Busquin
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