1870. La guerre franco-allemande de 1870, déclenchée par la France, se termine par la défaite de la France.

Le 2 septembre, Napoléon III capitule.

Le 3, il est fait prisonnier est en route vers l’Allemagne. Ironie du sort, c’est par la Belgique – Bouillon, Libramont, Liège, Verviers – qu’il rejoint l’Allemagne, où il est fait prisonnier, un court temps, avant un exil anglais. Ironie du sort..

Le 4, la déchéance de l’Empereur est proclamée en même temps que la République.

Le 5 septembre, Hugo, fidèle à son engagement, peut enfin quitter Bruxelles pour Paris, par le train.

Mais il ne sait pas encore que rien n’est réglé. Loin de là.

Le Peuple de Paris ne l’entend pas de cette oreille, qui a subi un terrible siège; il n’a pas l’intention de se laisser désarmer. Le gouvernement siège à Bordeaux, où Hugo le suit, avec son fils, Charles.

Mais Charles y meurt subitement, le 13 mars 1871. Victor doit rentrer à Bruxelles pour régler sa succession difficile.

C’est « l’Année terrible ».

La « Commune de Paris » sera impitoyablement réprimée pendant la semaine du 21 au 28 mai 1871, sur ordre de « Monsieur Thiers ». On parlera de la « semaine sanglante ». Et pour cause. Entre 20 000 et 30 000 Parisiens seront tués. Il y aura 40 000 arrestations, et les poursuites dureront jusqu’en 1874.

Cet épisode révolutionnaire inspirera un grand nombre de poèmes et de chants. Engagés dans les rangs des insurgés, les auteurs populaires donneront notamment à la Commune de Paris ses airs les plus célèbres qui en feront un véritable mythe. On n’oubliera pas le film Le Juge et l’assassin de Bertrand Tavernier, sorti en 1976, ni, ici, la chanson du film, texte de Jean-Roger Caussimon et musique de Philippe Sarde, chantée par Caussimon, et Isabelle Huppert, La Commune est en lutte

Mais en 1871, on n’est pas dans le mythe, ni les parisiens, ni Victor Hugo. Et Victor Hugo, qui s’en étonnera, s’indigne.

Face à son indignation, le gouvernement belge, qui se range du côté des autorités françaises: il craint l’afflux de révolutionnaires français. Des révolutionnaires « qui méritent à peine le nom d’hommes et qui devraient être mis au ban de toutes les nations civilisées« , selon les mots d’une rare violence du Ministre des Affaires Etrangères à la Chambre.

Voilà qui n’est pas du goût de Victor. Fin mai, l’Indépendance belge publie une lettre où son humanisme et de son universalisme, indéfectibles, qui font qu’il est Hugo, explosent :

Cet asile que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l’offre.
Où ? en Belgique.
Je fais à la Belgique cet honneur.
J’offre l’asile à Bruxelles. J’offre l’asile place des Barricades, n°4.
Qu’un vaincu de Paris, qu’un homme de la réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée, qu’un de ces hommes, fût-il mon ennemi personnel, surtout s’il est mon ennemi personnel, frappe à ma porte, j’ouvre. Il est dans ma maison. Il est inviolable.
Est-ce que, par hasard, je serais un étranger en Belgique ? Je ne le crois pas. Je me sens le frère de tous les hommes et l’hôte de tous les peuples. […]
La gloire de la Belgique, c’est d’être un asile.
Ne lui ôtons pas cette gloire.
En défendant la France, je défends la Belgique. Le gouvernement belge sera contre moi, mais le peuple belge sera avec moi.
Dans tous les cas, j’aurai ma conscience.

Bruxelles. La Place des Barricades et la statue d'André Vésale.
Bruxelles. La Place des Barricades et la statue d’André Vésale.

Bruxelles bout. Dans la nuit du 27 au 28 mai, on manifeste devant la maison de Hugo, Place des Barricades. Et cette fois, la manifestation est hostile à l’auteur des Misérables – très hostile :

Aux petits incidents il faut s’habituer.
Hier on est venu chez moi pour me tuer.
Mon tort dans ce pays est de croire aux asiles.

Rapport de police sur l’incident du 27 mai. Source: archives de l’Etat en Belgique

Dans la foulée, le Ministre de la Justice fait rapport au Roi et demande l’expulsion de Victor Hugo:

« Sire,
Dans une lettre que publie l’Indépendance belge le 28 de ce mois, M. Victor Hugo cherche à justifier les crimes horribles commis par les révolutionnaires de Paris et à en rejeter la responsabilité sur l’autorité régulière. Il invite les membres de la Commune à se rendre en Belgique, à les recevoir chez lui et il jette un défi audacieux aux lois et au gouvernement de notre pays. Enfin, il fait un appel à nos concitoyens contre le gouvernement.
La conduite de M. Victor Hugo est de nature à compromettre la tranquillité publique, et, d’accord avec le Conseil des Ministres, j’ai l’honneur de soumettre à la sanction de Votre Majesté un projet d’arrêté par lequel il est enjoint à cet étranger, aux termes de l’art. 1er de la loi du 7 juillet 1869, de quitter immédiatement le royaume. »

Le 30 mai, Hugo reçoit son ordre d’expulsion, signé du Roi Léopold II.


Arrêté d’expulsion signé par Léopold II – source Archives de l’Etat en Belgique

LÉOPOLD II, roi des Belges
.
À tous présents et à venir, salut.

Vu les lois du 7 juillet 1835 et du 30 mai 1868,
De l’avis du conseil des ministres,
Sur la proposition de notre Ministre de la justice,

Nous avons arrêté et arrêtons :

Article unique.

Il est enjoint au sieur Hugo, Marie Victor, homme de lettres, âgé de 69 ans, né à Besançon, résidant à Bruxelles, de quitter immédiatement le royaume, avec défense d’y rentrer à l’avenir, sous les peines comminées par l’article 6 de la loi du 7 juillet 1865 prérappelée.
Notre Ministre de la Justice est chargé de l’exécution du présent arrêté.

Donné à Bruxelles, le 30 mai 1871.


(Signé) LÉOPOLD.

Victor Hugo conteste l’ordre.

Mais s’incline.

L’expulsion indigne les belges. Enfin, d’autres belges.

Il y a débat au Parlement : la grande majorité abandonne Hugo, qui Hugo reprend donc les routes de la proscription, chassé de Belgique :

« Je remercie les hommes éloquents qui m’ont défendu, non pas moi, qui ne suis rien, mais la vérité qui est tout », dira-t-il.

Ces hommes-là sont cinq. Cinq députés contre 81 qui auront pris la défense d’Hugo: les députés Couvreur, Defuisseaux, Demeur, Guillery et Jottrand.

« Où est l’enquête? Où est l’examen contradictoire ? Vous voulez punir des violences coupables, et vous commencez par éloigner les témoins »

avait tonné, en vain, Monsieur Couvreur.

Le 1° juin, il quitte la Belgique pour le Luxembourg. Pendant qu’à Bruxelles, une certaine presse monte de toute pièce un complot médiatique contre lui, véritable fakenews avant la lettre, à propos de tableaux volés. Un complot qui ne résistera guère.

A part cela, il ne sera pas enquêté sur les incidents du 27 mai.

A suivre,

Bernard Chateau

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