Ce que nous apprend un agenda de comptoir des années 1903 à 1910

J’ai retrouvé l’agenda de comptoir dans lequel mon père, Léon Fondu, notait ses comptes dans les années 1903 à 1910.

Il tenait une boucherie à la Place Verte dont l’exploitation, après son décès en 1924, fut continuée par ma mère, Eva Seret, jusqu’en 1954.

Dans les premières années du vingtième siècle, la Place Verte s’appelait encore parfois « La Flache à Vias» (voir le livre de Mme A.M. Marré-Muls « Découvrons Car-nières», page 122).

Détail amusant : Ce « mémento journalier – Agenda de comptoir» date de 1886 et n’a été utilisé par mon père que quinze à vingt ans après son édition. On était économe et conservateur en ce temps-là !

Il a été édité par « L’imprimerie et librairie de Emile Geuse à Morlanwelz» et il se vendait « chez les principaux papetiers libraires et imprimeries ».

Il donne le règlement de l’époque « concernant les ports de lettres». On y lit qu’en 1886 « la taxe des lettres affranchies est fixée à 10 centimes jusqu’à 15 grammes; au-delà de ce poids, elle progresse de 10 centimes par 15 grammes ou fractions de
15 grammes ».

Dans l’agenda, j’ai relevé les noms des clients de la boucherie. J’en donne la liste en annexe. Peut-être certains anciens Carnièrois retrouveront-ils, dans cette liste, des personnes dont le nom leur est resté en mémoire, tels certains parents et amis.

Quelques documents de l’époque se trouvaient encore dans l’agenda, notamment un bon d’achat, signé par M. le Curé Caudron de la paroisse St-Hilaire d’une valeur de un franc (vraisemblablement en faveur de l’Œuvre de St-Vincent de Paul) ainsi qu’une commande de viande signée par Epouse Vincent Dumont – Chaussée – Carnières. On trouvera en annexe une reproduction de ces deux documents.

J’ai aussi remarqué qu’il était d’usage, à l’époque, d’écrire certains mois de l’année d’une manière abrégée. Ainsi, on lit dans l’agenda pour :
Septembre : 7bre
Octobre : 8bre
Novembre : 9bre
Décembre : Xbre.

Jai relevé la même façon d’écrire « c’écembre» dans le bon d’achat de M. le Curé Caudron, ce qui prouve que c’était une habitude de l’époque.

J’ai constaté également qu’il était de coutume de régler les achats par acomptes hebdomadaires ou par quinzaines. Les nombreux comptes tenus en témoignent. Peut-être, est-ce un indice de la difficulté des temps pour une certaine partie de la population.

Un exemple de comptes parmi d’autres :
12/9bre 1904 : saucisse, boudin 4,40
14 : vitoulet (= viande hachée) 1,55
16: grogne (= tête pressée) 1,15
19 : viande 3,25
22 : une livre de lard à 0,60
TOTAL : 10,95

26 : acompte : 8,00

Reste : 2,95
26 : Saucisse, graisse, boudin : 3,35
0,10
1,50
0,10
3 Xbre 1904 3,95

TOTAL 11,95
1,40

TOTAL 13,35

18 ACOMPTE 10,00
Reste 3,35

Et ainsi de suite

Prix de vente de l’époque

Voir à ce sujet, pour comparaison, « Les Feuillets Carnièrois» no 29 de février 1980 donnant des prix de « Vivres et boissons en 1908 et 1909» ainsi que les salaires horaires de certains artisans à la même époque.

Voir aussi le no 31 d’août 1980 donnant le budget annuel d’une famille de six personnes. Le coût de la viande, dans le budget annuel, est évalué à 100 frs (et les dépenses de cabaret à 50 frs !)

J’ai toutefois relevé, dans un compte d’achat à crédit un total d’achat de viande de 204 frs pour la période de décembre 1903 à décembre 1904.

