Un certain Charles-Henri Dewisme

En 1944, il y a plus de 80 ans, Charles-Henry Dewisme publiait sont premier roman, « la porte ouverte« , à la Renaissance du Livre, sous son nom.
Deux autres suivraient.
Il publierait encore sous le nom de Cal W. Bogar, de Gaston Bogart, de Pat Richmond, de Ray Stevens, de Jacques Seyr et de Jacques Colombo. Si tout cela ne vous dit rien, il en ira autrement de cet autre nom de plume : Henri Vernes.
Henri Vernes, c’est un monument de la littéraire et de la pop culture qui nous a quitté à l’été 2021, du haut de ses respectables 103 ans.
Cet homme-là est une bibliothèque à lui tout seul : Bob Morane, c’est 234 romans, à plus de 30 millions d’exemplaires écoulés dans le monde. Le 16 octobre 1953, est mis en vente La Vallée infernale, le tout premier roman de Bob Morane. Et le mythe du polytechnicien, polyglotte, officier en disponibilité dans l’aviation militaire française, qui parcourt la terre entière, seul ou en compagnie de Bill Ballantine, un colosse roux et Écossais, son meilleur ami, éleveur de poulets, est en route. James Bond pour les gamins – s’il est entouré bien souvent de jolies femmes, il n’est jamais question de sexe – il se présente en défenseur de thèmes d’une rare modernité: la dignité des peuples, le respect des patrimoines culturels et des droits humains, la protection de la nature. Au point que certains en ont fait un Don Quichotte de la pop-culture.

De Henri Vernes à Bob Morane
C’est, on l’a compris, l’histoire d’un succès insolent d’un auteur wallon, hennuyer, né à Ath en 1918, qui égale sans doute en notoriété Simenon. Henri Vernes: notre professeur de français, Gonzales Descamps, recommandait prudemment de ne pas le confondre avec Jules Verne (sans s), lorsqu’il invitait à préparer quelques fiches de lecture, proposant un auteur et laissant le choix de l’oeuvre…
Ce personnage-là s’est retrouvé décliné dans toutes les expressions, au-delà du roman: Les 1001 vies de Bob Morane, paru aux éditions Demeyer en 2000 en fait l’inventaire. C’est qu’on l’a retrouvé en BD, au cinéma, incarné par Jacques Santi, à la télévision, sous les traits de Claude Titre, en dessin animé.
Indochine en a fait un tube: l’aventurier.
Une rue de Tournai porte son nom.
Les rêves de ceux-là qui n’étaient pas encore les babyboomers – et des suivants étaient emplis des aventures de Bob Morane. Mais ils s’accompagnaient souvent de fantasmes, qu’incarnait la troublante Miss Ylang-Ylang.
Henri Vernes, c’est aussi la fidélité à un éditeur : les éditions Marabout. Autre succès wallon.
De Bob Morane à André Gérard
André Gérard, imprimeur à Verviers, fonde, en 1949, les éditions Marabout, en duo avec Jean-Jacques Schellens.
Le format de poche est alors encore balbutiant dans le monde de la francophonie. Ensemble, ils vont le porter sur les fonds baptismaux, et prendre une place de choix au panthéon de l’édition. Ils seront présents dans tous les genres. Rien ne leur échappera: littérature, mais aussi les « Juniors », et « Mademoiselle », la psychologie, les Services et bien sûr la collection de référence : Marabout Université, et on en passe.
La marque? Elle sera vite trouvée: c’est le totem scout de Gérard, « Marabout« . Les scouts: c’est là que Gérard et Schellens se sont connus, enfants…
Le « Livre de Poche » de son côté n’apparaîtra qu’en 1953.
En 1969, du haut de ses 20 ans d’existence, le bilan de Marabout impressionne: 1.800 titres différents diffusés à 135 millions d’exemplaires.

Le best-seller: « Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne« , de Pierre Daco. Près de 2 millions d’exemplaires. Pierre Daco était psychothérapeute.
Né en 1936, c’est à Coxyde qu’il décèdera, en 1992. Car chez Marabout, le « poche » n’est pas une occasion de recyclage de succès avérés: c’est une activité d’édition au sens plein du terme, dans un format particulier, et un objectif de large tirage.
le Wikipédia de papier

Mais l’invention la plus remarquable, c’est peut-être la collection « Marabout Flash« , petit format qui sera une collection tout-à-tout (de génie), en elle-même, née… de la volonté d’utiliser les chutes de papier, à l’imprimerie, par souci d’économie. Cette « Encyclopédie de la vie quotidienne » date de 1959. Wikipédia avant l’heure, traduite dans une demi-douzaine de langues, la collection touchera au Tourisme et aux langues, à la cuisine, à la maison, au savoir-vivre, aux sports et aux jeux, à la psychologie et au succès, à la beauté et à la santé, au bricolage et au passe-temps. Chaque thème sera identifié par une couleur spécifique du logo et – invention marketing définitive, les premiers numéros furent livrés aux libraires avec leur présentoir…
Le duo se séparera en 1971 : la compulsivité jamais satisfaite d’André Gérard avait eu raison de l’inventivité complice de Jean-Jacques Schellens.
Jean-Baptiste Baronian le remplacera et ouvrira la collection Marabout Fantastique qui a notamment permis de révéler au grand public les auteurs belges Jean Ray, Thomas Owen et Gérard Prévot.
Bernard Chateau,