Quoi qu’a dit ? – A dit rin.
Quoi qu’a fait ? – A fait rin.
A quoi qu’a pense ? – A pense à rin.

Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?

– A’ xiste pas.


Ce texte, “La môme néant”, aux accents de patois qui pourrait bien passer pour patois wallon, est en réalité un poème en français de Jean Tardieu extrait de ses poèmes humoristiques de 1951, “Monsieur, Monsieur”.

Jean Tardieu a vécu au siècle dernier, a produit beaucoup et surtout, dans tous les genres, et sur tous les tons. Y compris humoristique; mais a-t-il jamais imaginé qu’on pourrait prendre l’un de ses textes pour un poème en wallon? Et s’interroger à tout le moins sur son “accent”.

De quoi revenir sur la «glottophobie», qui désigne les discriminations à prétexte linguistique et inclut le processus de stigmatisation qui conduit à ces discriminations.

C’est Philippe Blanchet, sociolinguiste, qui a créé ce mot pour désigner les discriminations linguistiques négatives de toutes sortes fondées sur la langue, le dialecte ou l’accent.

La désignation de Jean Castex comme Premier Ministre français, et les réactions qu’elle a suscitées, en raison de son accent de Prades, petite ville des Pyrénées orientales, au pied du Canigou, entre Méditerranée et montagne, a révélé la persistance des a priori: accent « rocailleux », de « 3e mi-temps de rugby », accent de « terroir », « l’impression d’être en vacances »… ont salué sa première prise de parole, le 3 juillet 2020.

Il serait trop simple de renvoyer la glottophobie à la France : ce jacobinisme de la langue nous concerne. L’accent qui n’en est pas – on dit, avec un étonnement admiratif “il n’a pas d’accent”, est une manifestation d’hégémonie et de discrimination culturelles et sociales. La victoire d’un certain Paris, qui définit la “bonne” manière de parler, contre les pays de France.

Alors que les Suisses romans acceptent le leur, et que les Canadiens en sont fiers. Chez nous, les seuls qu’on entend sont là pour rire, de Melle Beulemans à Françoise Pirette.

Mais pourquoi cette discrimination n’est-elle pas prise au sérieux, contrairement à d’autres, alors que l’indignation n’a jamais été aussi facile? Parce qu’elle est parfaitement intégrée. Jean-Michel Aphatie et Michel Feltin-Palas sont les auteurs de J’AI UN ACCENT, ET ALORS, édité chez Lafon. Ils donnent des pistes de réflexion. A cette occasion, ils ont réalisés le premier sondage sur le sujet: cette situation a été difficilement vécue par 30 millions de français et 10 millions ont été discriminés du fait de leur accent. Michel Serres a été rétrogradé au concours d’agrégation du fait de son accent: “j’ai mis 30 ans à être pris au sérieux, du fait de mon accent”, disait-il.

Un éclairage sur les accents qui vaut pour les patois, et de manière exponentielle.

Pour goûter à ce texte de Tardieu, l’écoute est ici.

Mais à propos, faut-il chercher un sens à ce joli bijou, au-delà du jeu sur les mots qu’il est et d’une inspiration surréaliste? Alors, il pourrait bien signifier, au premier degré, qu’en s’exprimant en dehors des normes académiques du bien parler, en dehors des codes, la parole n’est pas écoutée puisque inaudible. Et que celui qui est inaudible, est nié dans son existence: A’ exist pas. On n’existe pas. Et le “pays”, avec lui. Et pourtant…

Un accent, c’est tout un pays qui sort d’une bouche

avec ses maisons ses forêts ses sentiers ses usines

Julos Beaucarne

Bernard Chateau,

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