Florent Vray (1) avait 12 ans en 1914. Il habitait alors à la rue de la Gade, dans la maison occupée depuis 1971 par Monsieur et Madame Robert Wauters, actuel n° 75.
Son père, Florent Vray, né à Carnières en 1876, petit fermier, était aussi maréchal-ferrant, métier qu’il avait appris lors de son service militaire chez les lanciers de la cavalerie belge.
En 1914, le jeune Florent avait été fort impressionné par l’arrivée dans le verger situé à l’arrière de la maison d’une centaine de Uhlans avec leurs chevaux, suivis à quelque distance par un officier et deux soldats traînant un magnifique cheval boitant et se déplaçant péniblement sur trois pieds ! L’officier interpella son père et lui dit trois mots : « vous, soigner cheval ».

Tiraillé entre son patriotisme et sa con- science professionnelle, à la vue de la souffrance du cheval, le père de Florent examine le cheval. Le pied est chaud et le cheval souffrant se montre très difficile. Néanmoins, le maréchal-ferrant continue son examen. Il enlève les clous un à un. Il les porte à son nez, les renifle. Tout à coup, une odeur de pourriture lui arrache une exclamation : « c’est là ! ». Il a trouvé l’abcès et sa cause. Avec une rénette (2), il dégage la sole (3). Le pus gicle ! Le cheval se cabre mais il est soulagé. Il poursuit le débridage de la plaie, désinfecte et pose un pansement, une plaque de cuir pour protéger la plaie et puis, ferre le cheval.
Peu de temps après, le cheval reprend déjà appui sur son pied et veut même rejoindre ses compagnons ! L’officier allemand ne peut cacher sa grande satisfaction. Il sort une bourse et en extrait une pièce en or qu’il remet sans un mot au père de Florent qui vient devoir pour la première fois de sa vie, une telle pièce de monnaie !
C’est le surlendemain que les Uhlans se remettent en selle, armés de longues lances. Quel spectacle ! C’est l’effervescence. Ils savent que derrière la ferme de la Rosière, le long de la petite rivière, il y a une patrouille de cuirassiers (4) français qui abreuvent leurs chevaux et font leur toilette, sans avoir posté de sentinelles ! Les Allemands chargent dans la descente et c’est le massacre ! Le lendemain, Florent se rend avec son frère sur le lieu du combat. Il reste des morts… Ils trouvent dans le fond de la rivière, une demi cuirasse et un sabre qu’ils cacheront dans le grenier durant des années. Ce sont quelques uns de ces cuirassiers français qui reposent à Collarmont parmi d’autres français.
Environ un mois plus tard, l’officier allemand qui était cantonné au-delà d’Anderlues, est revenu seul avec son cheval. Il entra sans un mot dans la prairie de la ferme et fit devant le forgeron et son fils, une démonstration de haute école. Florent n’avait jamais vu un « cheval qui dansait » ! C’était une succession de pirouettes, de cabrades, d’appuyers, de changements de pied. Quelle belle preuve du parfait rétablissement du cheval !
Toujours sans un mot, le forgeron examina le pied guéri. Les deux hommes échangèrent un regard exprimant leur estime réciproque.
L’un pour les connaissances équestres et la parfaite maîtrise du cheval de l’officier et l’autre, pour les qualités professionnelles du maréchal-ferrant.
Les deux hommes ne se sont jamais revus !


Robert Wauters

(1) Il a longtemps exploité la ferme de la Jonquière à Mont-Sainte-Aldegonde.
(2) Rénette ou rainette = outil tranchant pour tailler le sabot du cheval.
(3) Sole = plaque cornée formant le dessous du sabot d’un animal.
(4) Les cuirassiers faisaient partie de la cavalerje lourde et portaient une cuirasse.

Accueil » SOUVENIRS DE LA GUERRE 14-18 A LA RUE DE LA GADE A CARNIERES