La majorité des Carnièrois, éprouvant bien des difficultés à nourrir leur progéniture, n’étaient pas en mesure de consacrer une partie de leur budget à l’achat de jouets, à la fois rares et, d’ailleurs, moins sophistiqués qu’aujourd’hui.

Si les entants donnaient libre cours à leur esprit récréatif et inventif, les parents, de leur côté, s’ingéniaient à leur confectionner des ersatz de jouets : soient des balles réalisées et cousues avec des chiffons de couleur, soient de mignonnes figurines bourrées de sciure de bois, enrobées de bouts de tissu chatoyants et simulant des poupées.

D’instinct, les fillettes, imitant leur maman, aimaient à faire montre de talent culinaire : des couvercles de boites de cirage vides, objets très recherchés, servaient de moules pour la fabrication de pains, ce tartes, de gâteaux composés de terre ou de sable mouillés et présentés sur des feuilles d’arbre décoratives : vigne, érable, marronnier, etc…

En futures mères de famille, après avoir décapé, à force de les laver au Sunlight, leurs anciennes poupées, elles leur taillaient, dans des chutes de toile ou de coton, une série de sous-vêtements (le nudisme n’étant pas de mise, même pour une poupée), de longues culottes dépassant le genou, ornées de festons, de dentelles au crochet, puis des jupons superposés, cousus patiemment à longs points devant, le tout recouvert de jupes et ce tabliers de fantaisie pittoresques.

En véritables commerçantes, elles avaient l’art de présenter, en usant de formules de politesse stéréotypées, ces d’enrées d’épicerie; avec des bobines de fil, en bois, elles échafaudaient des étagères, des comptoirs de vente. Qu’offraient-elles en vente à leur clientèle : de grosses fèves blanches, des pois secs, ces glands, des noisettes, de beaux cailloux, du sucre cassonade simulé par du sable fin, etc…

En maîtresses de maison, elles organisaient, sous l’ombrage d’un arbre, des réceptions entre dames vénérables, (vêtues de vieux rideaux en guipure et de morceaux de voilette) qui faisaient la causette gentiment.

La nature sauvage, actuellement en voie ce disparition dans notre région, offrait quantité de véritables trésors servant à la fois à l’amusement et au troc : des noisettes, des glands de chêne dans leur jolie cupule en forme de pipe, des faines de hêtre délicieuses à déguster, des noix, des marrons utilisés pour composer des colliers pour les petites filles et comme projectiles pour les garçons, ces branches de lierre pour couronner les « reines», des morceaux de tige de sureau vidés et transformés en sifflets et en sarbacanes avec jet de petits pois, voire de cailloux, des pousses d’arbres courbées en arbalètes, des bâtons découpés pour jouer « à l’aillette» : un bout de bois d’une douzaine de cm, effilé aux 2 extrémités et posé sur une pierre était percuté à l’aide d’un autre bâton plus long et lancé le plus loin possible après une seconde percussion et on entrait en compétition pour la distance atteinte…

Les enfants, peut-être sans s’en rendre compte, jouaient aussi à des jeux cruels : combats d’araignées dans un bocal transparent, hannetons (dénichés sur une haie de charme au Houssu) attachés à un pied de table par un fil fixé à la queue et horreur ! quelques vilains garnements avaient la mauvaise habitude d’attacher une vieille casserole à la queue d’un chat d’où tapage infernal provoqué par l’animal terrorisé…

Les collectionneurs en herbe s’acharnaient, faute de mieux, à récupérer les billets de tramways et, par suite, les carnets de souche des receveurs. Evidemment l’objet de collection le plus apprécié c’était l’image de saints, certaines images étaient presque des reproductions artistiques qui faisaient l’objet d’échanges renouvelés sans cesse.

Beaucoup de jeux, tels les nombreuses variétés de jeux à la balle, de jeux de course, de chat-caché, de Colin-Maillard, de danses à la corde, de sauts de mouton, etc… sans compter les multiples rondes accompagnées de charmantes chansons se sont transmis de génération en génération jusqu’à nos jours, d’autres ont presque disparu car les rues qui appartenaient aux enfants autrefois, leur sont pratiquement interdites, aujourd’hui.

Tout ce passé, si riche de notre enfance, ne peut être évoqué en quelques lignes car on risquerait, en étant sommaire, de le vider de sa substance même.

Deux jeux seulement, parmi tant d’autres en vogua cn 1914-1918, sont évoqués, à savoir : « La Procession » et « A l’Casserole ».

Le jeu de la Procession exigeait de longs préparatifs : semer du sable blanc et des pétales de roses sur le parcours (départ de l’Eglise, tour de la Place communale en passant devant l’actuel Musée de la Haute Haine, autrefois habitation du « Chef Instituteur», pâtisserie Otlet et remontée vers la Place de l’Eglise), prévoir des reposoirs (petites tables garnies de bibelots empruntés à la maison, de bougies même), à plusieurs endroits.

Le cortège, en tête la Sainte Vierge, choisie parmi les plus grandes, revêtue d’un long châle, s’avançait lentement, avec le plus grand sérieux, les mains jointes, suivie des autres fillettes portant des branches de lys en fleur…

Tout-à-coup, surgissait une bande de petits voyous. Ils se moquaient des fillettes, criaient, gesticulaient, lançaient des cailloux, d’où désarroi général, dislocation du cortège, blessures (parfois sérieuses) dues au jet de pierre; les cris et les pleurs qui s’ensuivaient, provoquaient l’intervention énergique des parents avec représailles sous différentes formes.

«A l’Casserole », on désignait parfois ce jeu bien connu de tous par une expression plus triviale !

Au centre, une vieille casserole trouée ou un petit « passet » branlant. Autour, disposés en cercle, filles et gamins. Le perdant devait s’asseoir sur la casserole ou le passet et naturellement y perdait souvent l’équilibre au grand amusement des autres!

Le plus épique consistait en la récupération des gages, par exemple faire 7 fois le tour de la Maison communale, sautiller pendant 100 m sur un pied, aller saluer certaines personnes vénérables et rébarbatives, craintes des enfants, etc., sonner pendant 1/4 d’heure chez « Monsieur le Vicaire» (heureusement, il se fait que M. le Vicaire qui habitait de l’autre côté de la place, face à la Maison communale, était absent au moment de nos exploits !)



L. ANNINO-HECQ.

Accueil » QUELQUES JEUX D’ENFANTS SANS JOUER EN 14-18