Waterloo,

Waterloo - carte postale ancienne
Waterloo – carte postale ancienne

Dans sa découverte de la Belgique, Waterloo a, pour Victor Hugo, une place à part. On pense d’abord à ce paradoxe: ses mots les plus célèbres sur Waterloo ont été écrits sans qu’il l’ait visitée. Et puis, il y a, bien plus tard, ces six semaines passées à l’Hôtel des Colonnes, où il termina l’un de ses monuments littéraires les plus célèbres: les Misérables.

Les Misérables. Fin. Mont-Saint-Jean, 30 juin 1861. 8 ½ du matin

Waterloo - l'Hôtel des Colonnes
Waterloo – l’Hôtel des Colonnes

Comme une revanche. Il précise, dernière page du lourd manuscrit : « Fin. Mont-Saint-Jean, 30 juin 1861. 8 ½ du matin», comme point final. Il écrira à Auguste Vacquerie: ” Ce matin 30 juin à huit heures et demie, avec un beau soleil dans mes fenêtres, j’ai fini les Misérables. […] C’est dans la plaine de Waterloo et dans le mois de Waterloo que j’ai livré ma bataille. J’espère ne l’avoir point perdue”. On se souvient de l’exposition organisée en 2011 « Les Misérables, 150 ans à Waterloo » au Musée Wellington. On y verra le manuscrit. Emotions.

Cette exposition avait été précédée d’une autre, “Lacroix et Verboeckhoven, les éditeurs belges de Victor Hugo et le banquet des Misérables. Bruxelles 1862”, organisée par l’Université libre de Bruxelles avec la collaboration du Crédit Communal, dans ce même musée Wellington à Waterloo du 18 avril au 11 mai 1986. Elle avait fait l’objet d’une publication particulièrement documentée sur les liens de Victor Hugo et la Belgique; une biographie de l’éditeur Albert Lacroix; une analyse des réactions de la presse belge et française au Banquet, dont nous reparlerons; et la reproduction du texte de la relation du banquet que Gustave Frédérix en avait faite, la même année.

Retenez que si d’aventure vous tombez sur cette publication chez un bouquiniste, vous n’avez pas à hésiter, sauf à le regretter: achetez-là.

Mais revenons à l’exposition de 2011 « Les Misérables, 150 ans à Waterloo ». C’était là une exposition qui avait fait la fierté d’Yves Vander Cruysen. Une exposition qui avait fait la joie de Jean-Pierre Hautier, amoureux de Waterloo, d’Hugo et de Napoléon. Il fera les commentaires des reconstitutions du 195° anniversaire, mais il ne verra pas celles du 200°.

J’avais embarqué la RTBF dans les partenariats heureux de ces événements, qui ne furent pas pourtant à l’abri des susceptibilités clochemerlesques.

Mais on préfère penser plutôt aux Misérables. Et à cette anecdote-ci: sachez que c’est la même année qu’Hugo se donnera la physionomique iconique qu’on lui connaît, encore et toujours : barbu – car de fait on n’imagine pas Victor imberbe… “On me dit vous êtes très beau avec votre barbe, et je suis félicité de mes taches noires sur fond blanc comme un caniche“, écrit-il à son fils, entre amusement vrai et innocente gloriole.

Une longue procrastination

On pense aussi aux “Châtiments, à ce qu’Hugo regarde comme la glorieuse déchéance de Napoléon dans « Expiation » et son second mouvement :
Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.

Un poème écrit lors de son exil à Jersey entre 1851 et 1852, alors qu’il n’a pas vu Waterloo.

Victor Hugo a mis quarante-cinq ans avant de se rendre sur le site de la bataille. Cette idée lui était insupportable. Il écrit lors de son séjour à Bruxelles en 1837 : « Je n’ai pas voulu voir Waterloo. J’ai jugé inutile de rendre cette visite à Lord Wellington. Waterloo m’est plus odieux que Crecy ». Crécy, c’est cette bataille qui opposa, le 26 août 1346, l’armée française à l’armée anglaise, venue piller et saccager les rivages français de la Manche, et se conclut par une victoire écrasante de l’armée anglaise, pourtant inférieure en nombre. Cette bataille inaugurera la « guerre de Cent Ans ».