Voici les prix que j’ai relevés :
1 livre et demi de côtelettes 1,50
1 kg de « bouli » (= bouilli) 1,60
1 livre de côtelettes 1,00
1 kg de carbonades 2,00
1 livre et demi de vitoulets (viande hachée) 1,50
Rôti (le poids n’est pas précisé) 2,15 (on remarque très peu de ventes de rôti)
1 livre de saucisse 1,10
Gros veau : 1 kg 2,40
1 livre et demi 1,80
1 livre 1,20 1 kg de lard gras 1,40
1 kg de lard entrelarde 1,60
2 kgs de lard entrelardé • • 3,20
1 demi-livre de carbonade 0,50
1 demi-livre de côtelettes : 0,50
3 livres de boudin 2,40
1 kg de graisse : 1,80

Toutefois, pour apprécier la hauteur de ces prix de vente, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agissait de francs or. Si je me réfère aux cours des monnaies actuels, une pièce belge d’or de 20 frs de l’époque est cotée 3.000 frs soit 150 fois sa valeur nominale.

J’ai demandé à mon boucher de me citer les prix actuels des marchandises relevées dans l’agenda et, assez curieusement, (ce n’est peut-être qu’une coïncidence) les prix sont plus ou moins semblables si on actualise ceux de 1903-1904 selon le cours des pièces d’or.

Voici le résultat de mes investigations :

Prix or          x 150            Prix actuels

Côtelettes le kg                2,00             300              240 à 260

Bouilli le kg                       1,60             240              245

Carbonade le kg               2,00             300              280 à 320

Viande hachée, le kg        2,00             300              200

Saucisse, le kg                 2,20             330              200

Veau, le kg                       2,40             360              380

Lard entrelardé, le kg        1.60             240              150 à 180

Boudin, le kg                    1,60             240              210

On constate que certaines catégories de marchandises, moins demandées actuellement, ont baissé de prix alors que, par exemple, les rôtis, très peu demandés avant la guerre de 1914-18 (sauf en période de « ducasses ») coûtent beaucoup plus chers actuellement. Par contre, le lard gras qui se vend, paraît-il actuellement 10 frs le kg parce qu’il ne se demande plus, était vers les années 1905 très recherché si je me réfère à ce que j’ai constaté dans l’agenda.

Cet agenda servait aussi à noter les commandes. Elles étaient particulièrement plantureuses à l’époque des kermesses en mai (ducasse de St-Hilaire) et à fin août (grande ducasse).

J’ai relevé entre autres :

Samedi 4 mai 1907 :

Ida: 4 à 5 livres de rôti de vache.

Palmyre : 1 kg de veau, 1 livre et demi de filet de bœuf.

Marie Gaillet : 2 kgs de veau désossé.

Thomas Baudoux : 2 kgs aloyau.

Charlotte : 1 langue de bœuf.

etc..

Samedi 9 mai 1908 :

Angeline : 3 livres de veau au gros.

Désirée : 3 livres de veau au gros.

Lequeux : 3 livres de veau au gros, 1 livre d’entrelardé, 3 livres de rôti de bœuf. Patigny : 2 kgs de gros veau.

Désiré Dussart : 1 langue de bœuf.

Ve Baudoux : 3 à 4 livres de veau.

N.B: – Je me suis adressé à deux bouchers pour connaître la signification de veau « au gros». Aucun d’eux n’a pu me donner d’explication. Etait-ce une appellation de « rôti de veau » ?

Samedi 29 août 1908 : etc..

Si on y ajoute les tartes que, certainement, les ménagères cuisaient à l’occasion de ces fêtes locales, on se prend à rêver des festivités de l’époque.

Pour terminer, à l’intention des bouchers actuels, j’ai relevé certains abattages de l’année 1906 (la liste complète est trop longue).

En voici certains postes :

Année 1906 :

23-8 : Tué une vache Bruxelles pesant 334 kgs coûtant 500 frs

deux veaux Anderlues pesant 110 kgs coûtant 210 frs

28-8 : Tué un cochon Bruxelles pesant 114 kgs coûtant 179 frs

27-8 : Tué un cochon Bruxelles pesant 101 kgs coûtant 158 frs

30-8 : Tué un taureau pesant 225 kgs coûtant 360 frs

31-8 : Tué un cochon pesant 105 kgs coûtant 165 frs

J’insiste sur ce que la présente étude n’a qu’un caractère anecdotique et ne prétend pas revêtir un aspect scientifique de comparaison d’époques.

Le 2 mars 1988.

Albert FONDU.



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