anthroponymie, antonomase et déclinaisons variées

On lui doit la création anthroponymique d’un mot nouveau du vocabulaire français qui remonte très précisément à 1896, et qui constitue un de nos marqueurs très actuels. On peut même préciser le jour où il fut pour la première fois prononcé en public: le 11 décembre 1896.

Il a intégré la pop culture à travers une chanson du déjanté Dick Annegarn, qu’il avait reprise avec le regretté Arno, qui, en déjantage pouvait se poser un peu là pour notre bonheur, dans TARATATA en 2006. Et avait été illustré par Flanar.

Au milieu des années 1970, un groupe de musiciens américains rock se forme et prend son nom.

Mais la déclinaison du modèle a explosé dans tous les genres, et à ce titre est sans doute un phénomène unique de la création littéraire française.

Claude Semal en fit un petit coq, Sénéchal de Pologne et de Hongrie, expliquant comme il changea de femme et de pays pour devenir Président, s’acheter une nouvelle Rollex et déclarer la guerre à la Suisse dans un spectacle de marionnettes.

S’ils furent nombreux à décliner son histoire, ils ne furent pas moins nombreux à en tirer le portrait, de Pierre Bonnard à Pablo Picasso, de Juan Miro à Man Ray ou Dora Mar, à en faire un spectacle télévisuel, comme Jean-Christophe Averty, à en faire un personnage de Bande Dessinée.

définition

Ce mot, un adjectif, se définit comme une évocation d’un personnage grotesque et démesuré jusqu’à l’absurde, caractérisé par un despotisme, une cruauté, un cynisme, une forfanterie outranciers et des petites bassesses dérisoires qui n’excluent pas la couardise.

Ce mot, qui constitue donc une antonomase, est un marqueur incontestable de notre époque. D’usage pratiquement nul du XIX° siècle et jusqu’au sortir de la seconde guerre mondiale, il explose dans les années 2010. C’est dire.

Ce mot, qui fait 19 points au scrabble a pour synonyme burlesque, caricatural, grotesque, ridicule.

On en trouvera ici et là quelques présences dans des citations qui vous le révèleront, si vous ne l’avez pas découvert:

Le gâtisme royal n’a jamais été peint avec une vigueur plus amère que dans ces personnages de Valens et de Prusias: (…) où a-t-il pris cette conception véritablement ubuesque de la famille? (…) Corneille a poursuivi avec (…) rancune certaines images du dessèchement par la vieillesse, de la sclérose du cœur (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 284).

Rien ne me plaît plus de cette époque gâteuse et sanglante avec ses techniques ubuesques, ses chambres à torture et ses adultes tellement abrutis (…) qu’ils préfèrent Tintin à tout (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p. 219).

Guerre: carnage mi-kafkaïen, mi-ubuesque, entre deux armistices. (Jacques des Bermudes, Visa pour le Bûcher, éd. Altess, 1992)

Mais c’est dans la presse que son usage fait florès:

Un roi ubuesque avec sa cour et son palais baroque construit en dehors d’Erevan, dans lequel, raconte-t-on, il avait fait venir deux lions qui ont fini par dépérir.— (Guillaume Perrier dans Le Monde du 13 mai 2007 à propos de Gagik Tsarukian, leader d’Arménie prospère)

Mais tous font état d’un système d’une complexité inouïe. Dans les faits, sa mise en œuvre se révèle coûteuse, incertaine, voire même ubuesque.— (Olivier James, Reach : Le casse-tête des industriels, dans L’Usine nouvelle, n° 3195 du 3 juin 2010)

La décision initiale de Radio-¬Canada de censurer un épisode d’une série-culte est complètement ridicule. Misère ! On parle ici d’une série ubuesque, où les lits sont verticaux et les vidanges sont sacrées !— (Sophie DUROCHER, « Radio-Canada s’est couverte de ridicule », Le journal de Montréal, 11 novembre 2020)

Le Petit Robert en donne plusieurs autres usages récents.

Car c’est en effet du Père Ubu dont il s’agit ici, et du phénomène qualifié d’ubuesque, dû au « Père Ubu », ainsi décliné et enrichi du suffixe -esque pour en faire l’adjectif « ubuesque ».

le Père Ubu, un tournant dans le théâtre français

Officier du roi Vencesla, décoré de l’ordre de l’Aigle rouge, Ubu jouit d’une position enviable à la cour de Pologne. Mais sa femme, la Mère Ubu, a bien d’autres ambitions pour lui : détrôner Venceslas. Pour cela, il va commettre « plus de meurtres qu’il n’en faudrait pour damner tous les saints du Paradis ». Et ce sera l’occasion de multiples aventures. Tour à tour roi, guerrier et fuyard, il va devenir “maître des Phynances” dans son pays d’origine, la France…

Le Père Ubu a un mot fétiche : merdre !. Il en fait sa première réplique.

Et un programme politique, qu’il s’agirait bien de lire et de relire, alors que nous voterons le 9 juin prochain, et, de rechef, le 13 octobre :

« PERE UBU. Messieurs, la séance est ouverte et tâchez de bien écouter et de vous tenir tranquilles. D’abord, nous allons faire le chapitre des finances, ensuite nous parlerons d’un petit système que j’ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurer la pluie. »

Mais le Père Ubu est, dans l’histoire de la littérature et le théâtre français, un élément déterminant qui ouvrira la voie au surréalisme, et au théâtre de l’absurde. A André Breton, Louis Aragon, Boris Vian, Raymond Queneau, Georges Pérec, à Eugène Ionesco, et tant d’autres.

Nous sommes en 1896. la création, le 11 décembre 1896, au Théâtre de l’Œuvre à Paris a lieu dans un tumulte inimaginable.

Mais pourquoi en parler maintenant ?

un auteur de génie: Alfred Jarry

Pour une raison simple : son auteur, Alfred Jarry, pour qui « Monsieur Ubu est un être ignoble, ce pourquoi il nous ressemble (par en bas) à tous » aurait eu 150 ans cette année. Une célébration qui reste globalement à faire.

Alfred Jarry est né le 8 septembre 1873 à Laval, et est mort à Paris le 1° novembre 1907, à 34 ans. Créateur de la pataphysique, il la définit dans le livre II, «Éléments de Pataphysique» du roman Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien « Pataphysique concilie la métaphysique et la physique, le monde des objets et le monde de la pensée en se révélant être «la science des solutions imaginaires», à laquelle Boris Vian adhéra par la suite.

Quand une potacherie devient philosophie durable

“la pataphysique est à la métaphysique ce que la métaphysique est à la physique”

Boris Vian

Quant à son Ubu Roi, il en forge le caractères pendant ses études de rhétorique à Rennes, au Lycée Emile Zola, en 1888, prenant pour modèle son professeur de physique, Monsieur Félix Hébert.

Une potacherie commise d’abord avec ses condisciples Charles et Henri Morin sous le titre « les polonais » et qui deviendra bientôt Ubu roi. Un roi dont la durable actualité ne fait aucun doute.

Bernard Chateau,



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