Un symbole indigne

Waterloo la Butte broutée par les moutons
Waterloo la Butte broutée par les moutons

Mais sur place, Victor Hugo jugera gravement le symbole de la Bataille : « Le lion de Waterloo, point culminant de tout ce large horizon, a cette particularité qu’il coupe les orages en deux et les partage, selon le vent, tantôt entre Ohain et Plancenoit, tantôt entre la Hulpe et Braine-l’Alleud. Chose remarquable, depuis un demi-siècle qu’il est là, debout, masse de fer énorme, sans paratonnerre, sans défense, à la pointe d’une cime de cent cinquante pieds de haut, au milieu des nuages, jamais l’éclair ne l’a touché. Il semble qu’il ne court aucun risque d’être renversé de ce côté-là. Serait-ce que le tonnerre du ciel sait que cette besogne est réservée au tonnerre de la terre ? De cette bataille gagnée par le hasard, on a fait une bataille gagnée par les hommes. Faute grave. Faute plus grave encore, à l’erreur on a ajouté un monument. Où Dieu n’avait fait qu’une plaine et n’avait jeté qu’une leçon, les hommes ont mis une montagne et un lion. Fausse montagne, faux lion. La montagne n’est pas en roche et le lion n’est pas en bronze. Dans cet argile, façonnée en hauteur, dans cette fonte, peinte en airain, dans cette grandeur fausse, on sent la petitesse. Ce n’est pas un lieu, c’est un décor.»

Pas rancunière, Waterloo rend désormais hommage à la présence de Victor par deux signaux.

La Colonne Victor Hugo, à Lasne

La Colonne Victor Hugo - Lasne
La Colonne Victor Hugo – Lasne

Et d’abord la Colonne Hugo, sur la Nationale 5, qui a pour voisin deux maisons qu’il aurait appréciées, puisque s’y dispensaient les plaisirs tarifés qu’il ne méprisait pas. Plus sérieusement, elle a aussi pour voisin le “Monument aux Français”, qu’on appelle aussi “l’Aigle blessé”. En bordure du champ de bataille de Waterloo, elle est là, sur le territoire de Lasne, pour célébrer le 50e anniversaire du séjour de Victor Hugo à Waterloo.
La première pierre a été posée en septembre 1912. Interrompus, les travaux ne sont terminés que quarante ans plus tard : la colonne est inaugurée le 24 juin 1956. Le monument est classé en 1979.
On dit qu’elle aurait été construite selon les proportions du nombre d’or, ce qui s’expliquerait par l’appartenance maçonnique de son promoteur, Hector Fleischmann, qui avait été initié à la loge… “Victor Hugo”. Il évoquait ainsi l’ambition du symbole dans son discours, lors de la pose de la première pierre: “le monument que nous élevons atteste la victoire que remporte l’idée sur la force”. 
Après un petit escalier de 7 marches, le monument, de 18 mètres de haut, se termine par un socle faitier carré qui devait accueillir un coq gaulois pour célébrer la revanche de la poésie sur le courage brutal. Et répondre au Lion, orangiste et voisin ? Les moyens ont manqué.
Une face du piédestal porte une plaque de bronze du portrait du poète.
Sur une autre face ont lit :

La Colonne Victor Hugo - le médaillon
La Colonne Victor Hugo – le médaillon

« UN JOUR VIENDRA OÙ IL N’Y AURA PLUS
D’AUTRES CHAMPS DE BATAILLE QUE
LES MARCHÉS S’OUVRANT AU COMMERCE
ET LES ESPRITS S’OUVRANT AUX IDÉES
PARIS 22 AOÛT 1849
DISCOURS AU CONGRÈS DE LA PAIX »

Colonne Hugo. Un coq. Et un millésime.
Colonne Hugo. Un coq. Et un millésime.

Levant plus haut le regard, un blason orné d’un coq affiche le millésime de l’inauguration de la colonne (1956).

Sur la face opposée, vers les champs, on lit :
« CE MONUMENT PARACHEVÉ PAR LE
COMITÉ VICTOR HUGO
A ÉTÉ INAUGURÉ LE 24 JUIN 1956 »

Le banc, Hugo lisant, face à l’Hôtel communal

Mais il existe aujourd’hui une autre trace, plus récente, de Victor Hugo à Waterloo, en face de l’hôtel de Ville, d’une inspiration similaire à ce qu’on trouve à Guernesey, face au port : un banc sur lequel Victor est assis. Il lit.

La statue, due à l’artiste Michal, a été inaugurée le 12 novembre 2021.

Victor Hugo, guide touristique

Victor Hugo à travers ses carnets de voyage et sa correspondance, établira un véritable guide touristique de la Belgique. Il pense déjà à la publication de sa correspondance.

Et en 1972, les éditions Hachette avaient eu la bonne idée d’éditer le « guide littéraire de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg », confié à Roger Bodart et Marc Galle pour la Belgique. Hugo y a donc plusieurs renvois dont certains ont notamment nourri ces articles. Plusieurs livres évoquent le sujet, mais rien ne vaut la plongée dans sa correspondance.

Commençons par le sud du pays, d’ouest en est.

A suivre

Bernard Chateau

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